Les feuilles pas mortes

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dimanche 14 juin 2015

La Fleur rouge - Vsevolod Garchine

lafleurrouge.jpg Ce court récit de Vsevolod Garchine nous plonge dans un asile de Petite Russie (aujourd'hui l'Ukraine)à travers l'histoire d'un dément (dont nous ne connaîtrons ni l'identité ni le passé). Froid, clinique, mais poétique, ce court texte mérite le détour. Aucune excuse pour ne pas le lire : il est disponible aux éditions de l'Arbre vengeur au prix de 6€, sur wikisource et sur Youtube en version audio !



Le nouveau venu fut introduit dans la salle où se trouvaient les baignoires. Cette salle aurait pu causer une sensation de malaise à une personne saine : son effet sur une imagination troublée et excitée fut d'autant plus pénible.

- Vous savez où vous êtes? - Certainement, docteur; je suis dans une maison de fous. Mais, du moment qu'on le comprend, c'est absolument indifférent, absolument indifférent!"


Non loin du perron poussaient trois plants d'une espèce particulière de pavot, beaucoup plus petite que le pavot vulgaire, et s'en distinguant par l'éclat insolite de ses pétales rouges. C'était cette fleur qui avait frappé l'aliéné lorsque, le jour de son entrée à l'hôpital, il avait entrevu le jardin à travers la porte vitrée.

Grimmy

lundi 24 novembre 2014

Ma Part d'ombre - James Ellroy

mapartdombre.jpgOù l'on apprend que les parents de James Ellroy l'avait appelé Lee Earle Ellroy, que l'école était pour lui une vraie galère (ben oui avec une telle association prénom-nom!), que sa mère avait été assassinée. Au départ la disparition de sa mère l'arrangeait car son minable de père l'avait convaincu que ce serait mieux de vivre entre père et fils. Il a ensuite grandi, comme il a pu, en oscillant entre la construction personnelle et l'autodestruction.

De James Ellroy, j'avais lu Le Dahlia noir, Le Grand nulle part et L.A. Confidential, sans trop m'intéresser à son histoire, à sa biographie, tant sa plume se suffit à elle-même. Ma Part d'ombre lève le voile et donne de nombreuses clés sur son auteur. Aucun pathos, mais une enquête distanciée et rétrospective sur le meurtre de sa mère, surnommée "la rouquine" et sur son parcours d'enfant, d'adolescent, puis d'adulte marqué au fer rouge par son milieu social et son environnement. Une double enquête passionnante qui constitue l'hommage d'un fils à la mère qu'il n'a pu/su aimer. Indispensable.

Tu m'avais emmené dans ta cachette comme ton porte-bonheur. Et je t'ai failli comme talisman - je me dresse donc aujourd'hui comme ton témoin.
Ta mort définit ma vie. Je veux trouver l'amour que nous n'avons jamais eu et l'expliciter en ton nom.



Le meurtre a eu droit à la page deux du Los Angeles Time, de l'Express et du Mirror. Il a eu droit à cinq secondes dans les infos télé régionales.
La rouquine cotait zéro. La vraie pâture, c'était le macchabée de Johnny Stompanato. La fille deLana Turner avait suriné Johnny en avril. L'histoire faisait toujours la une.



J'ai lu l'histoire du Dahlia une centaine de fois. J'ai lu le reste de The Badge et contemplé les photos. Stephen Nash, Donald Bashor et les incendiaires sont devenus mes amis. Betty Short est devenue mon obsession.
Et mon substitut symbiotique de Geneva Hilliker Ellroy.
Betty fuyait et se cachait. Ma mère s'était enfuie à El Monte pour s'y forger une vie secrète le week-end. Betty et ma mère étaient deux victimes, deux corps largués aux ordures. Jack Webb disait de Betty que c'était une fille facile. Mon père disait de ma mère que c'était une ivrognesse et une putain.



Le livre existe en poche chez Rivages/Noir (10.65€)
Pour aller plus loin : un webdoc avec entre autres des interviews de son éditeur en France, François Guérif

Grimmy

dimanche 23 novembre 2014

La Salamandre - Ibuse Masuji

lasalamandre.jpg Dans ce recueil de nouvelles disponible en Picquier poche, le Japonais Masuji Ibuse, nous offre six textes mêlant regard pointu sur la société, finesse psychologique et références aux contes traditionnels. Que dire si ce n'est que c'est très bien écrit (avec une mention donc pour la traductrice Martine Jullien, puisque je ne lis pas le japonais) et d'une extraordinaire délicatesse... Les animaux sont très présents dans ces récits et leurs situations font souvent écho aux tourments internes des hommes. Prenez le temps de découvrir cet auteur et son regard bienveillant sur la société japonaise, ses hommes, la vie. Pour ma part, je poursuivrai cette lecture par Pluie noire.


Elle eut l'idée de nager en rond, en essayant de profiter au maximum de l'espace dont elle disposait. Ainsi font les hommes quand ils broient des idées noires. Mais le logis de la salamandre était loin d'être assez vaste pour lui permettre de tourner en rond.


Dix ans, déjà, que me voilà tracassé pour une histoire de carpe.


M'étant approché sans bruit de l'oie blessée, je la soulevai de mes deux mains. J'eus aussitôt l'impression que la chaleur de son plumage d'oiseau migrateur passait doucement dans mes bras. Ma surprise de la trouver si lourde éclaircit quelque peu le sentiment de tristesse qui ne me quittait pas cette année-là.


Elle avait l'air grave, elle était plongée dans ses pensées. Elle n'avait cessé de joindre ses deux mains exactement comme si elle avait gardé précieusement un grillon qu'elle aurait attrapé. Puis elle avait paru embarrassée, comme si elle ne savait plus que faire du grillon qu'elle avait dans les mains et, une fois passée la gare de Yokohama, elle m'avait adressée pour la première fois la parole.


Pour tout dire, les cinq yens de la nuit précédente étaient depuis longtemps dépensés - en tabac, enveloppes, cordonnier, dîners -, rien n'allait comme je voulais. J'étais bien plus tracassé par le billet de cinq yens et par la boîte de gâteaux que si j'avais commis un vol. Quand j'étais enfant, j'avais une fois volé l'offrande de l'autel de Bouddha pour m'acheter un hameçon, mais cela ne m'avait pas préoccupé à ce point.


- Ces gens qui ont la manie d'écrire des lettres, ça les fait presque tomber en extase. Ils écrivent, ils effacent, ils sont complètement pris. Il leur arrive même d'écrire des choses qu'ils ne pensent pas. Ca n'est pas vrai, madame? - Plus ou moins... Et puis mon Shunmi, il met aussi des poèmes dans ses lettres, je peux bien vous le dire. Même quand il est en train de manger, il lui arrive parfois de compter sur ses doigts cinq-sept-cinq.



Grimmy

mardi 7 octobre 2014

Le Bourgeois de Paris - Fiodor Dostoïevski

lebourgeoisdeparis.jpg Inutile de présenter Dostoïevski (Wikipédia le fera très bien à ma place). Par contre, lire ses impressions sur Paris, la grande, la belle, la magnifique, la polluée, est un bon moyen, pour nous occidentaux, de nous rhabiller pour l'hiver (ça tombe bien, il commence à faire frisquet).
Nous remercions donc vivement les éditions Rivages poche de nous proposer dans sa petite bibliothèque ce texte publié pour la première fois en 1863 dans la revue "Vremia".

Selon Fiodor, Paris serait la ville la plus "morale et la plus vertueuse du monde". Ses habitants, les bourgeois de Paris, s'effaceraient s'ils le pouvaient, cachés derrière leurs moeurs hypocrites.

La devise "Liberté, égalité, fraternité"? Pas de liberté sans argent : "Un homme sans un million n'est pas celui qui fait ce qui lui plaît, mais celui dont on fait ce qui plaît." L'égalité devant la loi "peut et doit être considérée par tout Français comme une injure personnelle" et la fraternité ne se décrète ni ne se crée, surtout pas dans une société occidentale ayant poussé très loin le principe de l'individu, de la conservation de soi. En six mots : Paris ne portera pas le socialisme. Paris ne mérite pas sa devise.

Les Français, selon Fiodor, sont pleutres, liés à l'état. Ils goûtent de trop l'éloquence et la préfèrent à l'action. L'hypocrisie sociale se retrouve même dans la cellule familiale. Les mariages ne doivent en effet rien à l'amour ou à une certaine inclination mutuelle, mais tout à "l'égalité absolue des poches". Quant aux besoins du bourgeois, parlons-en! L'amour et l'eau fraîche, on oublie. Non, le bourgeois n'en a cure. Lui, il veut "voir la mer", aime "se rouler dans l'herbe" (ben oui, c'est tellement chouette quand on quitte la ville) et ne pourrait vivre sans le mélodrame. Poin poin poin. J'avoue, j'ai trouvé ce texte drôle et enlevé. Je vous laisse juger.

Voilà pourquoi un titre de roman comme "la femme, le mari et l'amant" n'est plus possible dans les circonstances actuelles, parce que les amants n'existent pas et ne peuvent pas exister. Et s'il y en avait à Paris autant que de grains de sable dans la mer (et il y en a peut-être plus), quand même, il n'y en a pas, et il ne peut pas y en avoir, puisqu'on en a convenu et décidé ainsi; car la vertu brille partout.


Amasser de l'argent, et posséder le plus d'objets possible, voilà le paragraphe principal du code de la morale, voilà le catéchisme du Parisien.


Le Russe est sceptique et moqueur, disent de nous les Français, et c'est vrai.


Se rouler dans l'herbe est même deux fois, dix fois plus doux, si on le fait sur sa propre terre, achetée avec l'argent acquis par son travail.



Grimmy

jeudi 17 juillet 2014

En Amazonie Infiltré dans le "meilleur des mondes" - Jean-Baptiste Malet

enamazonie.jpg C'est chez Fayard que Jean-Baptiste Malet a publié en 2013 son enquête sur les conditions de travail des salariés d'Amazon en France. Le recours aux intérimaires, la logique d'entreprise destructrice de lien social, la pression exercée sur le personnel pour que rien ne sorte des entrepôts (qu'il s'agisse d'objets physiques ou de témoignages), l'idéologie imposée aux salariés, voici ce que vous trouverez dans cette enquête qui a fait un peu de bruit à sa sortie.
Franchement, c'est vite lu et les faits relatés parlent d'eux-mêmes (vous pourrez me dire que dans beaucoup d'entrepôts ou usines c'est un peu pareil, mais là il y a quand même une idéologie, une devise "work hard, have fun & make history", ce qui donne vraiment l'impression que les gens sont pris pour des jambons). Il manque peut-être des éléments sur la stratégie mondiale de l'entreprise ou des parallèles plus détaillés sur d'autres firmes ou groupes, mais c'est une enquête accessible, grand public qui permet de savoir ce qui se cache derrière de simples commandes honorées à temps dans des délais record, sans surcoût de frais de port. A chacun de voir ensuite ce qu'il préfère : continuer à fermer les yeux et consommer en deux, trois clics ou faire en sorte de ne pas cautionner ce type de marché. Pas de jugement de ma part, hein, mais juste pour rappel :

  1. en librairie ou dans un bon nombre de maisons de la presse, on peut commander un livre, sans surcoût. Ok, il faut attendre un peu que le point de vente soit livré mais sommes-nous dans l'urgence pour lire un livre... ou du moins pour l'acheter...
  2. il existe des librairies indépendantes qui proposent de la vente par correspondance. Et oui, le port a un coût, pour tout le monde.


Je lève la tête et contemple le hangar de la cellule 6 où je me trouve. A Montélimar, c'est sur plus de 36000m2 que s'étale l'usine. "Usine", car les entrepôts logistiques d'Amazon sont organisés selon une chaîne de production, avec une division des tâches très stricte. Si l'usine ne fabrique pas de la marchandise, elle produit littéralement des colis.

La distinction entre le bon grain et l'ivraie des intérimaires se fera selon leur degré de "motivation". "Motivation" désignant implicitement les performances de productivité, évaluées par ordinateur quel que soit le poste où l'on se trouve. En effet, très régulièrement, plusieurs fois pendant la nuit de travail, le lead vient vous informer de votre "prod", votre productivité.


Et voilà pourquoi le "have fun" fonctionne si bien. Une fois éloigné de sa vie civile d'antan, il est proposé au salarié d'Amazon, dont le salaire est celui d'un ouvrier, des activités de divertissement gratuites. Bowling, cinéma, fêtes, sorties diverses... C'est dans le cadre du travail que la convivialité humaine se développe et s'enracine. Cette convivialité façonnée par Amazon ne se contente pas de dissoudre les anciennes convivialités, jadis construites par le travailleur lui-même. Par l'occupation de son temps libre, le "have fun" élabore des nouveaux rapports sociaux. C'est une technique d'ingénierie sociale destinée à tisser autour du travailleur une mécanique d'emprise.


Pour aller plus loin :

une interview de l'auteur, réalisée par Margaux Duquesne
un article de rue89 sur l'entrepôt de Chalon-sur-Saone


Grimmy

mercredi 16 juillet 2014

Karoo - Steve Tesich

karoo.jpg Publié chez Monsieur Toussaint Louverture en 2012 pour sa traduction française et disponible en poche aux éditions Points, Karoo a fait couler beaucoup d'encre et a régulièrement été mis en avant par les libraires, et ce sans promotion médiatique de fou puisque Steve Tesich est décédé avant la publication de cet ouvrage et que l'ouvrage est publié par un éditeur estimé mais peu médiatisé. Avant toute chose, je profite donc de ce billet pour remercier Monsieur Toussaint Louverture de nous faire découvrir de tels textes et de se battre pour leur diffusion. J'aime beaucoup cette maison d'édition et vous encourage donc à visiter leur site et à acheter (presque les yeux fermés) leurs ouvrages.
Alors pour faire bref, ça se passe aux States et raconte la chute d'un anti-héros sur la fin qui réécrit des scripts pour le cinéma, un homme en pleine crise de "je ne suis plus aussi jeune que je le voudrais et je suis un raté". A ce stade-là, généralement, les hommes noient leur détresse dans la dive bouteille. C'est déjà triste, c'est déjà glauque mais là, pour Saul Karoo, c'est encore pire! Car tout ce qu'il avait malgré tout pas trop mal réussi, même malgré lui, va lui échapper, de sa pseudo-intégrité professionnelle à sa presque non-relation filiale, en passant par, et ça c'est un vrai drame, sa façon de noyer sa lucidité dans l'alcool. Parce que non seulement il a une vie de merdouille et il en est conscient, mais en plus il ne connaît plus les brouillards de l'ivresse. Non, rien du tout! même après un nombre incroyable de verres! Et ça, c'est la vraie loose, la vraie de vraie. Non, sérieusement Tesich a torturé son personnage, lui faisant vivre tout ce qu'il pouvait lui arriver de pire, en pleine lucidité! C'est bien vu, c'est féroce, c'est- oserais-je le dire, drôlement horrifiant. Pour ceux qui ne l'auraient toujours pas lu, si vous aimez les histoires de vrais loosers, courez-y! Oui, parce que là, et j'en ai lues des histoires de super loosers, anti-héros aux cheveux gras et tristes, à la bedaine torturée et aux relations familiales proches du néant, Karoo est hors-compétition, indéniablement.
J'émettrai juste un petit bémol sur la fin du roman, que j'ai trouvée très décevante. Peut-être parce que le reste est très bien, peut-être parce que l'auteur est mort trop tôt pour la retravailler. C'est dommage, parce que sinon, c'est é-nor-me!


J'étais de nouveau au vin rouge; j'avais commencé par ça en arrivant à la fête. Entre-temps, j'avais avalé toutes les sortes de boissons alcoolisées servies sur place. Vin blanc. Bourbon. Scotch. Trois vodkas différentes. Trois cognacs différents. Champagne. Liqueurs diverses et variées. Grappa. Rakija. Deux canettes de bière mexicaine et plusieurs coupes de lait de poule aromatisé au rhum. Le tout sur un estomac vide, et malgré ça, hélas, trois fois hélas, j'étais toujours sobre comme un chameau.


A ma plus grande horreur, je vis que je pesais cent douze kilos.
J'en restai bouche bée.
Quoi!
Je n'avais jamais, de toute ma vie, pesé cent douze kilos. Même tout habillé, avec de grosses chaussures et beaucoup de monnaie dans mes poches, je n'avais jamais, au grand jamais, été au-delà des cent kilos.
Abasourdi, je fixai le chiffre. Je le fixai comme j'aurais contemplé les chefs d'accusations totalement fictifs de crimes que je n'aurais pas commis.


D'après elle, tous mes problèmes, sans exception, sont causés par le chaos qui règne dans mon subconscient. Mon alcoolisme. Mon infidélité conjugale. Ma triste performance de père. Mes mensonges constants, à moi-même et aux autres. Ma pathétique barbe hirsute. Mon indifférence face aux sentiments des autres. Mon manque de respect pour mon apparence physique.
"Mais regarde-toi!" s'exclame-t-elle, et je sens les yeux des quatre du mur de Berlin se tourner pour se fixer sur moi. "Tu deviens gros, chéri. Vraiment, tu sais. C'est vrai. Tu n'es plus seulement en surcharge pondérale. Tu es gros, mon chou. Je ne vois même pas la chaise sur laquelle tu es assis. Pour ce que j'en vois, il n'y a pas de chaise. Pour ce que j'en vois, tu es juste affalé, avec tes coudes sur la table. Et cette malheureuse barbe que tu te fais pousser ne trompe personne. Tous les hommes qui ont honte de leur apparence physique se font pousser la barbe. Surtout les gros. Au rthme où tu y vas, Dieu nous en garde, tu vas bientôt te mettre à porter des cols roulés noirs, en plus. Et pourquoi ça? Tu sais pourquoi? Tu veux le savoir?"


Grimmy

mardi 15 juillet 2014

La Route - Cormac McCarthy

laroute.jpg Attention best-seller ! Si si, des millions d'exemplaires vendus, des milliers de critiques et chroniques internationales, une adaptation au cinéma, et j'en passe. La Route de McCarthy fait partie des livres dont on a beaucoup parlé et qui ont marqué, réellement, la littérature contemporaine.
Publié en français en 2008 aux éditions de l'Olivier, cela faisait un petit moment que La Route patientait sur mes étagères. Je n'aime pas vraiment lire les livres quand ils sont en plein dans l'actualité à vrai dire, sans doute pour me dire que ma lecture sera moins influencée par le tapage médiatique ambiant. Bref, j'ai quand même pris une claque, une belle! Je connaissais de McCarthy Méridien de sang (que je vous conseille chaleureusement -mais pas tout de suite après le petit déjeuner) et savait donc que son style était épuré et âpre. Je m'attendais également à un livre plus violent, plus trash, mais non. Il s'agit d'une belle histoire, celle d'un père et son fils qui sont sur la route, jusqu'au bout, dans un monde qui semble déjà arrivé à son terme.
Roman allégorique, initiatique, La Route est avare de mots, économe d'explications, chiche de procédés littéraires. Sa lecture en est "routinière" mais ce dépouillement sert admirablement le propos. Que reste-t-il quand il ne reste rien d'un monde que l'on a connu? Quel sens peut-il y avoir à rester sur le chemin? Quelle est cette route? McCarthy traite avec brio ces questions vieilles comme le monde : Qui suis-je? Où vais-je? Pourquoi? Pour quoi? Un roman universel qui ne sombre jamais ni dans le pathos ni dans l'égocentrisme.
Quelques extraits pour la route :

L'homme tira l'enfant contre lui. Rappelle-toi que les choses que tu te mets dans la tête y sont pour toujours, dit-il. Il faudra peut-être que t'y penses.
Il y a des choses qu'on oublie, non?
Oui. On oublie ce qu'on a besoin de se rappeler et on se souvient de ce qu'il faut oublier.


Sur cette route il n'y a pas d'hommes du Verbe. Ils sont partis et m'ont laissé seul. Ils ont emporté le monde avec eux. Question : Quelle différence y a-t-il entre ne sera jamais et n'a jamais été?



Il n'y a personne à voir. Tu veux mourir? C'est ça que tu veux?
Ca m'est égal, dit le petit en sanglotant. Ca m'est égal.
L'homme s'arrêta. Il s'arrêta et s'accroupit et le serra contre lui. Je te demande pardon, dit-il. Ne dis pas ça. Tu ne dois pas dire ça.



Pour aller plus loin :
Un bel article du Matricule des anges
L'avis du fricfracclub


Grimmy

jeudi 1 mai 2014

La Prière d'Audubon - Isaka Kôtarô

priereaudubon.jpg Pourquoi et comment le héros (pas très glorieux) de ce roman se retrouve sur cette île presque fantastique? Quel rapport avec Audubon, l'ornithologue? C'est ce que le lecteur découvrira au fil des pages de ce beau roman japonais, quasi initiatique, entre tradition et modernité. Un beau texte, sensible, qui traite avec poésie du destin et de la vie. Si vous aimez les mystères, les personnages un peu étranges et les intrigues travaillées, n'hésitez plus. La Prière d'Audubon devrait vous plaire. Edité par Picquier (disponible en poche), le livre est bien traduit, maquetté avec soin, avec une jolie couverture. Très très agréable, vraiment. Je vous laisse juger sur pièces.


" Toi, tu vas prendre la fuite." Ma grand-mère, qui est morte d'un cancer, avait clairement énoncé cette phrase il y a deux ans, en pointant le doigt sur moi. Elle avait l'air de faire une prophétie. Mais elle avait dit vrai : aucun doute, j'étais du genre à prendre la fuite quand je me trouvais confronté à un problème.



"Tu vois le chat, là, sous le grand orme? a dit Hibino.
- Oui.
- Tant qu'il ne bouge pas du pied de l'arbre, ça veut dire que le temps va rester au beau.
- Hein?
- S'il grimpe sur l'arbre, ça veut dire qu'il va bientôt pleuvoir.



Hibino avait beau ressembler à un chien, il n'avait pas beaucoup de flair. Sa réaction a été plutôt lente. Ou peut-être qu'il n'était pas du genre rapide, intellectuellement parlant.



Pour aller plus loin : une interview très intéressante de la traductrice, Corinne Atlan sur le blog encathymini. Cela commence ici et se poursuit .


Grimmy

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