Les feuilles pas mortes

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mercredi 6 septembre 2023

Tout le monde sait que ta mère est une sorcière - Rivka Galchen

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Publié aux éditions Dalva, Tout le monde sait que ta mère est une sorcière de Rivka Galchen relate une enquête menée au XVIIe siècle autour de Katharina Kepler, veuve accusée de sorcellerie. Son fils Johannes est un célèbre mathématicien de la cour impériale mais malgré cette position très honorable, la pauvre Katharina Kepler est victime d'accusations, de jalousies, de rumeurs obscurantistes.

L'autrice canado-américaine s'est inspirée d'un procès réel et j'ai trouvé ce livre particulièrement réussi car il montre bien la mécanique à l’œuvre lors des accusations de sorcellerie : rumeurs, choix d'un bouc émissaire, impossibilité de se défendre, complicité silencieuse des habitants,... Le lecteur construit ainsi son opinion et ressenti en lisant le point de vue de l'accusée, celui d'un de ses voisins et des extraits de déclarations officielles lors de l'enquête. Avec une écriture somme toute assez clinique (parfaite pour bien voir les rouages), Rivka Galchen offre ainsi une belle réflexion sur la rumeur, sa force et son injustice.

Je pense que je lirai d'autres livres de Rivka Galchen car ce fut une très belle découverte pour moi.

Je commence ici mon récit, avec l'aide de mon voisin Simon Satler, car je ne sais ni lire ni écrire. Je maintiens que je ne suis pas une sorcière, que je n'ai jamais été une sorcière et que je ne suis apparentée à aucune sorcière. Dès mon plus jeune âge, cependant, j'ai eu des ennemis.


J'ignore si elle a empoisonné Ursula Reinbold ou non. C'est une rumeur. Fondée ou non. Je sais qu'Ursula affirme que Katharina lui a fait boire du vin empoisonné. Et je sais que Katharina nie, dit que le vin avait peut-être tourné, mais qu'il n'était pas empoisonné.


Tout le monde sait que la mère d'Hans est une sorcière et tout le monde le sait depuis longtemps. Si seulement nous avions pris la situation plus au sérieux. Nous pensions qu'il s'agissait d'un jeu, de paroles en l'air. Je pensais que c'étaient des bêtises d'écolier. Je pensais que les gens racontaient des histoires, alors qu'ils disaient la vérité.



édité chez Dalva, 23 €

vendredi 1 septembre 2023

Les étoiles s'éteignent à l'aube - Richard Wagamese

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Les étoiles s'éteignent à l'aube est un roman de Richard Wagamese. Cet auteur ojibwé fut le premier lauréat indigène d'un prix de journalisme national canadien. Il nous a malheureusement quitté en 2017, à l'âge de 61 ans.

Pour le coup, il s'agit d'un énorme coup de cœur littéraire. J'ai tout aimé dans ce roman : l'intrigue, la quête initiatique, la finesse, la poésie. Je l'ai emprunté en bibliothèque mais je l'ai tellement apprécié que je crois que je vais l'acheter pour notre maison (et ça, croyez-moi, c'est qu'il m'a vraiment beaucoup plu car j'essaye plutôt de limiter mes achats car zut, les livres, ça en prend de la place à force!).

La quête : un adolescent de 16 ans est appelé par son père qui souhaite aller mourir au cœur de la montagne canadienne, là où l'on enterre les guerriers.
Les protagonistes : un jeune homme élevé par un tuteur assez âgé, un homme ravagé par l'alcool et par la vie, la nature canadienne, la culture indienne.

La langue : une langue assez condensée, dure, très juste, avec de très belles évocations poétiques.

Si vous ne l'avez pas lu, je vous invite à vous y plonger. Ce roman est magnifique car au fur et à mesure que le jeune Franklin Starlight chemine et prend connaissance de l'histoire de son père et de ses origines, le lecteur découvre ou redécouvre l'histoire de l'identité indienne.Je vous souhaite une belle découverte !

- J'vais t'accompagner sur la piste un bout de temps. Tu vas le trouver malade. Tu le sais, non? Le vieil homme le fixa d'un regard sérieux et il remit le portefeuille dans la bavette de sa salopette. - J'l'ai déjà vu malade. - Pas comme ça. - J'pourrai faire face. - Faudra bien. Va pas croire que ça va être rose. - Ca l'a jamais été. Quand même, c'est mon père.


- Tes grands-parents étaient tous les deux des sang-mêlé. On était pas des Métis comme on appelle les Indiens français. On était tout simplement des sang-mêlé. Des Ojibwés. Mélangés à des Ecossais. Des McJib. C'est comme ça qu'on nous appelait. Personne ne voulait de nous. Ni les Blancs. Ni les Indiens. Alors tes grands-parents et eux comme les autres ne faisaient que suivre le travail et ils essayaient de s'en sortir le mieux possible. On campait dans des tentes ou on squattait les terrains broussailleux que personne voulait ou des cabanes abandonnées, des remises, des trucs comme ça. Jamais une vraie maison.


Il entendait l'ours rôder doucement le long de la rivière, faisant tomber des pierres et poussant des grognements de fond de gorge.
- Qu'est-ce que tu vas faire? maugréa son père. - On peut pas courir, dit le garçon. Il enleva le sac de son dos, le laissa tomber par terre derrière l'arbre. Y faut l'affronter. - T'es fou? - Y va bien falloir. - Y va te tuer. - Si j'ai la trouille, c'est possible. - T'as pas la trouille? - Si. Mais il a pas besoin d'le savoir.


Editions Zoé, 20 € Disponible en édition poche chez 10/18

mardi 4 octobre 2022

Faire surface - Margaret Atwood

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De Margaret Atwood, j'avais déjà lu Captive. Par contre, je n'ai toujours ni lu ni regardé La Servante écarlate. Cette romancière, poète et essayiste est née en 1939 à Ottawa, au Canada et fait partie de mon top des plumes contemporaines (oui, je vais créer mon top, rien qu'à moi, sans quota, que de la pure subjectivité), pour son regard acéré sur la société et les relations humaines.

Comme je ne sépare jamais l’œuvre de la femme, j'ajouterais que je ne suis guère étonnée de voir qu'elle est fille de zoologiste. Je trouve à son écriture un aspect assez clinique, un peu froid. Aucun jeu sur le pathos, mais des faits et des informations, qui demandent au lecteur un petit travail de décryptage. Pour le coup, c'est une technique d'écriture très efficace et subtile puisque la lectrice que je suis aime quand on demande à son cerveau de reconstituer une lecture à partir d'éléments.

Faire surface date de 1972. Ce roman raconte à la première personne le parcours d'une femme qui revient sur les lieux de son enfance, sur une île, à la frontière entre le Canada et les Etats-Unis. Son père a disparu et ce retour aux sources se fait en compagnie de trois personnes : son compagnon et un couple d'amis.
Sur la quatrième de couverture, l'éditeur de la traduction française, Laffont, qualifie ce récit de "moitié enquête policière, moitié thriller psychologique" et de livre "que l'on peut décrire comme un polar œdipien". Alors, oui, pourquoi pas. De mon côté, j'ai trouvé que ce roman était si riche, si inattendu (au sens vrai, on ne s'attend pas à un déroulé précis, comme dans un bon policier bien mené) qu'il était bien difficile de le catégoriser.
Alors oui, le lecteur (désolée, je ne suis toujours pas passée à l'écriture inclusive, je reste bloquée au siècle dernier) se demande pourquoi elle vient là, qui sont les gens qui l'accompagnent, où est passé le père disparu, c'est vrai. Mais, au final, le lecteur accompagne lui aussi cette femme et découvre son univers, qu'il soit extérieur (on y découvre un mode de vie assez ascétique, en lien très fort avec la nature) ou intérieur (cette femme, qui n'est pas volubile, est elle aussi un mystère). D'ailleurs son prénom importe peu, le regard, bien que d'un point de vue interne, est presque extérieur, dépersonnalisé.
Si vous avez envie de lire un récit subtil et fort, un de ceux qui vous font réfléchir, qui vous laisse une impression d'incompréhension (et ça, c'est fortiche car nous ne sommes pas du tout dans un récit qui se résout totalement, alors qu'il a une véritable fin), vous pouvez courir les yeux fermés (mais attention au poteau!) chez votre libraire préféré ou dans votre médiathèque chérie.

Je l'ai lu dans l'édition Pavillon poche de Laffont, dans la traduction Marie-France Girod. Le livre coûte 8,90 euros et se trouve assez facilement en bibliothèque (sinon vous pourrez toujours l'ajouter aux suggestions d'achat).

Quelques extraits pour mettre l'eau à la bouche (je voulais mettre la larme à l’œil, mais ça ne marche pas) :

Nous n'avons pas apporté de carte car je savais que nous n'en aurions pas besoin. "Il faut demander", dis-je. L'auto fait marche arrière puis nous roulons dans la rue principale jusqu'à un coin où se trouve un magasin de journaux et de bonbons.
"Vous voulez parler de l'ancienne route, dit la femme avec seulement un soupçon d'accent. Il y a des années qu'on l'a fermée, celle qu'il faut prendre c'est la nouvelle." Je lui achète quatre cornets de crème glacée à la vanille parce qu'on n'est pas censé demander sans rien acheter.



D'une voix basse, Anna dit : "Il n'aime pas me voir sans maquillage", puis, se contredisant : "Il ne sait pas que je me maquille." J'ai un aperçu du subterfuge que cela implique, ou bien est-ce du dévouement : doit-elle chaque matin avant qu'il ne soit réveillé se glisser hors du lit et le réintégrer le soir après que les lumières sont éteintes? Peut-être que David fait de pieux mensonges; mais elle estompe si savamment les fonds qu'il peut ne rien avoir remarqué.


J'ai tourné l'anneau au doigt de ma main gauche, souvenir; il me l'avait donné, de l'or tout simple, il disait qu'il n'aimait pas l'ostentation, cela nous facilitait l'accès aux motels, ouvreur de porte; entre-temps je le portais autour du cou, passé dans une chaîne.


Grimmy

samedi 22 mai 2010

Tsubaki - Le poids des secrets 1 - Aki Shimazaki

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A force de lire des billets élogieux sur la blogosphère, j'ai eu grandement envie de découvrir ce cycle de romans qui traite du Japon pré et post Nagasaki en mêlant habilement la petite et la grande histoire. C'est donc avec grand plaisir que j'ai accueilli ce livre voyageur quand Clara l'a proposé.

Aki Shimazaki est une écrivaine née au Japon qui est partie vivre au Canada dans les années 80. Elle vit actuellement à Montréal et a choisi d'écrire dans sa langue d'adoption. Tsubaki est le premier opus d'une pentalogie qui raconte l'histoire d'une famille japonaise et de ses secrets.

Nous entrons dans ces secrets de famille grâce à la narratrice qui nous donne à lire la lettre que sa mère, Yukiko, lui a laissée après sa mort. Autant vous dire que ce roman se lit avec autant d'avidité et d'émotion que si l'on en était le destinataire direct ! Je n'en dirai pas davantage, pour ne pas gâcher le plaisir des futurs lecteurs de Tsubaki.

Enfin si, je vais en dire un peu plus. L'histoire de Tsubaki se lit avec d'autant plus de plaisir et d'intérêt que la narration (qui est presque à double-voix) est très bien menée. Peu à peu le lecteur découvre des personnages touchants, en demi-teinte, qui parlent d'eux bien sûr, mais qui proposent aussi des réflexions sur la vie, la guerre, les bombes atomiques. Pas de pathos ni de sentiments larmoyants, pas de verbiage, rien de trop. L'auteur ne joue pas de fioriture mais manie une écriture pure et limpide qui rend la lecture savoureuse.

En refermant le livre, je n'ai eu qu'une envie, lire les suivants. Je remercie donc chaleureusement Clara pour cette découverte !

Quant à la guerre et à la bombe atomique tombée sur Nagasaki, ma mère refusait d'en parler. De plus, elle me défendait de dire à l'extérieur qu'elle était une survivante à la bombe.


- Grand-mère, pourquoi les Américains ont-ils envoyé deux bombes atomiques sur le Japon?
- Parce qu'ils n'en avaient que deux à ce moment-là, dit-elle franchement.

Grimmy