Les feuilles pas mortes

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Tag - Arbre vengeur

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dimanche 14 juin 2015

La Fleur rouge - Vsevolod Garchine

lafleurrouge.jpg Ce court récit de Vsevolod Garchine nous plonge dans un asile de Petite Russie (aujourd'hui l'Ukraine)à travers l'histoire d'un dément (dont nous ne connaîtrons ni l'identité ni le passé). Froid, clinique, mais poétique, ce court texte mérite le détour. Aucune excuse pour ne pas le lire : il est disponible aux éditions de l'Arbre vengeur au prix de 6€, sur wikisource et sur Youtube en version audio !



Le nouveau venu fut introduit dans la salle où se trouvaient les baignoires. Cette salle aurait pu causer une sensation de malaise à une personne saine : son effet sur une imagination troublée et excitée fut d'autant plus pénible.

- Vous savez où vous êtes? - Certainement, docteur; je suis dans une maison de fous. Mais, du moment qu'on le comprend, c'est absolument indifférent, absolument indifférent!"


Non loin du perron poussaient trois plants d'une espèce particulière de pavot, beaucoup plus petite que le pavot vulgaire, et s'en distinguant par l'éclat insolite de ses pétales rouges. C'était cette fleur qui avait frappé l'aliéné lorsque, le jour de son entrée à l'hôpital, il avait entrevu le jardin à travers la porte vitrée.

Grimmy

jeudi 1 novembre 2012

L'autofictif prend un coach - Eric Chevillard

autofictif-coach.jpg L'autofictif prend un coach fait partie des livres qui ont hanté (ou plutôt enchanté) mon chevet pendant 7 mois. Ca peut paraître beaucoup mais ce n'est pas tant que ça en fait car je le lisais bout par bout (histoire de bien savourer, je ne vous ai jamais raconté qu'enfant je pouvais passer trois-quart d'heure avec un Nougati?). Mais qu'est ce donc que ce livre rose avec un tigre à chapeau en couverture?
Il s'agit du journal presque intime d'Eric Chevillard (un auteur qui s'est battu pour avoir un tigre en couverture, plutôt qu'un ours sur un ballon ! Vouuuuui, c'est l'éditeur qui a cafté au SLP). Eric Chevillard, donc, qui aurait préféré un tigre, peut-être en clin d'oeil amical à la revue-journal-magazine Le Tigre (dont je vous déjà parlé précédemment) tient un blog que je vous recommande chaudement, L'Autofictif (allez-y cliquez, vraiment ça peut illuminer vos journées). De ce blog est extraite la substantifique moëlle de L'autofictif prend un coach, qui prend la suite de L'autofictif, L'autofictif voit une loutre, L'autofictif père et fils. Tous sont édités par les éditions de l'Arbre vengeur (que je vous recommande aussi, allons-y, c'est ma tournée aujourd'hui).
J'aime lire Chevillard sur son blog et j'aime également le lire bien après dans sa version papier, loin de mes écrans. J'espère que vous l'aimerez aussi.

Je me rengorge de mon importance à la pensée que le SAMU se tient prêt à intervenir vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour me sauver la vie.


Vaut-il vraiment mieux lire un auteur médiocre que ne pas lire du tout, comme je l'entends souvent dire? Plutôt mal manger que ne pas manger du tout, certes, mais on peut aussi préférer une nuit paisible à un débilitant cauchemar.


Qui dit alcool dans le sang dit aussi sang dans l'alcool et l'on conçoit mieux, d'un coup, l'hérésie du mélange.



Grimmy

dimanche 10 avril 2011

L'Homme armé - Alain Gnaedig

hommearme.jpg L'Homme armé est un roman noir enfumé (ou gris smocking) écrit par Alain Gnaedig et publié aux éditions de l'Arbre vengeur. Je ne connaissais pas les écrits de ce auteur et c'est une belle découverte. Si vous aimez le roman noir, l'ironie et les réflexions sur le destin, je crois que vous vous délecterez des aventures d'Andrew MacLachlan.

Point de résumé aujourd'hui, je vous laisse consulter la présentation de l'éditeur (ici) et celle de l'auteur (). Par contre, je peux vous dire que j'ai aimé ce roman mettant en scène un policier du XIXe siècle sur les traces du Mal. J'ai aimé son côté parodique, ses références culturelles subtilement amenées, j'ai aimé son ambiance et ses personnages enfumés et sulfureux (certains m'ont d'ailleurs fait penser qu'il serait agréable de relire Le Diable amoureux de Cazotte). J'ai aimé l'histoire, le style, l'écriture...
Bref, j'ai aimé ce roman et je suis un peu triste de l'avoir terminé et d'avoir ainsi quitté Andrew MacLachlan, Athanasius Scobie et Auld Reekie...

"Inspecteur... Gardez les yeux ouverts..."
En voyant le médecin, Andrew eut envie de les refermer. Un chirurgien, ce n'était pas bon signe. S'il n'était pas mort, cela ne tarderait sûrement pas.


- Kepler? Je le croyais astronome...
- Il était l'astrologue de Hans Hannibal Huetter von Huetterhoffen.
- A vos souhaits.


"Bonjour, inspecteur. Vous êtes écossais? Ah, l'Ecosse ! Walter Scott ! Formidable!"
MacLachlan ne sut que répondre.


Et pour ceux qui seront de passage (ou de villégiature) à Paname, sachez que vous pourrez rencontrer l'auteur en librairie le 30 avril (l'info se trouve ici).

Bonne découverte !

Grimmy

dimanche 20 février 2011

Dépendances – Géza Csáth

L'éclectisme et la grande qualité du catalogue de l'Arbre vengeur sont une nouvelle fois confirmés par cet ouvrage : intitulé Dépendances, il rassemble des pages écrites entre 1912 et 1913 dans son Journal par l'écrivain hongrois Géza Csáth. L'introduction, la traduction, l'annotation de Thierry Loisel sont de très bonne qualité, et permettent notamment une utile mise en perspective de l'œuvre, de même que la postface de Jean-Philippe Dubois, psychanalyste de son état. De fait, en ce début de vingtième siècle, l'Europe centrale assiste aux grands débuts de cette discipline nouvelle, et ceci n'est pas sans incidence sur le « sujet » Csáth, qui n'est autre le médecin de Budapest József Brenner écrivant sous pseudonyme.
big-csath2.png
« Érotomane. Graphomane. Morphinomane. Chacun de ces qualificatifs définit à un moment ou un autre la figure de Géza Csáth, homme aux multiples dépendances », proclame la 4è de couv'. On pourrait immédiatement penser à d'autres œuvres mettant en scène des descentes aux Enfers de ce type, comme le percutant Morphine, de Boulgakov, dont auteur et narrateur sont également tous deux médecins. Ces pages sont à la fois moins que ça, et bien plus : non fictionnelles, et autobiographiques. Bien sûr, au-delà de la nécessaire mise en forme qu'implique le fait de coucher sur le papier ses propres aventures, sans doute écrit-on toujours pour quelqu'un. Un écrivain forcené, comme le fut visiblement Géza Csáth, ne devrait d'ailleurs pas échapper à cette règle : l'écriture est une des drogues qui métamorphose le Dr Brenner en Mr Csáth.

Résonne alors à nos oreilles la voix chevrotante d'un autre toubib, qui ânonnait dans son pavillon de Meudon :

J'ai cessé d'être un écrivain pour devenir un chroniqueur, alors j'ai mis ma peau sur la table, parce que, n'oubliez pas une chose, c'est que la vraie inspiratrice, c'est la mort. Si vous ne mettez pas votre peau sur la table, vous n'avez rien ! Il faut payer !

Car, au moment de refermer le bouquin, l'impression marquante est celle d'avoir assisté à une effrayante expérience littéraire in vivo : c'est tout le poids de la « vraie vie » qu'on ressent, ses impérieuses nécessités, la force de la douleur, des sentiments, mais aussi la vanité et la vacuité même du quotidien. L'auteur (pardon pour lui!) apparaît comme un rat de laboratoire se heurtant aux parois de sa cage, accomplissant frénétiquement les mêmes tâches (écrire, baiser, se shooter), tout en répétant non moins frénétiquement – du moins à propos de la drogue – « j'arrête demain! ». Csáth est à la fois auteur et objet d'étude de Brenner, à moins que, et finalement c'est même plus probable, ce ne soit l'inverse. L'écriture fait penser à un protocole d'expérimentation : elle dissèque avec une ironie froide et tranchante, elle prélève avec les pincettes de l'euphémisme, elle observe sous la lumière blanche de la description clinique, elle tente de ranimer la volonté par les stimuli de l'auto-exhortation .

Mars 1913

12 Mars :

Échecs outrageants. Échecs. J'ai été incapable de réaliser mon plan jusqu'au bout. Et maintenant, alors que Sándor (qu'avec sa pleuritis et sans aucune assistance j'ai presque acculé au suicide par mon indifférence crasse) et que Gyula m'implorent et me supplient, désespérément, alors qu'Olga, soupirant, doucement, se plaignant, angoissée, sanglote à mes oreilles : « Alors toi, c'est ça que tu aimes plus que moi ! » – je me retrouve devant une tâche plus difficile que jamais. Parce que ces dernières semaines ma dose est montée en flèche, passant de 0,22 à 0,36 g. C'est là une quantité exorbitante, de plusieurs fois supérieure aux doses les plus importantes prises jusque-là. Et pourtant, bien plus que jamais, je dois m'y atteler définitivement et irrévocablement, car si à la date du 20 il n'y a aucun résultat, un vrai résultat, alors il ne restera plus pour moi que la désintoxication dans une institution fermée, ce qui impliquerait la totale cessation de mon travail en clinique.
Demain, par conséquent, dernière tentative, question de vie ou de mort.
1. – Il me faut uniquement penser à la facilité avec laquelle s'est déroulée la cure de désintoxication de décembre 1911, même si j'avais alors de sérieux doutes concernant sa réussite, alors que je sais maintenant que je ne tente pas l'impossible.
2. – Pense, József, au désespoir et au regard suppliant et terrifiant de la pauvre Olga.
3. – Pense à ces jours magnifiques, pleins de joie, qui suivront alors, juste comme pendant la période passée (de décembre 1911 à mai 1912).
4. – Pense combien ce sera beau de revenir à la vie, de travailler, de se réjouir de tout, de vivre, la vie réelle.
(...)
8. – Pense à ton avenir, que tu peux réduire au néant ou bien construire pour en faire quelque chose de grand et de magnifique.

En connaissant la fin de l'« histoire », on dirait, sur le fond, un monologue de quatrième acte de tragédie classique.

Attila

vendredi 14 mai 2010

L'oeil du purgatoire - Jacques Spitz

oeilpurgatoire.jpg

Pour présenter Jacques Spitz, je me permets de reprendre la présentation disponible sur Wikipedia :
Jacques Spitz est un écrivain français né en 1896 à Ghazaouet (Algérie) et décédé à Paris en 1963. Polytechnicien, ingénieur conseil, il écrivit plusieurs romans de science-fiction d'un modernisme étonnant.

Je ne connaissais pas du tout cet auteur quand ce livre m'a fait de l'oeil sur l'étagère de la librairie. L'oeil du purgatoire est un roman qui se situe entre le fantastique et la science-fiction. Le narrateur est un peintre désabusé qui va expérimenter une étrange découverte. Il va ainsi non pas voyager dans le temps ou dans l'espace, mais dans la causalité. Non, non, ne quittez pas, tout est très bien expliqué et Spitz réussit habilement à nous embarquer dans cette histoire novatrice. Il y invente un nouveau temps, un présent vieilli qui se dilate en permanence ! On s'en doute, le narrateur ne sera pas forcément enchanté de son odyssée.

Je convie allègrement les mordus de littérature fantastique au sens propre à embarquer dans ce voyage étrange. Je suis contente d'avoir découvert cet auteur dont les écrits n'ont pas beaucoup vieilli. Je vous laisse en juger par vous-mêmes :

Je lui en ficherai, moi, de la peinture claire ! Quelle idée se fait-il donc de moi? Du reste comme tous les marchands de tableaux, Gugenlaert ne comprend rien à la peinture... Personne ne comprend rien à la peinture, pas même ceux qui la font.


J'ai rangé mes toiles, mes pinceaux. Je laisserai ma palette propre. Les palettes des grands peintres, celles qu'on montre après leur mort, ressemblent toujours à l'assiette abandonnée par un amateur de camembert. J'épargnerai cet écoeurement à mes problématiques admirateurs.


Grimmy

vendredi 5 mars 2010

Le manuscrit Hopkins - R.C. Sherriff

manuscrit_hopkins.jpg N'avez-vous jamais envisagé qu'un de ces jours la lune pourrait bien nous tomber sur le coin du nez ? Quelles conséquences pour notre bonne vieille terre ? Et pour nous, malheureux croquants qui y traînons nos pieds inconscients ? Bouleversement géologique, écologique, climatique, humain !

C'est une telle situation qu'imagina Robert Cedric Sherriff dans ce roman publié en 1939. Le préfacier proclame – ainsi que le bandeau rouge qui reprend ses propos en échos : « Un classique majeur de la science-fiction britannique ». Je suis peu versé dans la littérature anglo-saxonne ; dans la S.F encore moins. Mais c'est le problème avec ce genre un peu fourre-tout... Précisons bien qu'ici on est plus proche de Cyrano de Bergerac (Savinien, of course) que d'un truc un peu caricatural comme Star Wars (je ne vais pas me faire des potes, je sais).

Voilà la situation. Un manuscrit est trouvé dans les ruines de Notting Hill. Il est exploité et présenté dans un de ses bulletins archéologiques par la Société Royale d'Abyssinie. Ce texte, écrit à la première personne, raconte l'avant et l'après catastrophe: il s'agit du journal de Mr Edgard Hopkins, Anglais du XXe siècle, éleveur de poulets de son état et en sus membre de l'éminente Société britannique de la lune. D'appartenir à ce prestigieux club de savants lui donne le douteux privilège d'être au courant, avant tout le monde, de l'imminence de la catastrophe: vue l'ampleur du désastre, les foules doivent être tenues dans l'ignorance... Ou comment un « péquenot », vieux garçon un peu borné, est amené à devenir, pour le futur, le seul témoin d'un changement radical de l'ordre du monde.

C'est ainsi que nous est parvenu le Manuscrit Hopkins, ce fragile, ce solitaire cri d'angoisse qui perce les ténèbres grandissantes de l'Angleterre moribonde – cri infiniment pitoyable, tant il montre l'étroitesse d'esprit, l'égocentrisme de son auteur. Comme la flamme d'une allumette dans la nuit du désert, il jette une lueur sur les reliques d'une nation qui fut puissante. Voilà pourtant tout ce qu'il en reste et peut-être tout ce que nous aurons jamais pour nous rappeler ce peuple, qui connut la gloire.
Nous savons que Jules César envahit la Grande-Bretagne ; le fait est gravé dans une pierre inaltérable, en Italie, mais ce qui advint ensuite demeure un mystère que nos savants ne résoudront sans doute jamais.

L'artifice littéraire du « manuscrit trouvé dans une bouteille » donne une profondeur au texte qui n'est pas sans faire penser, précisément, à ces « Classiques » du XVIIIe siècle. On y retrouve d'ailleurs ce même genre d'humour, né de la distance qui s'installe entre le « Je » narratif, abusé par ses erreurs, ses défauts, ses préjugés, et la présence de l'auteur invisible. La prose est enlevée, les descriptions nerveuses et précises. Le rythme est particulièrement bien retranscrit par la traduction fluide de Virginia Vernon et Daniel Apert. Avec en plus une division en courts chapitres, on a du mal à lâcher le bouquin une fois qu'on y a goûté.

Un mot sur l'édition elle-même, enfin: bravo, mille bravos à l'Arbre vengeur (1) pour ce travail. L'ouvrage est d'un très beau standing: couverture à rabats, papier épais et éclatant, mise en page subtile et esthétique, etc. J'en passe: je ne parlerai ni de la largeur des marges, de l'absence de coquilles, du choix des polices ni de quelques autres détails qui font la différence. Le confort et le plaisir de lecture sont surprenants.

Attila

(1) Voici le lien vers le site de l'Arbre vengeur, « l'éditeur qui cache la forêt ».