Les feuilles pas mortes

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mardi 7 octobre 2014

Le Bourgeois de Paris - Fiodor Dostoïevski

lebourgeoisdeparis.jpg Inutile de présenter Dostoïevski (Wikipédia le fera très bien à ma place). Par contre, lire ses impressions sur Paris, la grande, la belle, la magnifique, la polluée, est un bon moyen, pour nous occidentaux, de nous rhabiller pour l'hiver (ça tombe bien, il commence à faire frisquet).
Nous remercions donc vivement les éditions Rivages poche de nous proposer dans sa petite bibliothèque ce texte publié pour la première fois en 1863 dans la revue "Vremia".

Selon Fiodor, Paris serait la ville la plus "morale et la plus vertueuse du monde". Ses habitants, les bourgeois de Paris, s'effaceraient s'ils le pouvaient, cachés derrière leurs moeurs hypocrites.

La devise "Liberté, égalité, fraternité"? Pas de liberté sans argent : "Un homme sans un million n'est pas celui qui fait ce qui lui plaît, mais celui dont on fait ce qui plaît." L'égalité devant la loi "peut et doit être considérée par tout Français comme une injure personnelle" et la fraternité ne se décrète ni ne se crée, surtout pas dans une société occidentale ayant poussé très loin le principe de l'individu, de la conservation de soi. En six mots : Paris ne portera pas le socialisme. Paris ne mérite pas sa devise.

Les Français, selon Fiodor, sont pleutres, liés à l'état. Ils goûtent de trop l'éloquence et la préfèrent à l'action. L'hypocrisie sociale se retrouve même dans la cellule familiale. Les mariages ne doivent en effet rien à l'amour ou à une certaine inclination mutuelle, mais tout à "l'égalité absolue des poches". Quant aux besoins du bourgeois, parlons-en! L'amour et l'eau fraîche, on oublie. Non, le bourgeois n'en a cure. Lui, il veut "voir la mer", aime "se rouler dans l'herbe" (ben oui, c'est tellement chouette quand on quitte la ville) et ne pourrait vivre sans le mélodrame. Poin poin poin. J'avoue, j'ai trouvé ce texte drôle et enlevé. Je vous laisse juger.

Voilà pourquoi un titre de roman comme "la femme, le mari et l'amant" n'est plus possible dans les circonstances actuelles, parce que les amants n'existent pas et ne peuvent pas exister. Et s'il y en avait à Paris autant que de grains de sable dans la mer (et il y en a peut-être plus), quand même, il n'y en a pas, et il ne peut pas y en avoir, puisqu'on en a convenu et décidé ainsi; car la vertu brille partout.


Amasser de l'argent, et posséder le plus d'objets possible, voilà le paragraphe principal du code de la morale, voilà le catéchisme du Parisien.


Le Russe est sceptique et moqueur, disent de nous les Français, et c'est vrai.


Se rouler dans l'herbe est même deux fois, dix fois plus doux, si on le fait sur sa propre terre, achetée avec l'argent acquis par son travail.



Grimmy

lundi 12 décembre 2011

A quatre mains - Paco Ignacio Taibo II

aquatremains.jpgAuteur hispano-mexicain, Paco Ignacio Taibo II fait partie de ces auteurs qui ont réussi à m'intriguer juste par leur nom. Oui, déjà un nom à rallonge, avec un chiffre (dit-on "dos" ou "el segundo"? C'est "el segundo" en fait), c'est déjà un peu mystérieux (c'est qu'il y eut un Paco Ignacio Taibo I, qui était-ce? - son père, écrivain). Rajoutez à cela le fait d'être édité dans la collection Rivages noirs, d'avoir écrit une bio de Che Guevara et d'apparaître comme un "écrivain engagé" (oui, il y en a encore !), et vous comprendrez pourquoi j'achète ses livres, pour moi ou pour offrir.

Après avoir lu Jours de combat et Ces morts qui dérangent (écrit avec le sous-commandant Marcos), je me suis donc attaquée à A quatre mains (le roman, pas la BD, cela viendra). Comment décrire ce roman? En gros, c'est un néo-polar mexicain désabusé, drôle et bigrement bien construit (pour les fans de résumé, vous en trouverez un ). En détail, il faut le lire pour l'apprécier et je ne peux que vous en proposer plusieurs miettes apéritives. Si, en tant que lecteur, vous n'aimez pas les grosses ficelles-hameçons-aux-lecteurs, n'en avez rien à faire de vous identifier ou non aux "héros", n'attendez pas de bons sentiments et appréciez l'autodérision et la construction fine des récits, vous pouvez courir chez votre libraire (profitez-en, avant que la TVA ne passe à 7%), en attendant, les miettes ! :

Toute ressemblance avec la réalité est de la responsabilité de la réalité qui d'ailleurs, comme l'a bien noté Paco Urondo, est de plus en plus étrange ces temps-ci.


Son anglais était toujours aussi primaire. Il semblait l'avoir appris dans une méthode conçue par Tarzan avec l'aide d'Erich von Stroheim.


Le gros refusa la cigarette que je lui offrais. Il ne fumait pas en travaillant, expliquant que cela le rendait nerveux. Heureusement qu'il travaillait peu et fumait dans toutes les autres occasions. Une fois, je trouvai même ses cendres à côté du siège des W-C chez moi à Los Angeles : il ne voulut jamais s'en expliquer, malgré toute la délicatesse de mes questions : fumait-il pendant qu'il chiait?


Il fallait être foncièrement bête pour penser que la vie finissait à quatre-vingts ans, se dit Longoria, et idiot, évidemment, pour penser qu'elle ne commençait pas avec le premier sanglot. Il lui restait deux possibilités : continuer son combat à mort contre l'Etat ou devenir poète. Il n'était pas sûr que la poésie fût ce qui lui convenait le mieux.


Ah oui, je vous conseille aussi la lecture de cette analyse de Nicolas Balutet, parue dans la revue L'Art d'aimer. Elle ne parle pas en détail de "A quatre mains", mais met bien en évidence le jeu entre le réel et la fiction que met en place Paco Ignacio Taibo II (Pit II pour les intimes) dans ses romans, afin de dénoncer le réel. Je vous invite également à consulter l'article réalisé sur le futur regretté Bibliosurf :http://www.bibliosurf.com/Paco-Taibo-II.

Bon, j'hésite un peu mais ne résiste pas à vous proposer aussi de lire cette interview de Pit II, où il affirme le pouvoir de la littérature :

Je suis ce que je lis. Et dire que la littérature fait partie d’une autre dimension est complètement erroné : la littérature c’est la vie, et pas autre chose. Il n’y a pas le monde fantastique d’un côté et le monde réel de l’autre. Lire c’est une partie du monde réel, ça s’incorpore au monde réel. Je suis que je suis parce qu’à l’âge de cinq ans, je lisais Robin des bois. De la même manière que je suis qui je suis parce que je pense que le président du Mexique est un idiot. Lire, c’est une partie d’être.


Et puis, ici, vous trouverez des anecdotes bien drôles sur ses éditeurs, bon, maintenant, je sors, promis.

Grimmy

jeudi 15 juillet 2010

Shutter Island - Dennis Lehane

shutterisland.jpg De Dennis Lehane je connaissais Mystic River, que j'avais aimé et dont j'avais apprécié l'adaptation cinématographique. J'ai découvert Shutter Island dans le sens inverse en voyant d'abord son adaptation avant de le lire.

Pour ceux qui seraient passés à travers le battage médiatique fait autour de Shutter Island à sa sortie, il s'agit d'une histoire en quasi huis clos qui se passe sur un îlot dédié aux patients psychiatriques, au large de Boston. Nous sommes dans les années 50 et voyons débarquer deux hommes sur l'île : Teddy Daniels et Chuck Aule. Ils sont venus enquêter sur la disparition d'une patiente du centre. Cette enquête va les mener au coeur de la folie.

Ici encore Denis Lehane signe un roman qui se lit d'une traite. Le lecteur suit l'enquête menée par Teddy et se laisse prendre au jeu (littéraire). J'aime bien quand les auteurs jouent ainsi avec les frontières (rêve/réalité, passé/recréation,...). Cela ajoute toujours une dimension intéressante. Le film est une très bonne adaptation, mais je crois que le lecteur se fait bien plus avoir que le spectateur du film, à moins de se montrer très attentif dès le début.

Un bon roman, très bien ficelé que je conseille donc vivement. Le film de Scorcese est bon également. Je trouve que deux des grandes critiques portées sur ce film sont injustifiées. En effet, on lui a reproché sa longueur (alors que chaque plan a une signification) et une version esthétisante des camps de la mort (j'avais même lu que c'était un élément non présent dans le livre, alors qu'il y est). Pour moi, les choix du réalisateur sont justifiés, on le ressent d'autant plus en lisant attentivement le texte original. Mais certains critiques ont la plume ou le clavier trop rapide et ne prennent pas le temps de bien regarder les films ni de bien lire les textes. En voici quelques extraits :

Mais ce jour-là, le ferry ne transportait pas de patients à l'asile; ses seuls passagers étaient Teddy et son nouveau coéquipier, Chuck Aule, ainsi que quelques sacs de courrier et plusieurs caisses de fournitures médicales.


- Il était quelle heure?
- Minuit deux minutes et trente-neuf secondes.
Chuck haussa les sourcils.
- Vous avez une horloge dans le ventre?
- Non, m'sieur, mais j'ai appris à regarder l'heure au moindre problème.

- Vous croyez qu'on lui a fait la leçon? s'enquit Chuck.
- Pas vous ?
- C'est vrai, son discours paraissait un peu forcé.



Grimmy