Les feuilles pas mortes

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

jeudi 21 novembre 2013

Tokyo instantanés - Muriel Jolivet

tokyo-instantanes.jpg Muriel Jolivet est une sociologue installée au Japon et enseignant à l'université. Elle propose ici dans ce recueil d'instantanés (recueillis entre 2006 et 2011) des impressions sur la société nipponne, les siennes mais aussi celles de ses étudiants.

C'est un livre qui peut se picorer petit à petit et qui présente donc l'intérêt de présenter des petits faits quotidiens, qu'ils soient perçus par l'oeil averti d'une sociologue occidentale ou racontés parfois naïvement par des étudiants. Ce double regard apporte de la diversité dans les thèmes traités et les manières de raconter. On sort du Japon fantasmé et on entre dans un Japon moderne réel, dans l'intimité des habitants, tel que le suggère la citation de Marie N'Diaye mise en exergue : "Un écrivain, c'est quelqu'un qui regarde par les trous de serrure..."

L'objet livre en lui-même est de bonne facture : couverture en dur, reliure solide, couverture, dos et 4e de couverture soignés, maquette agréable et soignée, délicate, notes pertinentes. Rien à redire sur le travail éditorial mené par Elytis, dont je vous laisse découvrir le catalogue sur leur site ici.

C'est un recueil divertissant, intelligent, sensible (au premier sens du terme). J'ai pris du plaisir à le lire et y ai appris de petites choses sur la société japonaise. Je compte d'ailleurs lire également de la même auteur Homo Japonicus. Quelques extraits apéritifs :

Il y a quelques jours, je suis montée dans le dernier wagon d'un train en partance pour Shinjuku, en pensant qu'il y aurait moins de monde. Sur le wagon, Women only était inscrit en grandes lettres. Je n'ai pas hésité une seconde, en pensant que je serais à l'abri des satyres. Le wagon sentait très bon.

Les cafés à BD sont appréciés par les gens de toutes les générations qui ont raté leur dernier train, parce qu'on peut y passer la nuit dans un fauteuil douillet, avec toutes sortes de divertissements à notre portée (manga, internet, magazines, journaux) avec un choix de boissons (non alcoolisées), le tout pour la moitié du prix d'un capsule hôtel.

Je viens de commencer à faire des démarches pour chercher du travail. Je trouve bizarre qu'on soit tous habillés pareil en costume noir. On croirait assister à un enterrement.

Ce livre est donc disponible chez Elytis pour 16 euros (enfin c'est ce qui est indiqué sur mon livre mais avec la valse des tva, ça a pu bouger d'un iota).

Grimmy

jeudi 1 novembre 2012

L'autofictif prend un coach - Eric Chevillard

autofictif-coach.jpg L'autofictif prend un coach fait partie des livres qui ont hanté (ou plutôt enchanté) mon chevet pendant 7 mois. Ca peut paraître beaucoup mais ce n'est pas tant que ça en fait car je le lisais bout par bout (histoire de bien savourer, je ne vous ai jamais raconté qu'enfant je pouvais passer trois-quart d'heure avec un Nougati?). Mais qu'est ce donc que ce livre rose avec un tigre à chapeau en couverture?
Il s'agit du journal presque intime d'Eric Chevillard (un auteur qui s'est battu pour avoir un tigre en couverture, plutôt qu'un ours sur un ballon ! Vouuuuui, c'est l'éditeur qui a cafté au SLP). Eric Chevillard, donc, qui aurait préféré un tigre, peut-être en clin d'oeil amical à la revue-journal-magazine Le Tigre (dont je vous déjà parlé précédemment) tient un blog que je vous recommande chaudement, L'Autofictif (allez-y cliquez, vraiment ça peut illuminer vos journées). De ce blog est extraite la substantifique moëlle de L'autofictif prend un coach, qui prend la suite de L'autofictif, L'autofictif voit une loutre, L'autofictif père et fils. Tous sont édités par les éditions de l'Arbre vengeur (que je vous recommande aussi, allons-y, c'est ma tournée aujourd'hui).
J'aime lire Chevillard sur son blog et j'aime également le lire bien après dans sa version papier, loin de mes écrans. J'espère que vous l'aimerez aussi.

Je me rengorge de mon importance à la pensée que le SAMU se tient prêt à intervenir vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour me sauver la vie.


Vaut-il vraiment mieux lire un auteur médiocre que ne pas lire du tout, comme je l'entends souvent dire? Plutôt mal manger que ne pas manger du tout, certes, mais on peut aussi préférer une nuit paisible à un débilitant cauchemar.


Qui dit alcool dans le sang dit aussi sang dans l'alcool et l'on conçoit mieux, d'un coup, l'hérésie du mélange.



Grimmy

jeudi 16 février 2012

Lettres d'insultes, mon guide pratique de correspondance institutionnelle et commerciale - John-Harvey Marwanny

lettresinsultes.gif Pour le premier billet de l'année (pff, nous nous sommes tous deux perdus au fin fond de la webosphère ces derniers temps), je tenais à vous présenter un petit guide très utile (si si) qui vous enseignera comment répondre à votre banquier qui vient de vous faire une offre exceptionnelle (quoi un crédit voiture à 20% de taux d'intérêt alors que vous n'avez pas le permis, c'est plutôt cool non?), ou encore comment remercier l'anpe (on peut actualiser avec Pole emploi) de son aide incommensurable, ou même votre proprio, patron ou encore le misérable qui squatte votre douillet palier.

Bref, du pratique, usuel, fonctionnel, édité par Marwanny corporation... Les lettres sont accompagnées de photos kitchissimes d'un homme qui se déguise pour représenter chaque destinataire, que demander de mieux. Et tout ça, pour cinq euros (moins que pour un croque-monsieur-salade pas terrible avec un cheveu dedans, mais là je dévie, pardon).

Je vous laisse juger de la plume acérée de notre maître es correspondance :

Salut les Schtroumfs, c'est Gargamel qui vous écrit!
Je viens de trouver du boulot, lala la Schtroumfs-lala! (...) Quand je pense que j'ai eu le putain de malheur d'oublier un de ces entretiens bidons et que j'ai dû chier une lettre pour me justifier auprès de branleurs comme vous, ça me scie la nouille en petits morceaux.

(...) une chance sur 14 millions de gagner le gros lot à votre connerie de jeu chiasseux ! Une chance sur 14 millions ! Autant dire que j'ai plus de chances de me faire enculer par un castor pendant mon footing!

De surcroît, vous embaumez chaque nuit l'étage de l'immeuble que vous usurpez d'une odeur d'alcool frelaté. Sont-ce vos maquereaux au vin blanc qui coulent sur le marbre de notre belle bâtisse ou vos bouteilles de vin de table qui, renversées, glougloutent?


Grimmy

mercredi 23 novembre 2011

Lettrines 1 - Julien Gracq - bis

rion L'avantage des blogs, c'est que leurs auteurs peuvent se permettre de commenter deux fois le même titre. Je ne me prive pas de cette possibilité en écrivant ce petit billet sur Lettrines de Gracq, dont je viens d'achever le premier tome.

Attila vous a déjà fait part de son avis sur ce petit bijou. Je crois que nous sommes tous deux conquis par l'auteur, dont la plume enchante une réflexion toujours juste, magnifiquement ciselée.Des lettrines se dégage un regard lucide, une personnalité bien plus qu'attachante, qui donne envie de poursuivre l'exploration du continent gracquien (et pourtant, j'ai connu un départ difficile avec la lecture imposée, dans de mauvaises conditions, du Rivage des Syrtes)

Je ne sais que dire pour inciter à la lecture de cet ouvrage si ce n'est qu'il allie intelligence, variété et humour, qu'il donne envie de lire (et de relire), qu'il donne toute sa noblesse au livre (et puis, un livre de chez Corti, c'est toujours un beau cadeau à (s')offrir - oui Noël approche à petits pas). Vous pouvez vous y plonger ou y picorer quelques réflexions. En voici quelques unes, en guise d'apéritif :

Le problème qui m'intrigue quelquefois, ce n'est pas que Rimbaud se soit tu : c'est l'extraordinaire absence d'orgueil devant le don accordé ou retiré qui permet à Nerval de signer les Odelettes à côté des Chimères.


Psychanalyse littéraire - critique thématique - métaphores obsédantes, etc. Que dire à ces gens, qui, croyant posséder une clef, n'ont de cesse qu'ils aient disposé votre oeuvre en forme de serrure?


La littérature pacifiste d'après-guerre (d'après la guerre de 1914) mettait ses complaisances à développer le thème suivant; quand les Etats seront gouvernés non plus par des généraux et des marchands de canons, mais par des enfants du peuple qui auront fait quatre ans de tranchée dans la piétaille, on sera tranquille, on ne verra plus jamais ça.
Moyennant quoi on a catapulté au pouvoir Mussolini et Hitler - l'un et l'autre anciens "Frontkämpfer" absolument typiques et se donnant pour tels - et on a vu. Cette constatation simpliste, sur laquelle il n'y a pas à ergoter, entache pour moi définitivement une oeuvre comme La Guerre de Troie n'aura pas lieu de bêtise distinguée.



Grimmy

dimanche 1 mai 2011

Le Voyageur le plus lent - Enrique Vila-Matas

voyageurlepluslent.jpg Le Voyageur le plus lent est un recueil de chroniques littéraires du romancier-journaliste-essayiste barcelonais Enrique Vila-Matas.

Ce livre m'a accompagnée lors de temps d'attente dans une gare et dans le train. Il risque de me suivre encore lors de futurs voyages car j'ai grandement apprécié sa compagnie. L'injonction "hâte-toi lentement" ouvre le recueil et est d'emblée illustrée par un conte chinois qu'Italo Calvino cite dans Six propositions pour le prochain millénaire. Ce conte que l'on pourait titrer Chuang Tzu et le crabe parfait (je vous invite à le chercher dans les livres cités) donne le ton : la lenteur peut nourrir la perfection, aussi acceptons d'avancer lentement, de rêvasser, de se perdre, comme lors d'un voyage où l'on se rend compte a posteriori que l'itinéraire est plus marquant, plus important que la destination.

Ce livre m'a amusée (j'ai bien ri en imaginant le libraire de Stuttgart ou en lisant "Brando m'a dit") et instruite. Si vous recherchez un véritable et honorable divertissement, une distraction au sens noble du terme, n'hésitez point : Enrique Vila-Matas est un bon compagnon de route. Pour ma part, je vais chercher à mieux le connaître en lisant prochainement l'Abrégé d'histoire de la littérature portative ou un autre de ses ouvrages.

Le café est aussi fort que l'impression que me fait ma rencontre avec le libraire de Stuttgart, le seul de toute la tournée qui ne paie pas un seul mark pour la séance de lecture dans sa charismatique librairie, dont l'héroïque passé gauchiste fait qu'y être admis à lire représente un grand honneur pour tout écrivain qui se respecte. Raison pour laquelle le libraire de Stuttgart ne paie pas et ne nous a pas réservé d'hôtel non plus, car nous allons avoir le grand honneur de dormir chez lui, moi, dans la "chambre des poètes", la pièce qu'il réserve à tous les élus qui acceptent son invitation à lire gratis dans sa fabuleuse librairie de gauche.


Bref, ce qu'il peut y avoir dans un nom est un problème très sérieux. Dans le cas contraire, que l'on interroge Oedipe. Ou moi-même. (E. Vila-Matas, lu à l'envers, donne Satam Alive, rien de moins que Satan Vivant).


Le lendemain, allant examiner l'état de nos voitures respectives, nous nous assîmes, tels Bouvard et Pécuchet, en même temps, sur le même banc. Le soleil tapait dur. Herralde me regarda lentement et, soudain, me demanda à brûle-pourpoint si je savais où était le consulat de Chine. Je compris que c'était irréversible et que, quoi que je fisse, j'étais condamné à être son ami.


Pour en savoir plus :

Présentation de l'auteur sur Wikipedia

Articles :
http://www.fabula.org/actualites/temps-zero-n3-enrique-vila-matas-miroirs-de-la-fiction_41539.php

http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/_Enrique-Vila-Matas_.html

Grimmy

vendredi 26 février 2010

Lettrines - Julien Gracq

rion

Je viens de finir Lettrines, de Julien Gracq. Le deuxième volume (1) s'entend, car l'expérience de publication de fragments tirés de ses cahiers personnels a été menée en deux temps par l'auteur: Lettrines en 1967 puis Lettrines 2 en 1974, les deux tomes bien évidemment publiés chez José Corti, son éditeur attitré. La lecture du premier volume m'avait occupé il y a quelques mois de cela.

Les textes de ces 2 recueils sont de longueur variable, de quelques lignes à plusieurs pages. Les sujets sont éclectiques: la littérature bien sûr (les lectures de l'auteur, ses vues sur l'écriture, et aussi la vie et les échanges littéraires), des impressions de voyages (surtout dans le deuxième volume, dont le récit d'un voyage aux Etats-Unis occupe une bonne partie), des souvenirs d'enfance (à Saint-Florent-le-Vieil, à Nantes) ou de l'âge adulte (la guerre, en tant que soldat, les villes du professorat – Nantes, Quimper et sa région –), etc.

Ces deux livres, qui portent haut l'esthétique du fragment chère à Roland Barthes, sont pour moi une source de perpétuel enchantement: quel plaisir de les ouvrir au hasard, pour y goûter la prose de Gracq, si riche, précise et chatoyante. Des lieux – qui peuvent pourtant nous être familiers – prennent vie sous un nouveau visage, animé par le regard artiste du créateur:

Ce qui fait la beauté dramatique du Raz, c'est le mouvement vivant de son échine centrale, écaillée, fendue, lamellée, qui n'occupe pas le milieu du cap, mais sinue violemment en mèche de fouet, hargneuse et reptilienne, se portant tantôt vers les aplombs de droite, tantôt vers les aplombs de gauche. Le prolongement final, encore éveillé, laboure le raz de Sein comme le versoir d'un soc de charrue. Le minéral vit et se révulse dans cette plongée qui se cabre encore: c'est le royaume de la roche éclatée ; la terre à l'instant de s'abîmer dans l'eau hostile redresse et hérisse partout ses écailles à rebrousse-poil.

Un plaisir plus grand encore se ressent dans la sensation de proximité avec l'homme, qui cependant n'oublie jamais tout à fait d'être écrivain. Ces fragments sont du ressort de l'intime, comme des conversations au coin du feu que l'on voudrait avoir eues avec le vieil homme (2). Mais intime ne veut pas dire apathique, ou ennuyeux. L'ironie, l'humour, pour tout dire les humeurs de l'auteur sont bien présentes:

La notion utile de livre sans auteur, introduite dans la librairie, en officialisant un secteur de littérature industrielle, permettrait à la clientèle de masse, dans les bibliothèques de gare et de métro, d'aller à l'imprimé comme on va au cinéma du samedi soir, sans se poser de questions de provenance embarrassantes ou importunes.
Mais – j'y songe – c'est déjà fait. Si l'on parcourt de l'œil l'éventaire d'une librairie de gare, il est clair que le nom de l'auteur n'est plus aujourd'hui sur la couverture, neuf fois sur dix, que l'équivalent du nombril au milieu du ventre: quelque chose dont l'absence se remarquerait, mais qui ne saurait a priori inciter personne à une quelconque recherche de paternité.

Attila

(1) Je n'ai pas trouvé déjà numérisée la couverture de ce deuxième volume, mais je vous conseille de faire un tour sur le site de l'éditeur, qui propose un riche espace dédié à Julien Gracq et à la présentation de ses œuvres.
(2) Je dis ça par rapport à sa disparition récente, qui m'a marqué: Gracq n'avait guère que... 64 ans en 1974.