Les feuilles pas mortes

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

lundi 17 février 2014

Au coeur des ténèbres - Joseph Conrad

coeurtenebres.gif Je ne vous ferais pas l'affront de vous présenter Joseph Conrad (Wikipedia le fera très bien pour moi au cas où vous souhaiteriez réviser vos classiques anglais). C'est un auteur dont j'aime la plume, que je trouve vive et expressive. J'avais déjà pris du plaisir en lisant Nostromo (qui est très long) et me suis donc lancée gaiment dans Au coeur des ténèbres (ben oui, faut bien y aller gaiment, car c'est tout sauf une lecture gaie).

Vous aimez l'aventure, le goût du risque et de la sueur, côtoyer une folie "exotique"? L'Afrique noire et le commerce de l'ivoire vous intrigue? Si oui, vous devriez apprécier Au coeur des ténèbres (si non, vous pouvez essayer quand même, le risque est limité finalement quand on lit). Pour ma part, j'ai aimé, sans tout comprendre (faut dire aussi que parfois je lis la nuit ou tôt le matin et que mes yeux et mon cerveau sont quelque peu endormis). Le texte est court, percutant et réussit bien à transmettre une ambiance malsaine, mystérieuse, envoûtante.

Le texte a été édité dans la collection L'Imaginaire de Gallimard. J'aime cette collection mais y ai vu quelques coquilles (des mots oubliés surtout), dommage pour un ouvrage publié par une grande maison (ah là là, tout se perd, ma bonne dame, tout se perd). Ceci dit, l'édition est très agréable (joli papier, texte aéré et intéressante suggestion de lecture pour ceux qui ont aimé Au coeur des ténèbres) et propose en bonus sur un dvd le film Apocalypse Now. Un joli cadeau pour 12€50.

Quelques extraits apéritifs :

Il était le seul d'entre nous qui courût encore les mers. Le pis qu'on eût pu dire de lui, c'est qu'il ne représentait pas son espèce. C'était un marin, mais un vagabond aussi, alors que la plupart des marins mènent, si l'on peut ainsi s'exprimer, une vie sédentaire.


Une terreur aveugla avait tout dispersé, hommes, femmes, enfants, dans la brousse : et ils n'étaient jamais revenus. J'ignore ce qu'il advint des poules.


"Ne soyez pas si sûr de votre affaire... L'autre jour, j'en ai chargé un qui s'est pendu en route. Et c'était un Suédois!.. - Pendu! m'écriai-je. Et pourquoi, grands dieux!" Il ne détourna pas son regard vigilant. "Que sais-je!... Sans doute en avait-il assez du soleil ou du pays peut-être..."



Et pour aller plus loin (en digestif donc) :
une page d'un passionné de romans d'aventure,
une page-ressource sur l'auteur,
la page wikisource proposant ses ouvrages
une lecture de la nouvelle

Grimmy

lundi 6 décembre 2010

Le Livre de la jungle - Rudyard Kipling

livredelajungle.jpg Du Livre de la jungle, je ne connaissais que les personnages du dessin animé de Disney et quelques unes de leurs chansons dont "Il en faut peu pour être heureux". Je ne crois même pas avoir vu en entier le dessin animé (ou alors j'étais trop jeune). C'est effarant de se rendre compte que l'on croit connaître certaines oeuvres alors que l'on en a juste quelques clichés. Enfin, il n'est jamais trop tard pour revoir ses fondamentaux et c'est donc avec plaisir que j'ai lu Le Livre de la jungle, dans une traduction française de 1899.

Le livre de la jungle est un recueil de nouvelles. Alors, bien sûr, on y retrouve Mowgli, Bagheera et Baloo, mais l'histoire est déjà bien différente de celle contée par Disney. Je vous passe les détails comparatifs car il faudrait que je visionne le dessin animé en entier auparavant pour le faire sérieusement. Sachez juste que les singes n'ont pas de roi et sont un peuple sans loi, que Baloo est plus dur avec son jeune élève que dans le dessin animé et qu'à l'inverse, Bagheera est plus tendre.

413px-T2JB023_-_Bagheera_would_lie_out_on_a_branch.JPG
Mais Le Livre de la jungle comprend aussi d'autres nouvelles, mettant en scène d'autres animaux : des phoques aux mulets en passant par les éléphants. Parmi ces nouvelles, j'ai découvert une petite pépite : Rikki-tikki-tavi, l'histoire d'une petite mangouste qui combat les cobras. Les autres m'ont peut-être un peu moins plu mais j'ai apprécié cette lecture.

350px-T2JB323_-_Rikki-Tikki-Tavi_title_illustration.JPG
Ces nouvelles sont d'autant plus intéressantes qu'elles montrent en permanence l'interaction entre le monde des animaux et celui des hommes, le rapport au pouvoir et aux lois (qui sont différentes selon les groupes), l'importance de la nature et de la culture. Les histoires de Kipling sont portées par des personnages à la frontière du monde humain et animal : Mowgli n'est ni un homme ni un loup, Rikki-tikki-tavi est une mangouste apprivoisée, etc..

Voici un lien où vous pourrez trouver les textes du Livre de la jungle :

Et voici quelques extraits :

- Je m'en vais, dit Tabaqui tranquillement. Vous pouvez entendre Shere Kan, en bas, dans les fourrés. J'aurais pu me dispenser du message.
Père Loup écouta.
En bas, dans la vallée qui descendait vers une petite rivière, il entendit la plainte dure, irritée, hargneuse et chantante d'un tigre qui n rien pris et auquel il importe peu que toute la jungle le sache.


- Mangeur de Moules ! Mangeurs de Moules ! Mangeur de Moules!
Il savait que Sea Vitch n'avait jamais pris un poisson de sa vie, mais déterrait toujours des coquillages et des algues, quoiqu'il se fît passer pour personnage terrible. Comme de juste, les Chickies, les Gooverooskies et les Epatkas - Mouettes-Bourgmestres, Mouettes tachetées et Plongeons - qui cherchent toujours l'occasion d'être impolis, reprirent le cri, et comme Limmershin me l'a dit, pendant près de cinq minutes on n'eût pas entendu un coup de fusil sur Walrus Islet. Toute la population piaulait et criait :
- Mangeur de Moules !


Ceci est l'histoire de la grande guerre que Rikki-tikki-tavi livra tout seul dans les salles de bains du grand bungalow, au cantonnement de Segowlee. Darzee, l'oiseau-tailleur, l'aida et Chuchundra, le rat musqué, qui n'ose jamais marcher au milieu du plancher, mais se glisse toujours le long du mur, lui donna son avis; mais Rikki-tikki fit la vraie besogne.


Grimmy

jeudi 22 avril 2010

Jane Eyre - Charlotte Brontë

bbbbbbbbbb

C'est lors d'une vente de livres publique organisée par la bibliothèque municipale (au passage s'il y en a par chez vous, n'hésitez pas, ce sont les livres dont la bibli se sépare parce qu'elle n'a plus de place ou parce qu'ils ne sortent pas assez - il y avait de belles affaires en albums et en beaux livres) que j'ai acheté ce livre. J'avais lu Les Hauts de Hurlevent d'Emily il y a longtemps et avais snobé Jane Eyre (trop "fille", selon mes a priori). Mais là, c'était l'occasion et je l'ai embarqué.

Pour rappel, Jane Eyre est une Anglaise orpheline qui est élevée dans sa famille puis dans un pensionnat strict avant de partir enseigner chez un particulier. Elle est jeune, cultivée et spirituelle. Notez bien que je n'ai pas ajouté le qualificatif "belle" car c'est bien là que réside un des charmes du roman. L'héroïne n'a pas toutes les qualités "conte de fées" requises et c'est d'autant plus intéressant de suivre ses aventures et de voir comment cette pauvre enfant va faire pour épouser l'homme qu'elle aime.

J'ai dû le lire en trois jours, tellement j'étais emportée par l'élan romanesque de ce livre. Oui, l'histoire est classique, oui il y a des passages moralistes et truffés de références bibliques, oui c'est un peu cousu de fil blanc, mais la plume de Charlotte Brontë possède un tel souffle que tout se déroule sans accroc. Les descriptions sont savoureuses et c'est avec un réel plaisir que l'on suit les personnages. Ces derniers ont de l'épaisseur, du corps et prennent vie. Vraiment un très bon roman classique. Laissez-vous porter également par le souffle de Jane Eyre, dépaysement assuré !

Grimmy

vendredi 5 mars 2010

Le manuscrit Hopkins - R.C. Sherriff

manuscrit_hopkins.jpg N'avez-vous jamais envisagé qu'un de ces jours la lune pourrait bien nous tomber sur le coin du nez ? Quelles conséquences pour notre bonne vieille terre ? Et pour nous, malheureux croquants qui y traînons nos pieds inconscients ? Bouleversement géologique, écologique, climatique, humain !

C'est une telle situation qu'imagina Robert Cedric Sherriff dans ce roman publié en 1939. Le préfacier proclame – ainsi que le bandeau rouge qui reprend ses propos en échos : « Un classique majeur de la science-fiction britannique ». Je suis peu versé dans la littérature anglo-saxonne ; dans la S.F encore moins. Mais c'est le problème avec ce genre un peu fourre-tout... Précisons bien qu'ici on est plus proche de Cyrano de Bergerac (Savinien, of course) que d'un truc un peu caricatural comme Star Wars (je ne vais pas me faire des potes, je sais).

Voilà la situation. Un manuscrit est trouvé dans les ruines de Notting Hill. Il est exploité et présenté dans un de ses bulletins archéologiques par la Société Royale d'Abyssinie. Ce texte, écrit à la première personne, raconte l'avant et l'après catastrophe: il s'agit du journal de Mr Edgard Hopkins, Anglais du XXe siècle, éleveur de poulets de son état et en sus membre de l'éminente Société britannique de la lune. D'appartenir à ce prestigieux club de savants lui donne le douteux privilège d'être au courant, avant tout le monde, de l'imminence de la catastrophe: vue l'ampleur du désastre, les foules doivent être tenues dans l'ignorance... Ou comment un « péquenot », vieux garçon un peu borné, est amené à devenir, pour le futur, le seul témoin d'un changement radical de l'ordre du monde.

C'est ainsi que nous est parvenu le Manuscrit Hopkins, ce fragile, ce solitaire cri d'angoisse qui perce les ténèbres grandissantes de l'Angleterre moribonde – cri infiniment pitoyable, tant il montre l'étroitesse d'esprit, l'égocentrisme de son auteur. Comme la flamme d'une allumette dans la nuit du désert, il jette une lueur sur les reliques d'une nation qui fut puissante. Voilà pourtant tout ce qu'il en reste et peut-être tout ce que nous aurons jamais pour nous rappeler ce peuple, qui connut la gloire.
Nous savons que Jules César envahit la Grande-Bretagne ; le fait est gravé dans une pierre inaltérable, en Italie, mais ce qui advint ensuite demeure un mystère que nos savants ne résoudront sans doute jamais.

L'artifice littéraire du « manuscrit trouvé dans une bouteille » donne une profondeur au texte qui n'est pas sans faire penser, précisément, à ces « Classiques » du XVIIIe siècle. On y retrouve d'ailleurs ce même genre d'humour, né de la distance qui s'installe entre le « Je » narratif, abusé par ses erreurs, ses défauts, ses préjugés, et la présence de l'auteur invisible. La prose est enlevée, les descriptions nerveuses et précises. Le rythme est particulièrement bien retranscrit par la traduction fluide de Virginia Vernon et Daniel Apert. Avec en plus une division en courts chapitres, on a du mal à lâcher le bouquin une fois qu'on y a goûté.

Un mot sur l'édition elle-même, enfin: bravo, mille bravos à l'Arbre vengeur (1) pour ce travail. L'ouvrage est d'un très beau standing: couverture à rabats, papier épais et éclatant, mise en page subtile et esthétique, etc. J'en passe: je ne parlerai ni de la largeur des marges, de l'absence de coquilles, du choix des polices ni de quelques autres détails qui font la différence. Le confort et le plaisir de lecture sont surprenants.

Attila

(1) Voici le lien vers le site de l'Arbre vengeur, « l'éditeur qui cache la forêt ».