Les feuilles pas mortes

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vendredi 1 septembre 2023

Les étoiles s'éteignent à l'aube - Richard Wagamese

etoiles
Les étoiles s'éteignent à l'aube est un roman de Richard Wagamese. Cet auteur ojibwé fut le premier lauréat indigène d'un prix de journalisme national canadien. Il nous a malheureusement quitté en 2017, à l'âge de 61 ans.

Pour le coup, il s'agit d'un énorme coup de cœur littéraire. J'ai tout aimé dans ce roman : l'intrigue, la quête initiatique, la finesse, la poésie. Je l'ai emprunté en bibliothèque mais je l'ai tellement apprécié que je crois que je vais l'acheter pour notre maison (et ça, croyez-moi, c'est qu'il m'a vraiment beaucoup plu car j'essaye plutôt de limiter mes achats car zut, les livres, ça en prend de la place à force!).

La quête : un adolescent de 16 ans est appelé par son père qui souhaite aller mourir au cœur de la montagne canadienne, là où l'on enterre les guerriers.
Les protagonistes : un jeune homme élevé par un tuteur assez âgé, un homme ravagé par l'alcool et par la vie, la nature canadienne, la culture indienne.

La langue : une langue assez condensée, dure, très juste, avec de très belles évocations poétiques.

Si vous ne l'avez pas lu, je vous invite à vous y plonger. Ce roman est magnifique car au fur et à mesure que le jeune Franklin Starlight chemine et prend connaissance de l'histoire de son père et de ses origines, le lecteur découvre ou redécouvre l'histoire de l'identité indienne.Je vous souhaite une belle découverte !

- J'vais t'accompagner sur la piste un bout de temps. Tu vas le trouver malade. Tu le sais, non? Le vieil homme le fixa d'un regard sérieux et il remit le portefeuille dans la bavette de sa salopette. - J'l'ai déjà vu malade. - Pas comme ça. - J'pourrai faire face. - Faudra bien. Va pas croire que ça va être rose. - Ca l'a jamais été. Quand même, c'est mon père.


- Tes grands-parents étaient tous les deux des sang-mêlé. On était pas des Métis comme on appelle les Indiens français. On était tout simplement des sang-mêlé. Des Ojibwés. Mélangés à des Ecossais. Des McJib. C'est comme ça qu'on nous appelait. Personne ne voulait de nous. Ni les Blancs. Ni les Indiens. Alors tes grands-parents et eux comme les autres ne faisaient que suivre le travail et ils essayaient de s'en sortir le mieux possible. On campait dans des tentes ou on squattait les terrains broussailleux que personne voulait ou des cabanes abandonnées, des remises, des trucs comme ça. Jamais une vraie maison.


Il entendait l'ours rôder doucement le long de la rivière, faisant tomber des pierres et poussant des grognements de fond de gorge.
- Qu'est-ce que tu vas faire? maugréa son père. - On peut pas courir, dit le garçon. Il enleva le sac de son dos, le laissa tomber par terre derrière l'arbre. Y faut l'affronter. - T'es fou? - Y va bien falloir. - Y va te tuer. - Si j'ai la trouille, c'est possible. - T'as pas la trouille? - Si. Mais il a pas besoin d'le savoir.


Editions Zoé, 20 € Disponible en édition poche chez 10/18

jeudi 21 novembre 2013

Glamorama - Bret Easton Ellis

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Après American Psycho, lu trois ans auparavant, je me suis attaquée cet été à Glamorama (publié en 98, il précède donc l'ouvrage le plus célèbre de l'auteur). Je l'avais acheté par hasard, lors de la visite d'une librairie de livres anciens et d'occasion (ou bouquinerie très bien rangée si vous préférez). Je n'aime pas sortir les mains vides, l'ai vu, c'était un gros poche pas très cher (3 € officiellement, moins finalement car le libraire est sympa), j'en avais entendu parler, bref.

Depuis il occupait patiemment l'étagère des poches en attendant un moment propice. Pour les gros poches qui ont vécu et qui sont un peu "rébarbatifs" (cad écrits petits et serrés), le moment propice chez moi ce sont les vacances d'été avec une longue période de camping qui permet de lire avec une lampe torche le soir ou le matin sous la tente ou au bord de la rivière ou sous un arbre. En gros, pour l'été, il me faut de gros livres qui ne craignent rien et qui surtout ne me laissent pas le choix (je lis ça ou rien du tout, donc ça). Je me rends compte en écrivant que je ne suis pas très engageante pour cet ouvrage alors que je l'ai lu, qu'Attila l'a lu, que nous en avons beaucoup discuté.

Glamorama en fait, c'est comme American psycho pour le style et certaines scènes (il y a du trash, ça met longtemps à démarrer, le lecteur est si inondé de détails et de dialogues oiseux qu'il peine à retenir ce qui est important pour comprendre ce qu'il se passe -j'ai d'ailleurs dû relire tout le départ car j'ai compris en cours de lecture que j'avais raté des indices importants), mais avec des paillettes, dans le monde du glamour et des stars. Ces dernières sont aussi vides que des pantins, elles souffrent, agissent, subissent et agacent. Pas de matière, pas d'élan romanesque, pas de psychologie, nada. Nada de chez nada.

Et malgré tout, une fois prise dans le roman, je voulais comprendre, savoir où j'allais être amenée. Selon moi, c'est cela qui fait l'intérêt de ce roman : on peut faire un roman sur du vide, en démontant des icônes populaires, en torturant ce que l'on peut voir comme "du rêve américain" (je veux dire, les stars, mannequins, acteurs, etc, sont adulées, vénérées, ce sont des modèles de réussite désignés par et pour la population) et en se jouant des lecteurs en réutilisant les mêmes codes, les mêmes recettes que celles des industries dénoncées.

Ceux qui veulent lire un roman glamour avec des paillettes ne l'auront pas, ceux qui cherchent une critique virulente du système médiatique la trouveront peut-être (et encore?), ceux qui aiment le vide apprécieront. Quant à nous : Attila en concluait que l'auteur est un nihiliste et qu'il ne voyait pas trop l'intérêt, je crois plutôt que le roman est intéressant, au moins en tant que témoignage d'une pseudo-époque, en tant que phénomène éditorial et en tant qu'"attrape-lecteurs". Bret Easton Ellis reste pour moi un très bon réalisateur de mises en abyme complexes.

Quelques extraits :

- Tu te souviens de cette période pendant laquelle tu n'arrêtais pas de te massacrer les cheveux et de les teindre de toutes les couleurs, et que tu n'arrêtais pas de pleurer? - Victor, j'étais suicidaire, dit-elle en sanglotant. J'ai failli faire une overdose. - Baby, le fait est que tu n'as jamais perdu un booking. - Victor, j'ai vingt-six ans. Ca fait cent cinq ans en années-mannequin.

Chloé se perd dans son reflet sur un miroir situé de l'autre côté de la pièce, alors que Brad Pitt et Gwyneth Paltrow la félicitent du choix de son vernis à ongles, et progressivement nous nous éloignons l'un de l'autre, et ceux qui ne prennent pas de drogues allument des cigares, et donc j'en prends un moi aussi, et quelque part au-dessus de nous, nous contemplant, les fantômes de River Phoenix et de Kurt Cobain et de ma mère s'ennuient totalement, absolument.

- Pourquoi moi, Bobby? Pourquoi avoir confiance en moi? - Parce que tu penses que la bande de Gaza est probablement un groupe de rock. Parce que tu penses que l'OLP a enregistré les chansons "Don't Bring Me Down" et "Evil Woman". Silence jusqu'à ce que le téléphone sonne.

Glamorama est disponible chez 10-18 en poche pour 10,20 € (ou 9,69 si vous avez les 5% de remise).

Grimmy