bons-baisers-lenine

Yan Lianke est un auteur chinois né en 1958. Connu à l'étranger, il est décrit comme un romancier iconoclaste, souvent interdit de parole dans son pays.
Dans Bons baisers de Lénine, il relate l'histoire d'un village perdu, Benaise, où seuls vivent des handicapés (sourds, aveugles, boîteux, manchots,...). Ce village a son propre fonctionnement et ses habitants y sont heureux (d'ailleurs, dans le district on dit être "benaise" quand on est bien comme il faut). Quel rapport avec Lénine me direz-vous? Eh bien, un jour, leur chef de district (un "gens complet") décide de créer un haut-lieu touristique, les Ames mortes (ha ha! coucou Gogol), où seront regroupés les momies / dépouilles de grands hommes. Afin de réunir les fonds nécessaires à l'achat aux Russes de la momie de Lénine, il décide de former une troupe benaise, sorte de production de freaks.

Le cadre est donné : de l'humour assez noir, distancié, une histoire assez foutraque et une belle critique du capitalisme (et aussi du communisme tel qu'il peut être pratiqué). Alors, j'avoue avoir été un peu perdue dans ce livre. Je l'ai d'ailleurs recommencé car j'avais du mal à entrer dedans. Mais... il vaut le coup. L'écriture est un peu froide et je crois qu'il me manquait les codes culturels de l'humour chinois. J'ai également été un peu perturbée au départ par la grande série de notes explicatives, ainsi que par la narration proche de la fable au départ et puis... en prenant aussi de la distance, on rigole (noir et jaune).

Voyez-vous ça : c'était la canicule, on était mal benaise et il a neigé ! Une neige chaude est tombée.
En une nuit l'hiver est revenu. Ou plutôt : après qu'en un clin d'oeil l'été s'en est allé, sans laisser à l'automne le temps de se poser, à pas pressés il s'est installé. L'été était torride, et faisant fi de tout principe le temps s'est détraqué, nous a fait une crise d'épilepsie.


Tous ceux qui avaient un soupçon d'art devaient s'inscrire auprès du chef du district. Le secrétaire notait dans son carnet la ribambelle des noms et leurs talents particuliers :
Le Singe Une-patte : court sur une seule jambe.
Ma le sourd : pétards accrochés à l'oreille.
Le borgne : enfile les aiguilles.
La paralytique : brode sur les feuilles d'arbre.


Quand les pétards se turent, le sourd retira tranquillement sa plaque de fer, qu'il battit comme une percussion au bénéfice du public. Puis il ramassa par terre un pétard qui n'était pas parti, le posa dessus, l'alluma, et ce fut exactement comme s'il avait explosé sur un gong. Après quoi, de nouveau, il tendit aux spectateurs son profil gauche, d'un noir de laque à force de fumées chaudes, pour qu'ils soient bien sûrs qu'il était complètement boucané et parfaitement calme. Enfin il leur sourit, d'un sourire niais et satisfait.


Traduction de Sylvie Gentil.
Editions Picquier poche, 11, 70 €.