Les feuilles pas mortes

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mardi 25 avril 2023

Bons baisers de Lénine - Yan Lianke

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Yan Lianke est un auteur chinois né en 1958. Connu à l'étranger, il est décrit comme un romancier iconoclaste, souvent interdit de parole dans son pays.
Dans Bons baisers de Lénine, il relate l'histoire d'un village perdu, Benaise, où seuls vivent des handicapés (sourds, aveugles, boîteux, manchots,...). Ce village a son propre fonctionnement et ses habitants y sont heureux (d'ailleurs, dans le district on dit être "benaise" quand on est bien comme il faut). Quel rapport avec Lénine me direz-vous? Eh bien, un jour, leur chef de district (un "gens complet") décide de créer un haut-lieu touristique, les Ames mortes (ha ha! coucou Gogol), où seront regroupés les momies / dépouilles de grands hommes. Afin de réunir les fonds nécessaires à l'achat aux Russes de la momie de Lénine, il décide de former une troupe benaise, sorte de production de freaks.

Le cadre est donné : de l'humour assez noir, distancié, une histoire assez foutraque et une belle critique du capitalisme (et aussi du communisme tel qu'il peut être pratiqué). Alors, j'avoue avoir été un peu perdue dans ce livre. Je l'ai d'ailleurs recommencé car j'avais du mal à entrer dedans. Mais... il vaut le coup. L'écriture est un peu froide et je crois qu'il me manquait les codes culturels de l'humour chinois. J'ai également été un peu perturbée au départ par la grande série de notes explicatives, ainsi que par la narration proche de la fable au départ et puis... en prenant aussi de la distance, on rigole (noir et jaune).

Voyez-vous ça : c'était la canicule, on était mal benaise et il a neigé ! Une neige chaude est tombée.
En une nuit l'hiver est revenu. Ou plutôt : après qu'en un clin d'oeil l'été s'en est allé, sans laisser à l'automne le temps de se poser, à pas pressés il s'est installé. L'été était torride, et faisant fi de tout principe le temps s'est détraqué, nous a fait une crise d'épilepsie.


Tous ceux qui avaient un soupçon d'art devaient s'inscrire auprès du chef du district. Le secrétaire notait dans son carnet la ribambelle des noms et leurs talents particuliers :
Le Singe Une-patte : court sur une seule jambe.
Ma le sourd : pétards accrochés à l'oreille.
Le borgne : enfile les aiguilles.
La paralytique : brode sur les feuilles d'arbre.


Quand les pétards se turent, le sourd retira tranquillement sa plaque de fer, qu'il battit comme une percussion au bénéfice du public. Puis il ramassa par terre un pétard qui n'était pas parti, le posa dessus, l'alluma, et ce fut exactement comme s'il avait explosé sur un gong. Après quoi, de nouveau, il tendit aux spectateurs son profil gauche, d'un noir de laque à force de fumées chaudes, pour qu'ils soient bien sûrs qu'il était complètement boucané et parfaitement calme. Enfin il leur sourit, d'un sourire niais et satisfait.


Traduction de Sylvie Gentil.
Editions Picquier poche, 11, 70 €.

dimanche 23 novembre 2014

La Salamandre - Ibuse Masuji

lasalamandre.jpg Dans ce recueil de nouvelles disponible en Picquier poche, le Japonais Masuji Ibuse, nous offre six textes mêlant regard pointu sur la société, finesse psychologique et références aux contes traditionnels. Que dire si ce n'est que c'est très bien écrit (avec une mention donc pour la traductrice Martine Jullien, puisque je ne lis pas le japonais) et d'une extraordinaire délicatesse... Les animaux sont très présents dans ces récits et leurs situations font souvent écho aux tourments internes des hommes. Prenez le temps de découvrir cet auteur et son regard bienveillant sur la société japonaise, ses hommes, la vie. Pour ma part, je poursuivrai cette lecture par Pluie noire.


Elle eut l'idée de nager en rond, en essayant de profiter au maximum de l'espace dont elle disposait. Ainsi font les hommes quand ils broient des idées noires. Mais le logis de la salamandre était loin d'être assez vaste pour lui permettre de tourner en rond.


Dix ans, déjà, que me voilà tracassé pour une histoire de carpe.


M'étant approché sans bruit de l'oie blessée, je la soulevai de mes deux mains. J'eus aussitôt l'impression que la chaleur de son plumage d'oiseau migrateur passait doucement dans mes bras. Ma surprise de la trouver si lourde éclaircit quelque peu le sentiment de tristesse qui ne me quittait pas cette année-là.


Elle avait l'air grave, elle était plongée dans ses pensées. Elle n'avait cessé de joindre ses deux mains exactement comme si elle avait gardé précieusement un grillon qu'elle aurait attrapé. Puis elle avait paru embarrassée, comme si elle ne savait plus que faire du grillon qu'elle avait dans les mains et, une fois passée la gare de Yokohama, elle m'avait adressée pour la première fois la parole.


Pour tout dire, les cinq yens de la nuit précédente étaient depuis longtemps dépensés - en tabac, enveloppes, cordonnier, dîners -, rien n'allait comme je voulais. J'étais bien plus tracassé par le billet de cinq yens et par la boîte de gâteaux que si j'avais commis un vol. Quand j'étais enfant, j'avais une fois volé l'offrande de l'autel de Bouddha pour m'acheter un hameçon, mais cela ne m'avait pas préoccupé à ce point.


- Ces gens qui ont la manie d'écrire des lettres, ça les fait presque tomber en extase. Ils écrivent, ils effacent, ils sont complètement pris. Il leur arrive même d'écrire des choses qu'ils ne pensent pas. Ca n'est pas vrai, madame? - Plus ou moins... Et puis mon Shunmi, il met aussi des poèmes dans ses lettres, je peux bien vous le dire. Même quand il est en train de manger, il lui arrive parfois de compter sur ses doigts cinq-sept-cinq.



Grimmy

jeudi 1 mai 2014

La Prière d'Audubon - Isaka Kôtarô

priereaudubon.jpg Pourquoi et comment le héros (pas très glorieux) de ce roman se retrouve sur cette île presque fantastique? Quel rapport avec Audubon, l'ornithologue? C'est ce que le lecteur découvrira au fil des pages de ce beau roman japonais, quasi initiatique, entre tradition et modernité. Un beau texte, sensible, qui traite avec poésie du destin et de la vie. Si vous aimez les mystères, les personnages un peu étranges et les intrigues travaillées, n'hésitez plus. La Prière d'Audubon devrait vous plaire. Edité par Picquier (disponible en poche), le livre est bien traduit, maquetté avec soin, avec une jolie couverture. Très très agréable, vraiment. Je vous laisse juger sur pièces.


" Toi, tu vas prendre la fuite." Ma grand-mère, qui est morte d'un cancer, avait clairement énoncé cette phrase il y a deux ans, en pointant le doigt sur moi. Elle avait l'air de faire une prophétie. Mais elle avait dit vrai : aucun doute, j'étais du genre à prendre la fuite quand je me trouvais confronté à un problème.



"Tu vois le chat, là, sous le grand orme? a dit Hibino.
- Oui.
- Tant qu'il ne bouge pas du pied de l'arbre, ça veut dire que le temps va rester au beau.
- Hein?
- S'il grimpe sur l'arbre, ça veut dire qu'il va bientôt pleuvoir.



Hibino avait beau ressembler à un chien, il n'avait pas beaucoup de flair. Sa réaction a été plutôt lente. Ou peut-être qu'il n'était pas du genre rapide, intellectuellement parlant.



Pour aller plus loin : une interview très intéressante de la traductrice, Corinne Atlan sur le blog encathymini. Cela commence ici et se poursuit .


Grimmy