Les feuilles pas mortes

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lundi 12 décembre 2011

A quatre mains - Paco Ignacio Taibo II

aquatremains.jpgAuteur hispano-mexicain, Paco Ignacio Taibo II fait partie de ces auteurs qui ont réussi à m'intriguer juste par leur nom. Oui, déjà un nom à rallonge, avec un chiffre (dit-on "dos" ou "el segundo"? C'est "el segundo" en fait), c'est déjà un peu mystérieux (c'est qu'il y eut un Paco Ignacio Taibo I, qui était-ce? - son père, écrivain). Rajoutez à cela le fait d'être édité dans la collection Rivages noirs, d'avoir écrit une bio de Che Guevara et d'apparaître comme un "écrivain engagé" (oui, il y en a encore !), et vous comprendrez pourquoi j'achète ses livres, pour moi ou pour offrir.

Après avoir lu Jours de combat et Ces morts qui dérangent (écrit avec le sous-commandant Marcos), je me suis donc attaquée à A quatre mains (le roman, pas la BD, cela viendra). Comment décrire ce roman? En gros, c'est un néo-polar mexicain désabusé, drôle et bigrement bien construit (pour les fans de résumé, vous en trouverez un ). En détail, il faut le lire pour l'apprécier et je ne peux que vous en proposer plusieurs miettes apéritives. Si, en tant que lecteur, vous n'aimez pas les grosses ficelles-hameçons-aux-lecteurs, n'en avez rien à faire de vous identifier ou non aux "héros", n'attendez pas de bons sentiments et appréciez l'autodérision et la construction fine des récits, vous pouvez courir chez votre libraire (profitez-en, avant que la TVA ne passe à 7%), en attendant, les miettes ! :

Toute ressemblance avec la réalité est de la responsabilité de la réalité qui d'ailleurs, comme l'a bien noté Paco Urondo, est de plus en plus étrange ces temps-ci.


Son anglais était toujours aussi primaire. Il semblait l'avoir appris dans une méthode conçue par Tarzan avec l'aide d'Erich von Stroheim.


Le gros refusa la cigarette que je lui offrais. Il ne fumait pas en travaillant, expliquant que cela le rendait nerveux. Heureusement qu'il travaillait peu et fumait dans toutes les autres occasions. Une fois, je trouvai même ses cendres à côté du siège des W-C chez moi à Los Angeles : il ne voulut jamais s'en expliquer, malgré toute la délicatesse de mes questions : fumait-il pendant qu'il chiait?


Il fallait être foncièrement bête pour penser que la vie finissait à quatre-vingts ans, se dit Longoria, et idiot, évidemment, pour penser qu'elle ne commençait pas avec le premier sanglot. Il lui restait deux possibilités : continuer son combat à mort contre l'Etat ou devenir poète. Il n'était pas sûr que la poésie fût ce qui lui convenait le mieux.


Ah oui, je vous conseille aussi la lecture de cette analyse de Nicolas Balutet, parue dans la revue L'Art d'aimer. Elle ne parle pas en détail de "A quatre mains", mais met bien en évidence le jeu entre le réel et la fiction que met en place Paco Ignacio Taibo II (Pit II pour les intimes) dans ses romans, afin de dénoncer le réel. Je vous invite également à consulter l'article réalisé sur le futur regretté Bibliosurf :http://www.bibliosurf.com/Paco-Taibo-II.

Bon, j'hésite un peu mais ne résiste pas à vous proposer aussi de lire cette interview de Pit II, où il affirme le pouvoir de la littérature :

Je suis ce que je lis. Et dire que la littérature fait partie d’une autre dimension est complètement erroné : la littérature c’est la vie, et pas autre chose. Il n’y a pas le monde fantastique d’un côté et le monde réel de l’autre. Lire c’est une partie du monde réel, ça s’incorpore au monde réel. Je suis que je suis parce qu’à l’âge de cinq ans, je lisais Robin des bois. De la même manière que je suis qui je suis parce que je pense que le président du Mexique est un idiot. Lire, c’est une partie d’être.


Et puis, ici, vous trouverez des anecdotes bien drôles sur ses éditeurs, bon, maintenant, je sors, promis.

Grimmy

dimanche 27 novembre 2011

El ùltimo lector - David Toscana

el-ultimo-lector.jpgDavid Toscana est un auteur mexicain né en 1961, dont les ouvrages sont influencés par Borges, Cervantès, Onetti.

Je ne connaissais pas cet écrivain avant de lire El último lector, dans sa version française, traduite par François-Michel Durazzo et éditée par Zulma (avec encore une fois, une très belle couverture). Ce fut une agréable découverte car El último lector fait partie de ces romans intelligents qui réfléchissent (sur) la littérature, sans - et son originalité réside peut-être là- recourir à des personnages récurrents tels que l'écrivain, l'enseignant, etc. Non, là, el último lector, celui qui lit et élit les ouvrages est un bibliothécaire un peu particulier, un homme seul prénommé Lucio, dont la bibliothèque n'est absolument pas fréquentée et qui vit dans un petit village à l'abandon, Icamole. Un bibliothécaire sans lectorat qui ne brûle pas les livres qui le déçoivent (avec des critères bien à lui), mais qui les offre aux cafards, de la même manière que l'on pouvait sacrifier certains êtres en les jetant dans la fosse aux lions.

Ce lecteur perdure dans un village qui se meurt (sans littérature, la vie semble bien morne), dont l'(in)activité sera troublée par la découverte dans le puits de Remigio, le fils de Lucio, du corps d'une petit fille bien habillée et soignée. Que faire de ce corps? Comment s'en débarrasser sans être inquiété? Qui a déposé ce cadavre dans ce puits? Ces questions ne trouveront pas leur réponses, s'il y en a, dans l'enquête rondement menée par des détectives, mais dans les livres que connaît Lucio.

La littérature, la lecture, les interprétations, le rêve, la fiction et la réalité (qu'elle soit fictive ou historique), tout cela s'entremêle habilement dans le roman de David Toscana, créant ainsi une belle ode à la création littéraire.

Je vous invite à consulter la présentation du roman sur le site de l'éditeur, ainsi que cette note de lecture sur le site du CNL. Enfin, cette interview de l'auteur, en espagnol, nous éclaire également sur son rapport à la littérature.

Si une seule de ces femmes d'Icamole s'intéressait aux livres, les choses seraient différentes. Je viens voir quel livre vous me recommandez, don Lucio, et j'en profite pour vous apporter quelques tacos. Ou bien : Ma mère m'a envoyée chercher un roman et m'a demandé de vous apporter cette soupe. C'est comme ça pour les prêtres. Ce devrait être pareil pour moi.


Et l'insistance de Lucio se retourna contre lui, car lorsque le jour de l'ouverture de la bibliothèque eut lieu, les gens avaient déjà mille raisons d'être contre les livres : Les romans ne racontent que des choses qui n'existent pas, des mensonges. Si j'approche ma main du feu et que je me brûle, lui dit un homme, je me brûle. Si je me prends un coup de couteau, je saigne. Si je bois de la tequila, je me saoûle, mais un livre, ça ne fait rien, à moins qu'on me le jette à la figure! Ce raisonnement fit rire les gens et l'affaire fut entendue.


Je lis les livres un à un avant de décider si je les range sur les étagères ou si je les envoie en enfer. Ne me donnez pas d'explications, dit-elle, il y aura toujours plus de livres que de vie. Les imprimeurs pourraient faire grève pendant dix ans, personne ne le remarquerait. Savez-vous que, sur vingt-huit pages publiées, on n'en lit qu'une? Car il y a des livres qu'on offre à des gens qui ne lisent pas, d'autres échouent dans une bibliothèque sans lecteurs, on en achète pour remplir des étagères, certains sont offerts pour l'achat d'un autre produit, le lecteur se lasse dès le premier chapitre, ils ne sortent jamais de l'entrepôt de l'éditeur, ou bien les livres sont achetés sur un coup de tête.


Grimmy

samedi 6 février 2010

Ceux d'en bas - Mariano Azuela

azuela_ceuxdenbas.jpg Février 1913: Francisco Madero, tombeur du dictateur Porfirio Díaz à la tête de l'Etat mexicain, est assassiné par le général Huerta lors d'un coup d'Etat militaire. Les armées populaires révolutionnaires - Emiliano Zapata au sud du pays, Francisco "Pancho" Villa au nord - se soulèvent contre les fédéraux. Ce sont ces années d'instabilité et de guerre civile que raconte ce roman, vues de l'intérieur d'une troupe révolutionnaire villiste.

Ceux d'en bas est une épopée de pauvres gens, dans la mesure où ces termes peuvent constituer une expression contradictoire. Pas d'épithète homérique, bien sûr, mais simplement esquissés quelques traits de caractère, seulement mentionnés un surnom, une particularité physique... Avec une économie de moyens remarquable Azuela dresse un portrait parlant de ces acteurs de la Révolution mexicaine.

Il y a Demetrio Macías, le chef ombrageux ; Venancio, le compagnon avisé ; Margarito, l'éphèbe brutal et sanguinaire ; Valderrama, le fou un peu poète, ou l'inverse ; et bien d'autres encore: la Caille, le Négro, la Grosse, la Poudrée...

Et puis il y a Luis Cervantes, le « petit monsieur »: un bourgeois chirurgien qui a voulu faire dans sa chair l'expérience de ses idéaux révolutionnaires. C'est le double de l'auteur, qui nous expose dans une postface la genèse du récit:

Sous le nom de « Tableaux et scènes de la Révolution » j'ai ordonné de nombreuses notes que j'avais prises en marge des événements politico-sociaux depuis la révolution madériste jusqu'à présent. C'est à cette série qu'appartiennent les épisodes de mon récit « Ceux d'en bas », écrits en pleine lutte (...). Je pus satisfaire alors un de mes plus grands désirs, mener la vie des révolutionnaires authentiques, ceux d'en bas, car jusqu'alors mes observations s'étaient limitées au monde ennuyeux de la petite bourgeoisie.

Lors de la lecture, cette démarche littéraire se rappelle sans cesse à nous par l'utilisation d'une prose sèche, élémentaire, qui suit au plus près les aspérités des gens et des choses. La traduction d'Albert Bensoussan (le traducteur attitré de Mario Vargas Llosa chez Gallimard) conserve et transmet toute la force et l'éclat de cette écriture qui fait corps avec la beauté aride de la sierra mexicaine. Cette édition des Carnets de L'Herne propose par ailleurs, illustrant parfaitement le roman, des gravures de Diego Rivera et José Clemente Orozco: comme le texte elles sont d'un dépouillement évident, mais faussement naïf.

L'ironie et le détachement pessimiste de l'auteur ne sont en effet jamais loin, à tel point qu'on a pu considérer l'œuvre comme anti-révolutionnaire. Dans sa préface, Valéry Larbaud compare d'ailleurs Mariano Azuela à Tacite, pour la vigueur de son style et son économie de moyens. Mais peut-être une belle citation vaut-elle mieux qu'un long discours ? A vous de juger ! Moi je vous engage à tenter l'aventure aux côtés de ces farouches guerilleros: dépaysement garanti !

Du haut de la colline, on aperçoit un flanc de la Bufa, avec sa crête semblable à la tête empanachée d'un fier roi aztèque. Le versant, de six cent mètres, est jonché de morts, cheveux emmêlés, vêtements souillés de terre et de sang, et dans cet entassement de cadavres encore chauds, des femmes déguenillées vont et viennent comme des coyotes faméliques, fouillant et dépouillant.

Au milieu de la fumée blanche de la fusillade et des noirs tourbillons qui s'élèvent des édifices incendiés, on voit resplendir au soleil des maisons aux grandes portes et aux multiples fenêtres, toutes closes ; des rues entassées, se chevauchant en tournants pittoresques, à l'assaut des collines voisines. Et au-dessus de l'agglomération souriante se dressent un domaine aux sveltes colonnes, les clochers et coupoles des églises.

– Que la Révolution est belle, même dans sa barbarie, dit Solís avec émotion.

Attila