Les feuilles pas mortes

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lundi 3 juillet 2023

Les Filles d'Egalie - Gerd Brantenberg

les-filles-d-egalie Gerd Brantenberg est née en 1941 à Oslo. Elle a écrit Les Filles d'Egalie en 1977. Ce roman féministe a été pour la première fois traduit en français en 2021, par Jean-Baptiste Coursaud. Publié par la maison d'édition Zulma, l'ouvrage fait partie de la collection "Bibliothèque idéale des littératures européennes".

Imaginez un monde où les rapports homme / femme sont inversés, où ce sont les hommes qui pouponnent, qui se pomponnent et les femmes qui sont des marines-pêcheuses, dirigent des entreprises et décident. Imaginez un monde où ce n'est plus le masculin qui l'emporte, même en écriture. Bienvenue en Egalie ! où l'on ne dit pas "il fait beau", mais "elle fait beau", ni "il se peut que", mais "elle se peut que", etc.

Alors au début, c'est un peu perturbant, cette féminisation de la langue et cette inversion poussée jusqu'au bout des rôles. J'ai mis un peu de temps à m'habituer à cette langue "féminisée" (la force de l'habitude, tout ça) mais ce roman vaut vraiment le coup. Car en terre d'Egalie, nous ne sommes pas en terre d'égalité, non, non, non, mais les hommes sont opprimés par les femmes. Et c'est raconté avec un luxe de détails. Le tout est une sorte de roman-système avec un humour assez mécanique. Proche du roman initiatique également, Les Filles d'Egalie retrace le parcours de Petronius, jeune de quinze ans, fils de la Directrice Brame, de son premier bal des débutants à sa prise de conscience politique.


Une belle satire qui donne matière à penser, à réfléchir.

Brame secoua la tête d'indignation. Déesse du ciel! Et dire que ce genre de fadaises prenait tant d'importance dans sa vie! Les hommes faisaient décidément toujours des caprices. Quoique... Rut Brame devait admettre que Kristoffer était très affriolant avec sa belle barbe bien coiffée, toute douce et parfumée.


Kristoffer Brame né Enlise avait embrassé son quotidien d'homme au foyer avec amour et ardeur. Il débordait de gratitude en songeant qu'il bénéficiait d'une existence bien meilleure que celle de son père. Et malgré tout, de temps en temps, il éprouvait une pointe de regret de n'avoir jamais eu l'occasion de vivre sa passion pour la mécanique. Il avait à maintes reprises abordé le sujet devant son épouse qui, non sans un sourire oblique, lui avait répondu que rien ne l'empêchait de profiter de son temps libre pour se plonger autant qu'il voulait dans la lecture d'ouvrages consacrés à la mécanique.


Pourquoi en était-elle ainsi et comment cela avait-elle commencé? Pourquoi tremblaient-ils à l'idée de semer une graine dans la terre? Pourquoi acceptaient-ils que les femmes sachent cultiver la terre en vertu de leur seule nature? Pourquoi devaient-ils apprendre à l'âge adulte ce que les femmes apprenaient enfants? Pourquoi les règles étaient-elles une source de force alors que le sperme était une source de honte. Pourquoi en allait-elle ainsi? Pourquoi était-ce devenu ainsi? Qui l'avait inventé?



Editions Zulma Poche, 12 euros.

Pour aller plus loin : Masterclass sur la littérature norvégienne, avec Jean-Baptiste Coursaud (traducteur du roman ''Les Filles d'Egalie'').

jeudi 27 avril 2023

Vies arides - Graciliano Ramos

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Vidas secas, de Graciliano Ramos est un récit composé en 1938. Ecrit en portugais, je l'ai lu dans la traduction de Mathieu Dosse, éditée par les éditions Chandeigne en 2014 sous le titre Vies arides. Ce titre fait partie des classiques de la lecture brésilienne et fut adapté au cinéma en 1963 par Nelson Pereira dos Santos. Il relate, en 13 chapitres pouvant être lus presque indépendamment les uns des autres, la vie d'une famille pauvre brésilienne dans le sertão. Il fait sec, très sec et pour Fabiano le vacher, la vie est un perpétuel recommencement. Trouver un lieu de vie (ou de survie plutôt), de quoi manger et faire manger sa famille, fuir un lieu asséché et désolé dans l'espoir d'un possible nouveau futur.
Le style est réaliste et le propos, somme toute, très humaniste : cette famille échange peu, les enfants sont anonymes, la chienne Baleine est un personnage à part entière, symbole de la fatalité. Cette famille privée de tout (argent, études, mots) survit et reste debout, en mouvement, même quand le peu qu'elle a s'effondre.
Un récit très fort, sans complaisance, qui montre la vie rude et âpre des laissés pour compte.

- Marche, excommunié.
Le gamin ne bougea pas, et Fabiano eut envie de le tuer. Il avait le coeur lourd, il voulait trouver un responsable à sa détresse. La sécheresse lui semblait un fait nécessaire - et l'obstination de son fils l'irritait. Bien sûr, ce maigre obstacle n'était pas le coupable, mais il entravait leur marche, et le vacher devait arriver. Où? Il ne le savait pas.


Il était indispensable que les enfants prennent le droit chemin, qu'ils sachent couper le mandacaru pour le bétail, réparer les clôtures, dompter les bêtes. Il fallait qu'ils soient durs, qu'ils deviennent des tatous. S'ils ne s'endurcissaient pas, ils finiraient comme monsieur Tomas du moulin à roue. Le pauvre. A quoi ça lui avait servi tous ces livres, tous ces journaux? Il était mort à cause de son estomac malade et de ses jambes faibles.


En se comparant aux gens de la ville, Fabiano se jugeait inférieur à eux. C'est pourquoi il les soupçonnait de se moquer de lui. Il se renfrognait et fuyait les conversations. On ne lui parlait que pour lui soutirer quelque chose. Les marchands volaient sur la mesure, le prix et le compte. Son patron se livrait, avec une plume et de l'encre, à des calculs incompréhensibles. Lors de leur dernière rencontre, il y avait eu une erreur sur les chiffres et Fabiano, la tête en feu, indigné, avait quitté le bureau de l'homme blanc, convaincu d'avoir été volé. Il était lésé de toutes parts. Les vendeurs, les marchands et le propriétaire le dépouillaient, et ceux avec qui il n'avait pas d'affaire riaient de le voir passer en trébuchant dans les rues. Par conséquent, Fabiano évitait le contact avec ces gens-là. Il savait que ses habits neufs, coupés et cousus par sinha Terta, le faux col, la cravate, les bottines et le chapeau de feutre le rendaient ridicule, mais il ne voulait pas y penser.



Editions Chandeigne, 20 €.

mercredi 26 avril 2023

Le Château d'Udine - Carlo Emilio Gadda

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Le Château d'Udine de Carlo Emilio Gadda rassemble des textes assez disparates (écrits sur la première Guerre Mondiale, écrits de voyage, scènes de société). Le livre, publié chez Grasset dans la collection Les Cahiers Rouges, date de 1982 dans sa traduction française. L'écriture est très savante, précise, ciselée, ultra référencée. Je ne peux pas dire que j'ai follement aimé, car je crois que je n'avais ni les clés culturelles, ni la disposition d'esprit pour cette lecture, mais c'est de la très belle littérature, avec une langue inventive (et je crois qu'il vaut bien mieux la lire en parallèle en italien, afin de mieux s'immerger).

Les textes sont regroupés en quatre parties distinctes:Le Château d'Udine (sur la guerre), Croisière méditerranéenne, Paix et polémiques, Paix et polémiques dans le train express. Tous sont de petits joyaux littéraires, suivis de notes de commentaires de l'auteur (oui, on pourrait presque dire qu'il se glose lui-même) et accompagnés, en fin d'ouvrage de notes du traducteur (Giovanni Clerico), qui expliquent certains choix, variations de langue, etc.

A réserver pour une lecture attentive, après avoir révisé sa culture et littérature latine et italienne (il y a des pastiches et des références à gogo)!

Certains tombèrent malades, à force d'être en guerre. Moi aussi je tombai malade, à force de manger des conserves. En général, ils soignaient davantage leur tenue, et je trouve que cette politesse est un symptôme de lucidité, dans la détresse du malheur. Quelques-uns, qui portaient au poignet une gourmette d'or, moururent comme des enfants, en rêvant de Noël : une clarté, un sourire, flottaient sur leur visage. Et l'angoisse me ramène aux vains sentiers de la mémoire, mais tout se tait, alentour, et tout s'y assombrit.


Prisonnier, je me vis finalement comme cet être nul, parfaitement superflu, comme cette feuille morte qu'un vent de misère fait tournoyer dans la froidure, vers la joie de tous les pseudos-Dostoïevski de la terre nourricière, et pour mon infinie, crucifiante mortification. Puis la faim acheva de m'abrutir.


Il fut ainsi amené à songer à Luisa, longuement, tout en évitant d'instinct les trams les plus déglingués, bourrés pour l'heure comme des ruches, et les taxis fichtrement véloces.
Ce soir-là, Luisa avait dû préparer son cent trente)cinquième pouding de fiancée; à la semoule - ah, l'inégalable ménagère!-, elle substituait régulièrement de la farine de maïs (de deuxième choix).
Même l'adagio de la Pathétique, sous le toucher de ses doigts magiques, se transformait en un pouding.



Editions Grasset, 54 FF (oui, j'ai sous les yeux l'édition de 1982!).

mardi 25 avril 2023

Bons baisers de Lénine - Yan Lianke

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Yan Lianke est un auteur chinois né en 1958. Connu à l'étranger, il est décrit comme un romancier iconoclaste, souvent interdit de parole dans son pays.
Dans Bons baisers de Lénine, il relate l'histoire d'un village perdu, Benaise, où seuls vivent des handicapés (sourds, aveugles, boîteux, manchots,...). Ce village a son propre fonctionnement et ses habitants y sont heureux (d'ailleurs, dans le district on dit être "benaise" quand on est bien comme il faut). Quel rapport avec Lénine me direz-vous? Eh bien, un jour, leur chef de district (un "gens complet") décide de créer un haut-lieu touristique, les Ames mortes (ha ha! coucou Gogol), où seront regroupés les momies / dépouilles de grands hommes. Afin de réunir les fonds nécessaires à l'achat aux Russes de la momie de Lénine, il décide de former une troupe benaise, sorte de production de freaks.

Le cadre est donné : de l'humour assez noir, distancié, une histoire assez foutraque et une belle critique du capitalisme (et aussi du communisme tel qu'il peut être pratiqué). Alors, j'avoue avoir été un peu perdue dans ce livre. Je l'ai d'ailleurs recommencé car j'avais du mal à entrer dedans. Mais... il vaut le coup. L'écriture est un peu froide et je crois qu'il me manquait les codes culturels de l'humour chinois. J'ai également été un peu perturbée au départ par la grande série de notes explicatives, ainsi que par la narration proche de la fable au départ et puis... en prenant aussi de la distance, on rigole (noir et jaune).

Voyez-vous ça : c'était la canicule, on était mal benaise et il a neigé ! Une neige chaude est tombée.
En une nuit l'hiver est revenu. Ou plutôt : après qu'en un clin d'oeil l'été s'en est allé, sans laisser à l'automne le temps de se poser, à pas pressés il s'est installé. L'été était torride, et faisant fi de tout principe le temps s'est détraqué, nous a fait une crise d'épilepsie.


Tous ceux qui avaient un soupçon d'art devaient s'inscrire auprès du chef du district. Le secrétaire notait dans son carnet la ribambelle des noms et leurs talents particuliers :
Le Singe Une-patte : court sur une seule jambe.
Ma le sourd : pétards accrochés à l'oreille.
Le borgne : enfile les aiguilles.
La paralytique : brode sur les feuilles d'arbre.


Quand les pétards se turent, le sourd retira tranquillement sa plaque de fer, qu'il battit comme une percussion au bénéfice du public. Puis il ramassa par terre un pétard qui n'était pas parti, le posa dessus, l'alluma, et ce fut exactement comme s'il avait explosé sur un gong. Après quoi, de nouveau, il tendit aux spectateurs son profil gauche, d'un noir de laque à force de fumées chaudes, pour qu'ils soient bien sûrs qu'il était complètement boucané et parfaitement calme. Enfin il leur sourit, d'un sourire niais et satisfait.


Traduction de Sylvie Gentil.
Editions Picquier poche, 11, 70 €.

mardi 4 octobre 2022

La Panthère des neiges - Sylvain Tesson

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Sylvain Tesson est un auteur voyageur français, né en 1972. Je le connaissais de nom mais n'avais jamais rien lu de sa plume avant de répondre à l'appel de cette Panthère des neiges.
Ce récit fait partie des meilleures ventes de livres en langue française en 2019, autant dire que l'ouvrage avait sans aucun doute bénéficié d'une belle promotion et de bonnes critiques.
Pour ma part, je l'ai lu avec un regard vierge, sans avoir prêté attention au bruit médiatique d'il y a trois ans, sans regarder auparavant le profil politique de l'auteur (certains le décrivent comme un écrivain voyageur réac, qui essentialise les populations).
A vrai dire, l'homme m'intéresse peu (sinon j'aurais déjà su tout cela avant d'emprunter ce livre). Par contre, j'ai apprécié ce récit de ce voyage en compagnie de Vincent Munier : une belle confrontation aux milieux naturels, un style direct, limpide, de quoi nous faire partager un peu de cette quête de la vision d'un animal splendide, sauvage, tel que la panthère des neiges. Pour un homme qui était surnommé un temps "le prince des chats", pour un homme qui aime grimper sur les toits, on peut se douter de la portée ré-initiatique de ce voyage où le saint-Graal est une vision d'un majestueux félin.
Un beau récit, qui nous rend accessible le monde de ces "aventuriers de la nature", sans qui nous ne connaîtrions pas les coulisses des clichés d'une faune sauvage qui se raréfie.

"Panthère", le nom tintait comme une parure. Rien ne garantissait d'en rencontrer une. L'affût est un pari : on part vers les bêtes, on risque l'échec.


Jérôme Bosch, Flamand des arrière-mondes, avait intitulé une gravure Le bois a des oreilles, le champ a des yeux. Il avait dessiné des globes oculaires dans le sol et dressé deux oreilles humaines à l'orée d'une forêt. Les artistes le savent : le sauvage vous regarde sans que vous le perceviez. Il disparaît quand le regard de l'homme l'a saisi.


Un chat de Pallas, Otocolobus manul, surgit sur un piton au-dessus de la piste, avec sa tête hirsute, ses canines-seringues et ses yeux jaunes corrigeant d'un éclat démoniaque sa gentillesse de peluche. Ce petit félin vivait sous la menace de tous les prédateurs. Il semblait en vouloir à l'Evolution de lui avoir octroyé pareille dose d'agressivité dans un corps si charmant.

Edition NRF Gallimard, 18 euros.

Grimmy

Faire surface - Margaret Atwood

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De Margaret Atwood, j'avais déjà lu Captive. Par contre, je n'ai toujours ni lu ni regardé La Servante écarlate. Cette romancière, poète et essayiste est née en 1939 à Ottawa, au Canada et fait partie de mon top des plumes contemporaines (oui, je vais créer mon top, rien qu'à moi, sans quota, que de la pure subjectivité), pour son regard acéré sur la société et les relations humaines.

Comme je ne sépare jamais l’œuvre de la femme, j'ajouterais que je ne suis guère étonnée de voir qu'elle est fille de zoologiste. Je trouve à son écriture un aspect assez clinique, un peu froid. Aucun jeu sur le pathos, mais des faits et des informations, qui demandent au lecteur un petit travail de décryptage. Pour le coup, c'est une technique d'écriture très efficace et subtile puisque la lectrice que je suis aime quand on demande à son cerveau de reconstituer une lecture à partir d'éléments.

Faire surface date de 1972. Ce roman raconte à la première personne le parcours d'une femme qui revient sur les lieux de son enfance, sur une île, à la frontière entre le Canada et les Etats-Unis. Son père a disparu et ce retour aux sources se fait en compagnie de trois personnes : son compagnon et un couple d'amis.
Sur la quatrième de couverture, l'éditeur de la traduction française, Laffont, qualifie ce récit de "moitié enquête policière, moitié thriller psychologique" et de livre "que l'on peut décrire comme un polar œdipien". Alors, oui, pourquoi pas. De mon côté, j'ai trouvé que ce roman était si riche, si inattendu (au sens vrai, on ne s'attend pas à un déroulé précis, comme dans un bon policier bien mené) qu'il était bien difficile de le catégoriser.
Alors oui, le lecteur (désolée, je ne suis toujours pas passée à l'écriture inclusive, je reste bloquée au siècle dernier) se demande pourquoi elle vient là, qui sont les gens qui l'accompagnent, où est passé le père disparu, c'est vrai. Mais, au final, le lecteur accompagne lui aussi cette femme et découvre son univers, qu'il soit extérieur (on y découvre un mode de vie assez ascétique, en lien très fort avec la nature) ou intérieur (cette femme, qui n'est pas volubile, est elle aussi un mystère). D'ailleurs son prénom importe peu, le regard, bien que d'un point de vue interne, est presque extérieur, dépersonnalisé.
Si vous avez envie de lire un récit subtil et fort, un de ceux qui vous font réfléchir, qui vous laisse une impression d'incompréhension (et ça, c'est fortiche car nous ne sommes pas du tout dans un récit qui se résout totalement, alors qu'il a une véritable fin), vous pouvez courir les yeux fermés (mais attention au poteau!) chez votre libraire préféré ou dans votre médiathèque chérie.

Je l'ai lu dans l'édition Pavillon poche de Laffont, dans la traduction Marie-France Girod. Le livre coûte 8,90 euros et se trouve assez facilement en bibliothèque (sinon vous pourrez toujours l'ajouter aux suggestions d'achat).

Quelques extraits pour mettre l'eau à la bouche (je voulais mettre la larme à l’œil, mais ça ne marche pas) :

Nous n'avons pas apporté de carte car je savais que nous n'en aurions pas besoin. "Il faut demander", dis-je. L'auto fait marche arrière puis nous roulons dans la rue principale jusqu'à un coin où se trouve un magasin de journaux et de bonbons.
"Vous voulez parler de l'ancienne route, dit la femme avec seulement un soupçon d'accent. Il y a des années qu'on l'a fermée, celle qu'il faut prendre c'est la nouvelle." Je lui achète quatre cornets de crème glacée à la vanille parce qu'on n'est pas censé demander sans rien acheter.



D'une voix basse, Anna dit : "Il n'aime pas me voir sans maquillage", puis, se contredisant : "Il ne sait pas que je me maquille." J'ai un aperçu du subterfuge que cela implique, ou bien est-ce du dévouement : doit-elle chaque matin avant qu'il ne soit réveillé se glisser hors du lit et le réintégrer le soir après que les lumières sont éteintes? Peut-être que David fait de pieux mensonges; mais elle estompe si savamment les fonds qu'il peut ne rien avoir remarqué.


J'ai tourné l'anneau au doigt de ma main gauche, souvenir; il me l'avait donné, de l'or tout simple, il disait qu'il n'aimait pas l'ostentation, cela nous facilitait l'accès aux motels, ouvreur de porte; entre-temps je le portais autour du cou, passé dans une chaîne.


Grimmy

Reprise des festivités

Toc toc, toc toc...

Eh non, le blog des feuilles pas mortes n'est pas mort ! Après une longue hibernation, il reprend du service. Mais pourquoi cette si longue absence, me direz-vous tous en chœur ! (si vous êtes encore là...) Eh bien, ce fut un mélange de pas-le-temps, pas-les-neurones, à-quoi-bon.

Mais, je reviens car, tout de même, cela me manque d'échanger sur mes lectures. Et puis je crois que même si cet espace non marchand de critique honnête est un grain de sable dans une carrière, cela vaut la peine de s'exprimer librement sur un lieu numérique exempt de publicité.

Et alors, quelles nouveautés en cet automne 2022? Eh bien, comme nous vivons avec un minus, il se pourrait que je chronique aussi des livres pour les nains. Mais bon, il y a ceux qu'on choisit pour lui et ceux qu'il choisit de lui-même et là... je vais éviter de vous chroniquer les Tchoupis (qui sont très appréciés) ou les aventures des Lapinos (dont certaines sont écrites en alexandrins), ou encore le kikidoc sur les pompiers ou sur le foot (je dois les connaître par cœur, même si, je l'avoue, je n'ai toujours pas compris le hors-jeu).

Je vous dis donc à très vite ! Promis cette fois-ci, malgré mes neurones en moins (ce n'est pas une légende que l'on perd en sagacité/rapidité avec un petit en bas-âge), je reviens avec des chroniques.

Quant à Attila, il lit mais...tempus fugit !

Grimmy

lundi 24 septembre 2018

Out - Natsuo Kirino

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C'est en cherchant un roman policier japonais que je suis tombée sur Out de Natsuo Kirino, auteure ayant remporté de nombreux prix littéraires.

Quatre femmes travaillent dans une fabrique de paniers-repas, la nuit. Quatre femmes qui sont différentes facettes d'une représentation de la solitude et de la misère sociale japonaise. Oui, il y a des crimes, du sang, du fait divers, mais là où Natsuo Kirino excelle, c'est dans la lente description d'une société où les femmes ne valent pour les hommes que par leur beauté quand elles sont jeunes ou par l'argent qu'elles ramènent au foyer quand elles sont "fanées".

L'intrigue est bien menée mais pour moi, elle est surtout le prétexte à la description de la vie de femmes dont on ne parle que rarement : des ouvrières, de nuit qui plus est, célibataires endettées ou mère de familles délaissées; des femmes qui s'épuisent au travail, coincées dans leur vie quotidienne. Leur portrait n'est pas flatteur : elles agissent comme elles peuvent et ne sont pas mues par de grands idéaux. L'argent détermine souvent leurs actions : elles en ont besoin pour rembourser leurs dettes, garder leur toit sur la tête ou gagner leur liberté. Ce sont des victimes dont on ne peut attendre grand chose...

Les hommes valent encore pis : ils boivent, jouent, dépensent dans la débauche l'argent durement gagné par les femmes ou exploitent de belles jeunes filles dans des clubs de prostitution.
Une société sans pitié où des femmes sans histoire se retrouvent, par solidarité et appât du gain, dans de sordides situations. En parallèle, on découvre la chute d'un gérant de club de prostitution et de jeux, un oppresseur au sombre passé.

Je n'en dirai pas plus sur l'intrigue (d'ailleurs la 4e de couverture de l'édition que j'ai lue en disait beaucoup trop, pour attirer l'attention sur l'aspect "thriller" du titre). Bonne découverte !

Une légère odeur de friture flottait dans l'air, mêlée à des bouffées de gaz d'échappement provenant de la route de Shin-Ômé. Elle émanait de la fabrique de paniers-repas où Masako allait travailler. "J'ai envie de rentrer." Chaque fois qu'elle sentait cette puanteur, ces mots lui échappaient. Mais rentrer où? Une chose était certaine : pas à sa maison, qu'elle venait de quitter.


Une épouse travailleuse pouvait avoir du bon, mais pour un mari paresseux, c'était remuer le couteau dans la plaie. Yoshié se souvint de son mari, mort de cirrhose cinq ans auparavant. Plus elle se mettait au service de sa belle-mère, plus elle contribuait à l'économie du ménage en faisant de petits travaux à domicile; mais plus elle se démenait pour la famille, plus elle agaçait son mari.


Ca ne l'enchantait guère de travailler la nuit, mais il y avait peu d'employeurs prêts à engager une mère de famille obligée de s'absenter dès qu'un enfant tombait malade. Avant d'être embauchée à la fabrique de paniers-repas, elle avait travaillé à temps partiel comme caissière dans un supermarché. Mais après avoir refusé de travailler le dimanche et s'être absentée pour rester plusieurs fois près d'un de ses fils alité, elle avait été licenciée sans autre forme de procès.

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