Les feuilles pas mortes

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mardi 29 août 2023

Les Géants - Ermanno Cavazzoni

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D'où viennent les Géants? Qui sont-ils? Où vont-ils? Que mangent-ils? Sont-ils intelligents? Sont-ils intéressants à intégrer dans une troupe? Tout ce que vous vous demandez sur les Géants, vous pourrez le savoir grâce à ce livre. Son narrateur explore les sources littéraires dans lesquelles figurent les Géants et en tire des conclusions.
J'ai trouvé le texte divertissant, une sorte d'amusement très lettré, qui peut donner envie de relire d'anciens textes. C'est absurde mais sourcé (ou sourcé mais absurde avec de grandes digressions). Cela m'a aussi rappelé les recherches de certains universitaires, le ton est différent mais le travail de fond sur la littérature afin de caractériser des personnages est très sérieux (il y a même un index!).

C'est totalement oulipien et édité par les éditions Le Nouvel Attila, dans une traduction de Monique Baccelli.

L'espèce produit surtout des mâles et les géantes sont rares. Rares et repoussantes, d'ailleurs. Aussi restent-elles terrées chez elles loin de toute vie publique. Sauf en période de chaleur, elles refusent de se montrer, comme les cafards qui ne sortent que la nuit. La tiédeur des réactions mâles montre qu'eux-mêmes s'en rendent compte. Le dimorphisme sexuel n'est pas très prononcé, il est vrai.


La carrière de voleur n'a jamais enrichi personne. Sauf en politique. Mais en politique, les voleurs n'ont pas besoin de se balader avec des chameaux ni de kidnapper les soubrettes de la télévision pour les séduire. Dans le fond, les géants étaient naïfs, et ils n'auraient jamais dû entrer en politique avec leur mentalité, puisqu'ils finissent toujours en pièces détachées.


La base, chez les proto-géants archaïques comme dans toutes les mafias, c'est le lien de parenté. A moins d'être psychiquement fragiles, ou d'avoir des jumeaux à la personnalité fusionnelle, inséparables sans graves dommages pour leur ego, les géants ne vivent pas en fratrie. Les proto-géants archaïques vivent donc en mafia.


Le Nouvel Attila, 20 €.

mercredi 26 avril 2023

Le Château d'Udine - Carlo Emilio Gadda

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Le Château d'Udine de Carlo Emilio Gadda rassemble des textes assez disparates (écrits sur la première Guerre Mondiale, écrits de voyage, scènes de société). Le livre, publié chez Grasset dans la collection Les Cahiers Rouges, date de 1982 dans sa traduction française. L'écriture est très savante, précise, ciselée, ultra référencée. Je ne peux pas dire que j'ai follement aimé, car je crois que je n'avais ni les clés culturelles, ni la disposition d'esprit pour cette lecture, mais c'est de la très belle littérature, avec une langue inventive (et je crois qu'il vaut bien mieux la lire en parallèle en italien, afin de mieux s'immerger).

Les textes sont regroupés en quatre parties distinctes:Le Château d'Udine (sur la guerre), Croisière méditerranéenne, Paix et polémiques, Paix et polémiques dans le train express. Tous sont de petits joyaux littéraires, suivis de notes de commentaires de l'auteur (oui, on pourrait presque dire qu'il se glose lui-même) et accompagnés, en fin d'ouvrage de notes du traducteur (Giovanni Clerico), qui expliquent certains choix, variations de langue, etc.

A réserver pour une lecture attentive, après avoir révisé sa culture et littérature latine et italienne (il y a des pastiches et des références à gogo)!

Certains tombèrent malades, à force d'être en guerre. Moi aussi je tombai malade, à force de manger des conserves. En général, ils soignaient davantage leur tenue, et je trouve que cette politesse est un symptôme de lucidité, dans la détresse du malheur. Quelques-uns, qui portaient au poignet une gourmette d'or, moururent comme des enfants, en rêvant de Noël : une clarté, un sourire, flottaient sur leur visage. Et l'angoisse me ramène aux vains sentiers de la mémoire, mais tout se tait, alentour, et tout s'y assombrit.


Prisonnier, je me vis finalement comme cet être nul, parfaitement superflu, comme cette feuille morte qu'un vent de misère fait tournoyer dans la froidure, vers la joie de tous les pseudos-Dostoïevski de la terre nourricière, et pour mon infinie, crucifiante mortification. Puis la faim acheva de m'abrutir.


Il fut ainsi amené à songer à Luisa, longuement, tout en évitant d'instinct les trams les plus déglingués, bourrés pour l'heure comme des ruches, et les taxis fichtrement véloces.
Ce soir-là, Luisa avait dû préparer son cent trente)cinquième pouding de fiancée; à la semoule - ah, l'inégalable ménagère!-, elle substituait régulièrement de la farine de maïs (de deuxième choix).
Même l'adagio de la Pathétique, sous le toucher de ses doigts magiques, se transformait en un pouding.



Editions Grasset, 54 FF (oui, j'ai sous les yeux l'édition de 1982!).