Les feuilles pas mortes

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mardi 26 juin 2012

Je suis le tigre sur tes épaules - Günter Ohnemus

 C'est parce que sa couverture m'a plu et parce qu'un(e) bibliothécaire l'avait bien mis en avant sur une étagère que j'ai emprunté ce livre. Günter Ohnemus est un auteur allemand, ancien éditeur et libraire, qui est surnommé, depuis ce titre, le Salinger allemand (excusez du peu !).

Bon, autant vous le dire tout de suite, je trouve la comparaison avec Salinger forcée. On repassera donc si l'on recherche un texte âpre et buriné. Ici, il s'agit plutôt d'une jolie histoire d'amour entre deux adolescents très attachants et favorisés (ils brillent d'intelligence, de beauté, d'humour, so perfect - ils peuvent se goinfrer de glace tout en gardant la ligne et une peau impeccable, c'est vous dire !). Le texte est bien écrit, le récit bien mené et c'est donc avec plaisir que l'on suit les confidences de Vincent. Le temps de cette lecture, j'ai pu retrouver mes 15 ans... (en édulcorant beaucoup). C'est doux et "un peu de douceur dans un monde de brutes", cela ne se refuse pas

Mais les parents de Tiffany sont sacrément riches. Sa mère spécule en Bourse et son père construit des stations d'épuration en Californie. D'ailleurs, leur piscine est à peu près aussi grande qu'une station d'épuration.

Toutes les autres filles étaient à moitié nues et Susanna gardait le haut de son maillot. Je veux dire, je ne suis pas non plus du genre puritain maniaque, mais je trouve ça idiot quand les gens font comme si un sein n'était ni plus ni moins qu'un gros orteil. Quand on discute avec une fille qui a les seins nus, c'est à peu près aussi embarrassant que quand on est assis dans le train en face d'un couple qui s'embrasse allègrement en public. On ne sait pas où regarder.


Les garçons ne sont pas beaux. Je veux dire, ils peuvent parfois être pas trop mal, mais il n'y a rien chez eux qui pourrait faire perdre la tête à qui que ce soit. Et les garçons ne sont pas non plus particulièrement intéressants. (...). Et quand, pour une fois, ils ont vraiment quelque chose d'intéressant à dire, alors ils crânent comme c'est pas permis. Je trouve que les garçons n'ont vraiment rien de spécial. Je crois sincèrement que si j'avais été une fille j'aurais été lesbienne.



Grimmy

lundi 25 juin 2012

L'Annulaire - Yôko Ogawa

annulaire.jpg Yôko Ogawa est une auteure (remarquez que je fais l'effort de mettre un e à la fin même si je trouve cela profondément laid) japonaise prolifique, dont l'oeuvre a été récompensée par des prix prodigieux (cela fait beaucoup de pro pour une intro).

Dans L'Annulaire, on entre très vite dans un univers bien inquiétant : un laboratoire discret où travaille la narratrice en tant qu'employée de bureau depuis qu'elle a perdu un bout de son annulaire dans la limonade (brrr, déjà associer un élément aussi rassurant que la limonade à un accident de travail dans une usine, c'est assez fortiche). Peu de personnes s'activent dans ce laboratoire très calme : la narratrice, son chef, M. Deshimaru, et deux vieilles dames, anciennes pensionnaires de l'ancien foyer de jeunes filles transformé en laboratoire de specimen. Oui,nous y venons, il ne s'agit pas ici d'un banal laboratoire d'analyse sanguine ou même d'expérimentation, non, ici on fabrique des specimen, à partir de souvenirs douloureux dont les clients souhaitent se détacher. Peu à peu le récit glisse et s'enferme ainsi dans un univers fantastique, inquiétant et aliénant. J'ai apprécié ce récit parfaitement maîtrisé qui ne tombe pas dans la facilité et se clôt en laissant le lecteur-voyeur un peu frustré de ne pas savoir ce qu'il se passe dans le laboratoire au sous-sol.

Ici, il n'y a ni ordres, ni obligations, ni règlements, ni slogans, ni services, ni réunion du matin. (...). J'aime beaucoup le laboratoire. Si c'était possible, j'aimerais y rester pour toujours. Je crois que M. Deshimaru m'y autoriserait.


Je n'avais aucune raison de refuser ce qu'il me réclamait. Je pensais qu'il était tout à fait naturel et anodin de marcher pour le remercier de m'avoir offert cette paire d'escarpins, mais il me semblait que dans le fond d'une baignoire c'était un peu trop singulier.


La cuisine est petite, mais elle contient toutes sortes de boissons et de gourmandises afin de répondre aux attentes de la clientèle. Mon travail est aussi de savoir à la vue du client ce qui peut lui plaire. La seule chose que je n'ai pas, c'est de la limonade.



Grimmy

mercredi 29 février 2012

L'appât - José Carlos Somoza

appat.jpg José Carlos Somoza est un auteur que j'avais découvert et apprécié grâce à La Caverne des idées, aussi quand j'errai désoeuvrée dans une librairie et que je vis son dernier opus (bon, c'était il y a bien 4 mois), je l'ai acheté, malgré la remarque d'Attila : "Tu prends ça?" (grosse moue devant la couverture). C'est vrai que la couverture ne nous appâte pas vraiment (en même temps, objectivement, c'est une bonne couverture : du rouge, du sombre, un univers fantastique et un sein qui pointe, ça peut ramener du chaland) mais connaissant Somoza, je ne prenais pas grand risque.

D'ailleurs le risque en valait la chandelle car j'ai passé un bien agréable moment avec ce roman qui nous entraîne dans une ambiance madrilène post-post-moderne, dans une sorte de thriller bien ficelé (j'aurais pu écrire haletant mais c'eut été un peu trop publipub) et regorgeant de références shakespeariennes. En somme, un roman divertissant qui se révèle être un bel hommage (ou une déclaration d'amour si vous préférez) au théâtre, et plus particulièrement au théâtre shakespearien. En tous cas, cela m'a donné bien envie de relire ou de revoir des pièces de théâtre.

Je ne vous ai donc toujours pas dit de quoi parlait ce roman : de théâtre, de masques, de pulsions, de types, de crimes et d'amour, le tout à travers la course contre la montre que mène Diana Blanco, appât professionnel formée à la technique des "masques", afin de protéger sa jeune soeur d'un monstrueux méchant.

L'homme semblait normal, ce qui me fit penser qu'il était dangereux. Sa maison, ou celle où il me conduisit en la présentant comme telle, donnait la même impression de normalité excessive : (...). L'intérieur sentait le propre et était rangé, ce qui m'intrigua également. Il m'avait dit qu'il vivait seul, et tout cet ordre chez un homme seul était inquiétant.

J'étais un monstre, et je le savais. C'était mon travail. (...). A la surface comme à l'intérieur, je devais être ce que le monstre souhaitait obtenir quand il mordait.

Le psynome ne peut être feint ou dissimulé : notre plaisir est une formule mathématique. Même si on essayait, les ordinateurs le découvriraient. Et quand la philia du délinquant est déterminée, nous les appâts nous réalisons des masques pour l'attirer.


Grimmy

samedi 17 juillet 2010

La Porte des enfers - Laurent Gaudé

laportedesenfers.jpg Je n'avais jamais lu de roman de Laurent Gaudé. L'envoi surprise de Clara (merci !) a réparé cette lacune.
La Porte des enfers conte la descente aux enfers d'un couple de Napolitains qui perd son enfant lors d'une fusillade à Naples. Pippo est victime d'une balle perdue en pleine journée, alors que son père, Matteo, l'amenait à l'école.

Le récit est bien construit, alternant entre deux époques et adoptant des points de vue différents (celui de Matteo, de Giuliana et de Pippo). L'auteur mêle habilement dans son récit la réflexion sur le deuil et la narration. L'écriture est fluide et bien menée.

Bien que très touchée par ce livre (mais je crois que vu le sujet, il est difficile de ne pas l'être), je n'ai pas eu de coup de coeur pour ce livre (ni pour cet auteur).

J'ai en effet été gênée par deux aspects du livre. Premièrement, je m'attendais à un roman napolitain et n'ai pas senti l'ambiance de cette ville dans le roman. Cela m'a un peu déçue mais ce n'est pas le plus important. Ce qui m'a le plus dérangée, c'est l'aspect didactique et la vision du monde proposée par l'auteur. La pauvre Giuliana est un personnage caricatural, qui se remplit de haine et qui, quand elle décide d'oublier sa vie de femme et de mère est condamnée par le narrateur. Dire que penser à nos morts les rassure dans l'au-delà peut être une option réconfortante pour ceux qui restent, mais jeter la pierre à ceux qui ne peuvent vivre avec leurs souvenirs, qui n'y parviennent pas me dérange. Le livre m'a laissé le même sentiment amer que la vision du film Mar adentro, où l'on mettait en parallèle deux malades incurables. L'un décidait de mourir avant que son état ne se dégrade trop, l'autre se raccrochait à la vie. Le film montrait clairement à la fin que le premier avait fait le bon choix. Je suis toujours gênée par ce procédé narratif car je le vois comme un procédé efficace pour argumenter mais aussi comme une négation de la liberté (ou non liberté) de choix et d'action de chacun. Enfin, après réflexion, je suis aussi un peu gênée par le fait que seuls les personnages masculins (travestis ou non) soient valorisés (bon, là, ok, c'est peut-être moi qui y suis un peu trop sensible).

Ceci dit, La Porte des enfers reste un texte intéressant, un bon roman qui traite avec pudeur et fantastique un thème difficile. Merci Clara de le faire découvrir.

Les amis, les collègues de la centrale des taxis, les voisins, tous ces gens prononçaent les mêmes mots, à voix basse sans attendre de réponse, comme on pose une offrande aux pieds d'une statue. Ils disaient merci. Ils disaient qu'ils étaient touchés. Ou ils ne disaient rien et serraient les mâchoires pour ne pas pleurer.


Il pleura sur la cruauté de la mort qui se joue ainsi des âmes pour asseoir son pouvoir et pour que ne règne sur son royaume sans fin, comme cela a toujours été, que le silence résigné de ceux qui ne savent plus ce que furent le désir, les larmes, la rage et la lumière, et qui marchent sans savoir où ils vont, creux comme des arbres morts dans lesquels siffle le vent.


" c'est la règle du pays des morts, continua Mazerotti. Les ombres auxquelles on pense encore dans le monde des vivants, celles dont on honore la mémoire et sur lesquelles on pleure, sont lumineuses. Elles avancent vers le néant imperceptiblement. Les autres, les morts oubliés, se ternissent et glissent à toute allure vers le centre de la spirale.".



Grimmy

dimanche 23 mai 2010

Gloire - Daniel Kehlmann

gloire.jpg Je ne connaissais pas Daniel Kehlmann et c'est un lisant un billet enthousiaste de Clara que j'ai eu envie d'héberger ce livre voyageur (merci Clara !).

Gloire est un roman en neuf histoires, neuf tranches de vie qui s'entremêlent habilement. Gloire médiatique, gloire trompeuse, gloire virtuelle, gloire perdue. Les différentes facettes de cette notion sont explorées dans ce roman mené de main d'orfèvre. La galerie de personnages est variée : un acteur dont le téléphone ne sonne plus, un anonyme dont le téléphone sonne, un auteur dont la conduite contredit les écrits, un autre qui se perd en asie,... Les hommes et leur rapport aux nouvelles technologies de communication, de médiatisation (allez, allons-y, de glorification) sont épinglés dans cette réflexion sur la gloire et ses illusions. Les mises en abyme sont également jubilatoires et permettent une réflexion sur l'écriture et l'auteur-démiurge.

Avant d'écrire ce billet, je suis allée voir l'article Wikipedia sur Daniel Kehlmann. J'ai trouvé intéressante la filiation de l'auteur, car en lisant son roman, j'ai souvent pensé que c'était une écriture assez cinématographique, qui transmettait à merveilles certaines ambiances. J'ai éprouvé un réel plaisir à cette lecture et suis heureuse d'avoir découvert cet auteur que je suivrai désormais. Je vous laisse en compagnie de quelques extraits :

Il y avait beaucoup de choses qu'Ebling n'aimait pas dans sa vie. Cela le gênait que sa femme ait toujours l'esprit ailleurs, qu'elle lise des livres aussi stupides et cuisine aussi mal. Cela le gênait que son fils ne soit pas intelligent et que sa fille lui soit à ce point étrangère. Cela le gênait d'entendre immanquablement les ronflements de son voisin à travers les cloisons trop minces. Mais ce qui le gênait par-dessus tout, c'étaient les trajets en métro aux heures de pointe. On était tellement à l'étroit, c'était toujours plein et jamais encore l'odeur n'avait été agréable.


Il faut dire qu'elle était enseignante et que l'expérience lui a appris ceci : le plus important est de ne pas se faire remarquer. Quiconque a de trop bons résultats d'examen devient suspect et sera soupçonné de fraude.


On les conduisit à une piscine plongée dans la pénombre d'un plafond en béton. L'eau semblait froide et sentait les produits chimiques. L'homme de La Repubblica demanda s'il pouvait faire quelques longueurs, leur guide répondit que c'était absolument impossible.


Grimmy

samedi 22 mai 2010

Tsubaki - Le poids des secrets 1 - Aki Shimazaki

tsubaki.jpg

A force de lire des billets élogieux sur la blogosphère, j'ai eu grandement envie de découvrir ce cycle de romans qui traite du Japon pré et post Nagasaki en mêlant habilement la petite et la grande histoire. C'est donc avec grand plaisir que j'ai accueilli ce livre voyageur quand Clara l'a proposé.

Aki Shimazaki est une écrivaine née au Japon qui est partie vivre au Canada dans les années 80. Elle vit actuellement à Montréal et a choisi d'écrire dans sa langue d'adoption. Tsubaki est le premier opus d'une pentalogie qui raconte l'histoire d'une famille japonaise et de ses secrets.

Nous entrons dans ces secrets de famille grâce à la narratrice qui nous donne à lire la lettre que sa mère, Yukiko, lui a laissée après sa mort. Autant vous dire que ce roman se lit avec autant d'avidité et d'émotion que si l'on en était le destinataire direct ! Je n'en dirai pas davantage, pour ne pas gâcher le plaisir des futurs lecteurs de Tsubaki.

Enfin si, je vais en dire un peu plus. L'histoire de Tsubaki se lit avec d'autant plus de plaisir et d'intérêt que la narration (qui est presque à double-voix) est très bien menée. Peu à peu le lecteur découvre des personnages touchants, en demi-teinte, qui parlent d'eux bien sûr, mais qui proposent aussi des réflexions sur la vie, la guerre, les bombes atomiques. Pas de pathos ni de sentiments larmoyants, pas de verbiage, rien de trop. L'auteur ne joue pas de fioriture mais manie une écriture pure et limpide qui rend la lecture savoureuse.

En refermant le livre, je n'ai eu qu'une envie, lire les suivants. Je remercie donc chaleureusement Clara pour cette découverte !

Quant à la guerre et à la bombe atomique tombée sur Nagasaki, ma mère refusait d'en parler. De plus, elle me défendait de dire à l'extérieur qu'elle était une survivante à la bombe.


- Grand-mère, pourquoi les Américains ont-ils envoyé deux bombes atomiques sur le Japon?
- Parce qu'ils n'en avaient que deux à ce moment-là, dit-elle franchement.

Grimmy