Les feuilles pas mortes

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mercredi 16 juillet 2014

Karoo - Steve Tesich

karoo.jpg Publié chez Monsieur Toussaint Louverture en 2012 pour sa traduction française et disponible en poche aux éditions Points, Karoo a fait couler beaucoup d'encre et a régulièrement été mis en avant par les libraires, et ce sans promotion médiatique de fou puisque Steve Tesich est décédé avant la publication de cet ouvrage et que l'ouvrage est publié par un éditeur estimé mais peu médiatisé. Avant toute chose, je profite donc de ce billet pour remercier Monsieur Toussaint Louverture de nous faire découvrir de tels textes et de se battre pour leur diffusion. J'aime beaucoup cette maison d'édition et vous encourage donc à visiter leur site et à acheter (presque les yeux fermés) leurs ouvrages.
Alors pour faire bref, ça se passe aux States et raconte la chute d'un anti-héros sur la fin qui réécrit des scripts pour le cinéma, un homme en pleine crise de "je ne suis plus aussi jeune que je le voudrais et je suis un raté". A ce stade-là, généralement, les hommes noient leur détresse dans la dive bouteille. C'est déjà triste, c'est déjà glauque mais là, pour Saul Karoo, c'est encore pire! Car tout ce qu'il avait malgré tout pas trop mal réussi, même malgré lui, va lui échapper, de sa pseudo-intégrité professionnelle à sa presque non-relation filiale, en passant par, et ça c'est un vrai drame, sa façon de noyer sa lucidité dans l'alcool. Parce que non seulement il a une vie de merdouille et il en est conscient, mais en plus il ne connaît plus les brouillards de l'ivresse. Non, rien du tout! même après un nombre incroyable de verres! Et ça, c'est la vraie loose, la vraie de vraie. Non, sérieusement Tesich a torturé son personnage, lui faisant vivre tout ce qu'il pouvait lui arriver de pire, en pleine lucidité! C'est bien vu, c'est féroce, c'est- oserais-je le dire, drôlement horrifiant. Pour ceux qui ne l'auraient toujours pas lu, si vous aimez les histoires de vrais loosers, courez-y! Oui, parce que là, et j'en ai lues des histoires de super loosers, anti-héros aux cheveux gras et tristes, à la bedaine torturée et aux relations familiales proches du néant, Karoo est hors-compétition, indéniablement.
J'émettrai juste un petit bémol sur la fin du roman, que j'ai trouvée très décevante. Peut-être parce que le reste est très bien, peut-être parce que l'auteur est mort trop tôt pour la retravailler. C'est dommage, parce que sinon, c'est é-nor-me!


J'étais de nouveau au vin rouge; j'avais commencé par ça en arrivant à la fête. Entre-temps, j'avais avalé toutes les sortes de boissons alcoolisées servies sur place. Vin blanc. Bourbon. Scotch. Trois vodkas différentes. Trois cognacs différents. Champagne. Liqueurs diverses et variées. Grappa. Rakija. Deux canettes de bière mexicaine et plusieurs coupes de lait de poule aromatisé au rhum. Le tout sur un estomac vide, et malgré ça, hélas, trois fois hélas, j'étais toujours sobre comme un chameau.


A ma plus grande horreur, je vis que je pesais cent douze kilos.
J'en restai bouche bée.
Quoi!
Je n'avais jamais, de toute ma vie, pesé cent douze kilos. Même tout habillé, avec de grosses chaussures et beaucoup de monnaie dans mes poches, je n'avais jamais, au grand jamais, été au-delà des cent kilos.
Abasourdi, je fixai le chiffre. Je le fixai comme j'aurais contemplé les chefs d'accusations totalement fictifs de crimes que je n'aurais pas commis.


D'après elle, tous mes problèmes, sans exception, sont causés par le chaos qui règne dans mon subconscient. Mon alcoolisme. Mon infidélité conjugale. Ma triste performance de père. Mes mensonges constants, à moi-même et aux autres. Ma pathétique barbe hirsute. Mon indifférence face aux sentiments des autres. Mon manque de respect pour mon apparence physique.
"Mais regarde-toi!" s'exclame-t-elle, et je sens les yeux des quatre du mur de Berlin se tourner pour se fixer sur moi. "Tu deviens gros, chéri. Vraiment, tu sais. C'est vrai. Tu n'es plus seulement en surcharge pondérale. Tu es gros, mon chou. Je ne vois même pas la chaise sur laquelle tu es assis. Pour ce que j'en vois, il n'y a pas de chaise. Pour ce que j'en vois, tu es juste affalé, avec tes coudes sur la table. Et cette malheureuse barbe que tu te fais pousser ne trompe personne. Tous les hommes qui ont honte de leur apparence physique se font pousser la barbe. Surtout les gros. Au rthme où tu y vas, Dieu nous en garde, tu vas bientôt te mettre à porter des cols roulés noirs, en plus. Et pourquoi ça? Tu sais pourquoi? Tu veux le savoir?"


Grimmy

dimanche 16 mars 2014

Les Chaussures italiennes - Henning Mankell

chaussuresitaliennes.jpgVoici un livre qui m'avait été conseillé plus d'une fois. Je l'ai donc offert à mon père puis le lui ai emprunté pour le lire. Son verdict : "il est bien mais sans plus". Le mien : "ben zut alors, j'aurais mieux fait de lui acheter autre chose, encore une déception".
Oui, j'ai été déçue, entre autres parce que j'ai eu quasi en permanence l'impression de lire un scénario de film gentillet où l'on nous répète à l'envi que la vie, c'est précieux (ah bon), qu'il faut en profiter et qu'il n'est jamais trop tard pour renouer avec des personnes qui ont marqué nos vies. Et je passe les scènes, oui, les scènes, où le lecteur imagine très bien comment on pourrait filmer le bousin. Et puis chaque personne est caractérisé par une manie ou un accessoire. Pour faire juste, pour faire vrai, pour décrire facilement, comme ça c'est simple : chacun rentre dans sa petite case de pas tout-à-fait dans les normes. Et puis, je vous passe le pseudo mystérieux événement qui a fait basculer la vie de notre personnage principal. On le sent venir à plein nez. Zéro surprise, non, zéro (à part une au milieu, peut-être). Et en plus, c'est triste (parce que la vieille chienne meurt, la vieille chatte meurt, la jeune déprimée meurt, la vieille malade ex-amour de jeunesse meurt), bref, c'est dur la vie et les vieux meurent tous un jour, rien de nouveau sous le soleil. Non, le plus grand mystère, qui se dissipe vers le milieu du livre, c'est le rapport avec le titre du livre, si tant est que ce soit très important...
Bon, vous l'aurez compris, j'ai été agacée. Oui, agacée par ce roman qui "fait le job" (situation initiale - élément déclencheur- péripéties - situation finale un peu ouverte, personnages que l'on pourrait qualifier d'atypiques, bribes d'humour, séquences émotion, style très fluide) mais qui m'a semblé, in fine, extrêmement surfait et superficiel. J'en attendais peut-être trop. Bon, je vous en mets quelques extraits quand même :

Dans un autre temps, juste après la catastrophe, il m'est arrivé, oui, de vouloir en finir. Pourtant, je ne suis jamais passé à l'acte. La lâcheté a toujours été une fidèle compagne de ma vie.

Quand Harriet, avec son déambulateur vert, est entrée dans le rectangle de lumière qui tombait sur la neige, j'ai eu l'impression de la voir comme dans un rayon de lune se reflétant sur l'eau.

J'avais compris qu'un pourboire excessif était aussi humiliant, pour mon père, qu'un pourboire trop modeste, ou même qu'une absence de pourboire. Quoi qu'il en soit, il l'avait transformé en chapeau rouge pour ma mère.



Grimmy