Les feuilles pas mortes

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

lundi 24 novembre 2014

Ma Part d'ombre - James Ellroy

mapartdombre.jpgOù l'on apprend que les parents de James Ellroy l'avait appelé Lee Earle Ellroy, que l'école était pour lui une vraie galère (ben oui avec une telle association prénom-nom!), que sa mère avait été assassinée. Au départ la disparition de sa mère l'arrangeait car son minable de père l'avait convaincu que ce serait mieux de vivre entre père et fils. Il a ensuite grandi, comme il a pu, en oscillant entre la construction personnelle et l'autodestruction.

De James Ellroy, j'avais lu Le Dahlia noir, Le Grand nulle part et L.A. Confidential, sans trop m'intéresser à son histoire, à sa biographie, tant sa plume se suffit à elle-même. Ma Part d'ombre lève le voile et donne de nombreuses clés sur son auteur. Aucun pathos, mais une enquête distanciée et rétrospective sur le meurtre de sa mère, surnommée "la rouquine" et sur son parcours d'enfant, d'adolescent, puis d'adulte marqué au fer rouge par son milieu social et son environnement. Une double enquête passionnante qui constitue l'hommage d'un fils à la mère qu'il n'a pu/su aimer. Indispensable.

Tu m'avais emmené dans ta cachette comme ton porte-bonheur. Et je t'ai failli comme talisman - je me dresse donc aujourd'hui comme ton témoin.
Ta mort définit ma vie. Je veux trouver l'amour que nous n'avons jamais eu et l'expliciter en ton nom.



Le meurtre a eu droit à la page deux du Los Angeles Time, de l'Express et du Mirror. Il a eu droit à cinq secondes dans les infos télé régionales.
La rouquine cotait zéro. La vraie pâture, c'était le macchabée de Johnny Stompanato. La fille deLana Turner avait suriné Johnny en avril. L'histoire faisait toujours la une.



J'ai lu l'histoire du Dahlia une centaine de fois. J'ai lu le reste de The Badge et contemplé les photos. Stephen Nash, Donald Bashor et les incendiaires sont devenus mes amis. Betty Short est devenue mon obsession.
Et mon substitut symbiotique de Geneva Hilliker Ellroy.
Betty fuyait et se cachait. Ma mère s'était enfuie à El Monte pour s'y forger une vie secrète le week-end. Betty et ma mère étaient deux victimes, deux corps largués aux ordures. Jack Webb disait de Betty que c'était une fille facile. Mon père disait de ma mère que c'était une ivrognesse et une putain.



Le livre existe en poche chez Rivages/Noir (10.65€)
Pour aller plus loin : un webdoc avec entre autres des interviews de son éditeur en France, François Guérif

Grimmy

mercredi 16 juillet 2014

Karoo - Steve Tesich

karoo.jpg Publié chez Monsieur Toussaint Louverture en 2012 pour sa traduction française et disponible en poche aux éditions Points, Karoo a fait couler beaucoup d'encre et a régulièrement été mis en avant par les libraires, et ce sans promotion médiatique de fou puisque Steve Tesich est décédé avant la publication de cet ouvrage et que l'ouvrage est publié par un éditeur estimé mais peu médiatisé. Avant toute chose, je profite donc de ce billet pour remercier Monsieur Toussaint Louverture de nous faire découvrir de tels textes et de se battre pour leur diffusion. J'aime beaucoup cette maison d'édition et vous encourage donc à visiter leur site et à acheter (presque les yeux fermés) leurs ouvrages.
Alors pour faire bref, ça se passe aux States et raconte la chute d'un anti-héros sur la fin qui réécrit des scripts pour le cinéma, un homme en pleine crise de "je ne suis plus aussi jeune que je le voudrais et je suis un raté". A ce stade-là, généralement, les hommes noient leur détresse dans la dive bouteille. C'est déjà triste, c'est déjà glauque mais là, pour Saul Karoo, c'est encore pire! Car tout ce qu'il avait malgré tout pas trop mal réussi, même malgré lui, va lui échapper, de sa pseudo-intégrité professionnelle à sa presque non-relation filiale, en passant par, et ça c'est un vrai drame, sa façon de noyer sa lucidité dans l'alcool. Parce que non seulement il a une vie de merdouille et il en est conscient, mais en plus il ne connaît plus les brouillards de l'ivresse. Non, rien du tout! même après un nombre incroyable de verres! Et ça, c'est la vraie loose, la vraie de vraie. Non, sérieusement Tesich a torturé son personnage, lui faisant vivre tout ce qu'il pouvait lui arriver de pire, en pleine lucidité! C'est bien vu, c'est féroce, c'est- oserais-je le dire, drôlement horrifiant. Pour ceux qui ne l'auraient toujours pas lu, si vous aimez les histoires de vrais loosers, courez-y! Oui, parce que là, et j'en ai lues des histoires de super loosers, anti-héros aux cheveux gras et tristes, à la bedaine torturée et aux relations familiales proches du néant, Karoo est hors-compétition, indéniablement.
J'émettrai juste un petit bémol sur la fin du roman, que j'ai trouvée très décevante. Peut-être parce que le reste est très bien, peut-être parce que l'auteur est mort trop tôt pour la retravailler. C'est dommage, parce que sinon, c'est é-nor-me!


J'étais de nouveau au vin rouge; j'avais commencé par ça en arrivant à la fête. Entre-temps, j'avais avalé toutes les sortes de boissons alcoolisées servies sur place. Vin blanc. Bourbon. Scotch. Trois vodkas différentes. Trois cognacs différents. Champagne. Liqueurs diverses et variées. Grappa. Rakija. Deux canettes de bière mexicaine et plusieurs coupes de lait de poule aromatisé au rhum. Le tout sur un estomac vide, et malgré ça, hélas, trois fois hélas, j'étais toujours sobre comme un chameau.


A ma plus grande horreur, je vis que je pesais cent douze kilos.
J'en restai bouche bée.
Quoi!
Je n'avais jamais, de toute ma vie, pesé cent douze kilos. Même tout habillé, avec de grosses chaussures et beaucoup de monnaie dans mes poches, je n'avais jamais, au grand jamais, été au-delà des cent kilos.
Abasourdi, je fixai le chiffre. Je le fixai comme j'aurais contemplé les chefs d'accusations totalement fictifs de crimes que je n'aurais pas commis.


D'après elle, tous mes problèmes, sans exception, sont causés par le chaos qui règne dans mon subconscient. Mon alcoolisme. Mon infidélité conjugale. Ma triste performance de père. Mes mensonges constants, à moi-même et aux autres. Ma pathétique barbe hirsute. Mon indifférence face aux sentiments des autres. Mon manque de respect pour mon apparence physique.
"Mais regarde-toi!" s'exclame-t-elle, et je sens les yeux des quatre du mur de Berlin se tourner pour se fixer sur moi. "Tu deviens gros, chéri. Vraiment, tu sais. C'est vrai. Tu n'es plus seulement en surcharge pondérale. Tu es gros, mon chou. Je ne vois même pas la chaise sur laquelle tu es assis. Pour ce que j'en vois, il n'y a pas de chaise. Pour ce que j'en vois, tu es juste affalé, avec tes coudes sur la table. Et cette malheureuse barbe que tu te fais pousser ne trompe personne. Tous les hommes qui ont honte de leur apparence physique se font pousser la barbe. Surtout les gros. Au rthme où tu y vas, Dieu nous en garde, tu vas bientôt te mettre à porter des cols roulés noirs, en plus. Et pourquoi ça? Tu sais pourquoi? Tu veux le savoir?"


Grimmy

mardi 15 juillet 2014

La Route - Cormac McCarthy

laroute.jpg Attention best-seller ! Si si, des millions d'exemplaires vendus, des milliers de critiques et chroniques internationales, une adaptation au cinéma, et j'en passe. La Route de McCarthy fait partie des livres dont on a beaucoup parlé et qui ont marqué, réellement, la littérature contemporaine.
Publié en français en 2008 aux éditions de l'Olivier, cela faisait un petit moment que La Route patientait sur mes étagères. Je n'aime pas vraiment lire les livres quand ils sont en plein dans l'actualité à vrai dire, sans doute pour me dire que ma lecture sera moins influencée par le tapage médiatique ambiant. Bref, j'ai quand même pris une claque, une belle! Je connaissais de McCarthy Méridien de sang (que je vous conseille chaleureusement -mais pas tout de suite après le petit déjeuner) et savait donc que son style était épuré et âpre. Je m'attendais également à un livre plus violent, plus trash, mais non. Il s'agit d'une belle histoire, celle d'un père et son fils qui sont sur la route, jusqu'au bout, dans un monde qui semble déjà arrivé à son terme.
Roman allégorique, initiatique, La Route est avare de mots, économe d'explications, chiche de procédés littéraires. Sa lecture en est "routinière" mais ce dépouillement sert admirablement le propos. Que reste-t-il quand il ne reste rien d'un monde que l'on a connu? Quel sens peut-il y avoir à rester sur le chemin? Quelle est cette route? McCarthy traite avec brio ces questions vieilles comme le monde : Qui suis-je? Où vais-je? Pourquoi? Pour quoi? Un roman universel qui ne sombre jamais ni dans le pathos ni dans l'égocentrisme.
Quelques extraits pour la route :

L'homme tira l'enfant contre lui. Rappelle-toi que les choses que tu te mets dans la tête y sont pour toujours, dit-il. Il faudra peut-être que t'y penses.
Il y a des choses qu'on oublie, non?
Oui. On oublie ce qu'on a besoin de se rappeler et on se souvient de ce qu'il faut oublier.


Sur cette route il n'y a pas d'hommes du Verbe. Ils sont partis et m'ont laissé seul. Ils ont emporté le monde avec eux. Question : Quelle différence y a-t-il entre ne sera jamais et n'a jamais été?



Il n'y a personne à voir. Tu veux mourir? C'est ça que tu veux?
Ca m'est égal, dit le petit en sanglotant. Ca m'est égal.
L'homme s'arrêta. Il s'arrêta et s'accroupit et le serra contre lui. Je te demande pardon, dit-il. Ne dis pas ça. Tu ne dois pas dire ça.



Pour aller plus loin :
Un bel article du Matricule des anges
L'avis du fricfracclub


Grimmy

jeudi 21 novembre 2013

Glamorama - Bret Easton Ellis

glamorama_couv.jpg

Après American Psycho, lu trois ans auparavant, je me suis attaquée cet été à Glamorama (publié en 98, il précède donc l'ouvrage le plus célèbre de l'auteur). Je l'avais acheté par hasard, lors de la visite d'une librairie de livres anciens et d'occasion (ou bouquinerie très bien rangée si vous préférez). Je n'aime pas sortir les mains vides, l'ai vu, c'était un gros poche pas très cher (3 € officiellement, moins finalement car le libraire est sympa), j'en avais entendu parler, bref.

Depuis il occupait patiemment l'étagère des poches en attendant un moment propice. Pour les gros poches qui ont vécu et qui sont un peu "rébarbatifs" (cad écrits petits et serrés), le moment propice chez moi ce sont les vacances d'été avec une longue période de camping qui permet de lire avec une lampe torche le soir ou le matin sous la tente ou au bord de la rivière ou sous un arbre. En gros, pour l'été, il me faut de gros livres qui ne craignent rien et qui surtout ne me laissent pas le choix (je lis ça ou rien du tout, donc ça). Je me rends compte en écrivant que je ne suis pas très engageante pour cet ouvrage alors que je l'ai lu, qu'Attila l'a lu, que nous en avons beaucoup discuté.

Glamorama en fait, c'est comme American psycho pour le style et certaines scènes (il y a du trash, ça met longtemps à démarrer, le lecteur est si inondé de détails et de dialogues oiseux qu'il peine à retenir ce qui est important pour comprendre ce qu'il se passe -j'ai d'ailleurs dû relire tout le départ car j'ai compris en cours de lecture que j'avais raté des indices importants), mais avec des paillettes, dans le monde du glamour et des stars. Ces dernières sont aussi vides que des pantins, elles souffrent, agissent, subissent et agacent. Pas de matière, pas d'élan romanesque, pas de psychologie, nada. Nada de chez nada.

Et malgré tout, une fois prise dans le roman, je voulais comprendre, savoir où j'allais être amenée. Selon moi, c'est cela qui fait l'intérêt de ce roman : on peut faire un roman sur du vide, en démontant des icônes populaires, en torturant ce que l'on peut voir comme "du rêve américain" (je veux dire, les stars, mannequins, acteurs, etc, sont adulées, vénérées, ce sont des modèles de réussite désignés par et pour la population) et en se jouant des lecteurs en réutilisant les mêmes codes, les mêmes recettes que celles des industries dénoncées.

Ceux qui veulent lire un roman glamour avec des paillettes ne l'auront pas, ceux qui cherchent une critique virulente du système médiatique la trouveront peut-être (et encore?), ceux qui aiment le vide apprécieront. Quant à nous : Attila en concluait que l'auteur est un nihiliste et qu'il ne voyait pas trop l'intérêt, je crois plutôt que le roman est intéressant, au moins en tant que témoignage d'une pseudo-époque, en tant que phénomène éditorial et en tant qu'"attrape-lecteurs". Bret Easton Ellis reste pour moi un très bon réalisateur de mises en abyme complexes.

Quelques extraits :

- Tu te souviens de cette période pendant laquelle tu n'arrêtais pas de te massacrer les cheveux et de les teindre de toutes les couleurs, et que tu n'arrêtais pas de pleurer? - Victor, j'étais suicidaire, dit-elle en sanglotant. J'ai failli faire une overdose. - Baby, le fait est que tu n'as jamais perdu un booking. - Victor, j'ai vingt-six ans. Ca fait cent cinq ans en années-mannequin.

Chloé se perd dans son reflet sur un miroir situé de l'autre côté de la pièce, alors que Brad Pitt et Gwyneth Paltrow la félicitent du choix de son vernis à ongles, et progressivement nous nous éloignons l'un de l'autre, et ceux qui ne prennent pas de drogues allument des cigares, et donc j'en prends un moi aussi, et quelque part au-dessus de nous, nous contemplant, les fantômes de River Phoenix et de Kurt Cobain et de ma mère s'ennuient totalement, absolument.

- Pourquoi moi, Bobby? Pourquoi avoir confiance en moi? - Parce que tu penses que la bande de Gaza est probablement un groupe de rock. Parce que tu penses que l'OLP a enregistré les chansons "Don't Bring Me Down" et "Evil Woman". Silence jusqu'à ce que le téléphone sonne.

Glamorama est disponible chez 10-18 en poche pour 10,20 € (ou 9,69 si vous avez les 5% de remise).

Grimmy

vendredi 16 juillet 2010

American Psycho - Bret Easton Ellis

americanpsycho.gif Quand ce roman est sorti, il a beaucoup scandalisé par sa violence et sa pornographie. Il retrace en effet la vie d'un jeune golden boy, Patrick Bateman, qui se montre d'un raffinement excessif, que ce soit pour soigner son apparence ou pour satisfaire ses pulsions meurtrières.

La plume d'Ellis est remarquable en ce qu'elle prend le point de vue de Bateman et décrit minutieusement tout ce qui l'intéresse. Au départ, les descriptions vestimentaires, les inventaires des soins esthétiques, les longues analyses musicales de Genesis ou Whitney Houston peuvent paraître interminables au lecteur, mais elles constituent le fond du roman, montrant bien l'artificialité du comportement polissé du "héros". La même minutie dans les descriptions se retrouvent dans les scènes de crimes, celles que Bateman nous conte avec une froideur clinique. Ces scènes sont si insoutenables que le lecteur se sent soulagé quand revient une longue description vestimentaire. Car Patrick viole, torture, tue. Il peut s'attaquer à des prostituées, des clochards, des animaux, des enfants, des amis. Aucun sentiment, hormis la colère peut-être, ne l'effleure. Le lecteur est donc en présence d'un esprit dérangé, d'un malade qui clame sa folie auprès de personnes qui ne l'écoutent pas ou ne le prennent pas au sérieux.

Plus on avance dans le roman, plus le délire du personnage se fait sentir. Il faut dire aussi que Patrick intensifie sa consommation d'alcool, de coke et de benzos. Le lecteur voit donc une évolution dans son discours au fil des pages. Certaines scènes sont clairement des hallucinations (comme le banc qui le suit), mais pour d'autres, on reste perplexe. Il semble difficile de dire si finalement les meurtres décrits relèvent de la réalité "fictionnelle" ou du délire, difficile aussi d'être sûr de l'identité de Bateman. Ses "amis" l'appellent parfois par un autre nom, lui-même, dans un passage particulièrement délirant, parle de lui à la troisième personne avant de revenir à son personnage. Phénomène de déréalisation ou symptôme de la création d'une autre identité? Je ne sais pas. Il faudrait peut-être que je relise le roman en me focalisant sur ces éléments. Mais, peu importe au fond, le message d'Ellis est clair : la politesse et le raffinement peut aussi (surtout) être l'apanage de personnalités qui nieront toute humanité. La sauvagerie peut bien se dissimuler sous de beaux atours. Certains y ont vu une critique évidente du capitalisme. Peut-être. J'y vois surtout une remise en cause de certains modèles et la mise à l'index d'une société désabusée qui va mal.

Encore un livre que je recommande, mais accrochez-vous (vous n'en ressortirez pas indemnes).

- Je suis inventif, dit Price. Je suis créatif, je suis jeune, sans scrupules, extrêmement motivé et extrêmement performant. Autrement dit, je suis foncièrement indispensable à la société. Je suis ce qu'on appelle un atout."


En arrivant chez Pastels, je suis au bord des larmes, il est évident que nous ne pourrons pas avoir de table. Mais pourtant nous en obtenons une, une bonne, et une vague de soulagement me submerge, presque effrayante, telle une marée d'équinoxe.


- Les gris sont trop étouffés, ainsi que les taupe et les bleu marine. Revers cassé, écossais subtils, petits pois, rayures, c'est Armani. Pas Emporio. Je hurle, les deux mains plaquées sur les oreilles, extrêmement irrité qu'elle ne sache pas cela, qu'elle ne puisse pas distinguer la différence.


Grimmy

jeudi 15 juillet 2010

Shutter Island - Dennis Lehane

shutterisland.jpg De Dennis Lehane je connaissais Mystic River, que j'avais aimé et dont j'avais apprécié l'adaptation cinématographique. J'ai découvert Shutter Island dans le sens inverse en voyant d'abord son adaptation avant de le lire.

Pour ceux qui seraient passés à travers le battage médiatique fait autour de Shutter Island à sa sortie, il s'agit d'une histoire en quasi huis clos qui se passe sur un îlot dédié aux patients psychiatriques, au large de Boston. Nous sommes dans les années 50 et voyons débarquer deux hommes sur l'île : Teddy Daniels et Chuck Aule. Ils sont venus enquêter sur la disparition d'une patiente du centre. Cette enquête va les mener au coeur de la folie.

Ici encore Denis Lehane signe un roman qui se lit d'une traite. Le lecteur suit l'enquête menée par Teddy et se laisse prendre au jeu (littéraire). J'aime bien quand les auteurs jouent ainsi avec les frontières (rêve/réalité, passé/recréation,...). Cela ajoute toujours une dimension intéressante. Le film est une très bonne adaptation, mais je crois que le lecteur se fait bien plus avoir que le spectateur du film, à moins de se montrer très attentif dès le début.

Un bon roman, très bien ficelé que je conseille donc vivement. Le film de Scorcese est bon également. Je trouve que deux des grandes critiques portées sur ce film sont injustifiées. En effet, on lui a reproché sa longueur (alors que chaque plan a une signification) et une version esthétisante des camps de la mort (j'avais même lu que c'était un élément non présent dans le livre, alors qu'il y est). Pour moi, les choix du réalisateur sont justifiés, on le ressent d'autant plus en lisant attentivement le texte original. Mais certains critiques ont la plume ou le clavier trop rapide et ne prennent pas le temps de bien regarder les films ni de bien lire les textes. En voici quelques extraits :

Mais ce jour-là, le ferry ne transportait pas de patients à l'asile; ses seuls passagers étaient Teddy et son nouveau coéquipier, Chuck Aule, ainsi que quelques sacs de courrier et plusieurs caisses de fournitures médicales.


- Il était quelle heure?
- Minuit deux minutes et trente-neuf secondes.
Chuck haussa les sourcils.
- Vous avez une horloge dans le ventre?
- Non, m'sieur, mais j'ai appris à regarder l'heure au moindre problème.

- Vous croyez qu'on lui a fait la leçon? s'enquit Chuck.
- Pas vous ?
- C'est vrai, son discours paraissait un peu forcé.



Grimmy

mardi 27 avril 2010

Demande à la poussière - Fante

^ion
Demande à la poussière est donc le troisième roman de Fante. Nous retrouvons Arturo seul à Los Angeles. Une de ses nouvelles a été publiée mais depuis il peine à vivre de son écriture.

La pauvreté du personnage est clairement évoquée à travers ses difficultés à payer son loyer, à se nourrir décemment (il se nourrit d'oranges) et à se vêtir. Arturo tient cependant à réaliser son rêve et persiste. Nous suivons donc ses premiers pas d'écrivains mais aussi ses premiers pas d'homme, face à une jeune Mexicaine, Camilla.

Ce livre m'a un peu moins plu que Bandini, peut-être parce qu'Arturo nous apparaît somme toute assez agaçant, plein de morve et dans l'exagération. Mais cela reste intéressant car l'écriture rageuse de Fante donne naissance à un personnage (ni héros, ni antihéros) de chair qui n'est pas travesti pour plaire aux lecteurs. C'est pour cela que je lirai probablement la suite des aventures de cet écrivain-miroir de l'auteur. Peu à peu, je m'attache à son écriture qui déborde.

Demande à la poussière a été adapté au cinéma en 2006 par Robert Town. Je ne l'ai pas vu mais d'après les critiques, le film est bien loin des excès du livre original.

Ou bien je paye ce que je dois ou bien je débarrasse le plancher. C'est ce que dit la note, la note que la taulière a glissé sous ma porte. Gros problème, ça, qui mérite la plus haute attention. Je le résous en éteignant la lumière et en allant me coucher.

La trouille d'une femme! Je te demande un peu. Ah, il est joli le grand écrivain! Comment il peut écrire sur les femmes s'il a jamais couché avec une femme? Ah, la grande gueule infecte, bidon, oui! Pas étonnant qu'il sache pas écrire! Pas étonnant qu'il n'y ait pas une seule femme dans Le Petit Chien Qui Riait. Pas de danger qu'il écrive une histoire d'amour, le sale petit merdeux, l'infect petit potache.

"Vous aimer bananes?" Tu parles. Et il me mettait une ou deux bananes. Plaisante innovation, ça, bananes et jus d'orange. "Vous aimer pommes?" Tu parles, et il me refilait une pomme ou deux. C'était nouveau comme mélange, ça : oranges et pommes. "Vous aimer pêches?" Pour sûr, et je ramenais le grand sac plein à dégueuler dans ma chambre. Intéressante innovation, ça, pêches et oranges. Je les déchirais à belles dents, je les mastiquais, le jus me vrillait l'estomac et gémissait là au fond. C'était si triste là en bas, dans mon estomac. Ca pleurait beaucoup, énormément même, avec des petits nuages gazeux vaseux qui me pinçaient le coeur.

Grimmy

lundi 26 avril 2010

Bandini - Fante

^ion Voici maintenant le premier roman publié de John Fante. Il retrace l'enfance d'Arturo Bandini, le futur écrivain des aventures-miroir de Fante.

Arturo est un adolescent américain d'origine italienne de 14 ans. On assiste dans Bandini à son passage de l'enfance à l'adolescence. La famille d'Arturo est pauvre. Les enfants sont scolarisés dans l'enseignement catholique par charité et sont souvent mis à l'écart par les Américains de souche. Ce roman initiatique dresse donc un tableau de l'Amérique version spaghetti, à travers la vie de cette famille. La nourriture est pauvre, les relations familiales tendues et la vie rude sous le froid hivernal.

Un soir, le père d'Arturo ne rentre pas. Il est parti vivre avec une femme riche, a cherché à s'évader d'une vie qui ne lui convient pas. C'est autour de cette disparition que tourne le roman. Arturo se trouve donc confronté au désespoir de sa mère et à la pauvreté. C'est aussi à ce moment-là qu'il perd celle dont il était amoureux.

J'ai nettement préféré ce roman à La Route de Los Angeles. L'écriture de Fante s'est assagie et en devient très touchante. Les personnages prennent de l'épaisseur et deviennent tous émouvants. J'ai apprécié ces portraits hauts en couleurs qui ne tombent pas dans le manichéisme. Fante n'en rajoute pas (ou pas trop) et signe donc un premier roman publié très intéressant. Je vous laisse en compagnie de quelques gouttes de ce café italo-américain :

Il s'appelait Svevo Bandini et habitait à trois blocs de là. Il avait froid, ses chaussures étaient trouées. Ce matin-là, il avait bouché les trous avec des bouts de carton déchirés dans une boîte de macaroni.

Depuis la naissance d'August, leur troisième fils, l'oreille droite de sa femme sentait le chloroforme. Dix ans plus tôt, elle avait ramené cette odeur de l'hôpital. A moins que ce ne fût son imagination?

Au début de son mariage, elle n'avait pas remarqué que Bandini jurait. Mais ensuite, elle ne s'y habitua jamais. Bandini jurait pour un rien. Les premiers mots d'anglais qu'il apprit fut nom de Dieu. Il était très fier de ses jurons.

Grimmy

- page 1 de 2