vies-arides

Vidas secas, de Graciliano Ramos est un récit composé en 1938. Ecrit en portugais, je l'ai lu dans la traduction de Mathieu Dosse, éditée par les éditions Chandeigne en 2014 sous le titre Vies arides. Ce titre fait partie des classiques de la lecture brésilienne et fut adapté au cinéma en 1963 par Nelson Pereira dos Santos. Il relate, en 13 chapitres pouvant être lus presque indépendamment les uns des autres, la vie d'une famille pauvre brésilienne dans le sertão. Il fait sec, très sec et pour Fabiano le vacher, la vie est un perpétuel recommencement. Trouver un lieu de vie (ou de survie plutôt), de quoi manger et faire manger sa famille, fuir un lieu asséché et désolé dans l'espoir d'un possible nouveau futur.
Le style est réaliste et le propos, somme toute, très humaniste : cette famille échange peu, les enfants sont anonymes, la chienne Baleine est un personnage à part entière, symbole de la fatalité. Cette famille privée de tout (argent, études, mots) survit et reste debout, en mouvement, même quand le peu qu'elle a s'effondre.
Un récit très fort, sans complaisance, qui montre la vie rude et âpre des laissés pour compte.

- Marche, excommunié.
Le gamin ne bougea pas, et Fabiano eut envie de le tuer. Il avait le coeur lourd, il voulait trouver un responsable à sa détresse. La sécheresse lui semblait un fait nécessaire - et l'obstination de son fils l'irritait. Bien sûr, ce maigre obstacle n'était pas le coupable, mais il entravait leur marche, et le vacher devait arriver. Où? Il ne le savait pas.


Il était indispensable que les enfants prennent le droit chemin, qu'ils sachent couper le mandacaru pour le bétail, réparer les clôtures, dompter les bêtes. Il fallait qu'ils soient durs, qu'ils deviennent des tatous. S'ils ne s'endurcissaient pas, ils finiraient comme monsieur Tomas du moulin à roue. Le pauvre. A quoi ça lui avait servi tous ces livres, tous ces journaux? Il était mort à cause de son estomac malade et de ses jambes faibles.


En se comparant aux gens de la ville, Fabiano se jugeait inférieur à eux. C'est pourquoi il les soupçonnait de se moquer de lui. Il se renfrognait et fuyait les conversations. On ne lui parlait que pour lui soutirer quelque chose. Les marchands volaient sur la mesure, le prix et le compte. Son patron se livrait, avec une plume et de l'encre, à des calculs incompréhensibles. Lors de leur dernière rencontre, il y avait eu une erreur sur les chiffres et Fabiano, la tête en feu, indigné, avait quitté le bureau de l'homme blanc, convaincu d'avoir été volé. Il était lésé de toutes parts. Les vendeurs, les marchands et le propriétaire le dépouillaient, et ceux avec qui il n'avait pas d'affaire riaient de le voir passer en trébuchant dans les rues. Par conséquent, Fabiano évitait le contact avec ces gens-là. Il savait que ses habits neufs, coupés et cousus par sinha Terta, le faux col, la cravate, les bottines et le chapeau de feutre le rendaient ridicule, mais il ne voulait pas y penser.



Editions Chandeigne, 20 €.