Les feuilles pas mortes

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mardi 4 octobre 2022

La Panthère des neiges - Sylvain Tesson

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Sylvain Tesson est un auteur voyageur français, né en 1972. Je le connaissais de nom mais n'avais jamais rien lu de sa plume avant de répondre à l'appel de cette Panthère des neiges.
Ce récit fait partie des meilleures ventes de livres en langue française en 2019, autant dire que l'ouvrage avait sans aucun doute bénéficié d'une belle promotion et de bonnes critiques.
Pour ma part, je l'ai lu avec un regard vierge, sans avoir prêté attention au bruit médiatique d'il y a trois ans, sans regarder auparavant le profil politique de l'auteur (certains le décrivent comme un écrivain voyageur réac, qui essentialise les populations).
A vrai dire, l'homme m'intéresse peu (sinon j'aurais déjà su tout cela avant d'emprunter ce livre). Par contre, j'ai apprécié ce récit de ce voyage en compagnie de Vincent Munier : une belle confrontation aux milieux naturels, un style direct, limpide, de quoi nous faire partager un peu de cette quête de la vision d'un animal splendide, sauvage, tel que la panthère des neiges. Pour un homme qui était surnommé un temps "le prince des chats", pour un homme qui aime grimper sur les toits, on peut se douter de la portée ré-initiatique de ce voyage où le saint-Graal est une vision d'un majestueux félin.
Un beau récit, qui nous rend accessible le monde de ces "aventuriers de la nature", sans qui nous ne connaîtrions pas les coulisses des clichés d'une faune sauvage qui se raréfie.

"Panthère", le nom tintait comme une parure. Rien ne garantissait d'en rencontrer une. L'affût est un pari : on part vers les bêtes, on risque l'échec.


Jérôme Bosch, Flamand des arrière-mondes, avait intitulé une gravure Le bois a des oreilles, le champ a des yeux. Il avait dessiné des globes oculaires dans le sol et dressé deux oreilles humaines à l'orée d'une forêt. Les artistes le savent : le sauvage vous regarde sans que vous le perceviez. Il disparaît quand le regard de l'homme l'a saisi.


Un chat de Pallas, Otocolobus manul, surgit sur un piton au-dessus de la piste, avec sa tête hirsute, ses canines-seringues et ses yeux jaunes corrigeant d'un éclat démoniaque sa gentillesse de peluche. Ce petit félin vivait sous la menace de tous les prédateurs. Il semblait en vouloir à l'Evolution de lui avoir octroyé pareille dose d'agressivité dans un corps si charmant.

Edition NRF Gallimard, 18 euros.

Grimmy

lundi 17 février 2014

Au coeur des ténèbres - Joseph Conrad

coeurtenebres.gif Je ne vous ferais pas l'affront de vous présenter Joseph Conrad (Wikipedia le fera très bien pour moi au cas où vous souhaiteriez réviser vos classiques anglais). C'est un auteur dont j'aime la plume, que je trouve vive et expressive. J'avais déjà pris du plaisir en lisant Nostromo (qui est très long) et me suis donc lancée gaiment dans Au coeur des ténèbres (ben oui, faut bien y aller gaiment, car c'est tout sauf une lecture gaie).

Vous aimez l'aventure, le goût du risque et de la sueur, côtoyer une folie "exotique"? L'Afrique noire et le commerce de l'ivoire vous intrigue? Si oui, vous devriez apprécier Au coeur des ténèbres (si non, vous pouvez essayer quand même, le risque est limité finalement quand on lit). Pour ma part, j'ai aimé, sans tout comprendre (faut dire aussi que parfois je lis la nuit ou tôt le matin et que mes yeux et mon cerveau sont quelque peu endormis). Le texte est court, percutant et réussit bien à transmettre une ambiance malsaine, mystérieuse, envoûtante.

Le texte a été édité dans la collection L'Imaginaire de Gallimard. J'aime cette collection mais y ai vu quelques coquilles (des mots oubliés surtout), dommage pour un ouvrage publié par une grande maison (ah là là, tout se perd, ma bonne dame, tout se perd). Ceci dit, l'édition est très agréable (joli papier, texte aéré et intéressante suggestion de lecture pour ceux qui ont aimé Au coeur des ténèbres) et propose en bonus sur un dvd le film Apocalypse Now. Un joli cadeau pour 12€50.

Quelques extraits apéritifs :

Il était le seul d'entre nous qui courût encore les mers. Le pis qu'on eût pu dire de lui, c'est qu'il ne représentait pas son espèce. C'était un marin, mais un vagabond aussi, alors que la plupart des marins mènent, si l'on peut ainsi s'exprimer, une vie sédentaire.


Une terreur aveugla avait tout dispersé, hommes, femmes, enfants, dans la brousse : et ils n'étaient jamais revenus. J'ignore ce qu'il advint des poules.


"Ne soyez pas si sûr de votre affaire... L'autre jour, j'en ai chargé un qui s'est pendu en route. Et c'était un Suédois!.. - Pendu! m'écriai-je. Et pourquoi, grands dieux!" Il ne détourna pas son regard vigilant. "Que sais-je!... Sans doute en avait-il assez du soleil ou du pays peut-être..."



Et pour aller plus loin (en digestif donc) :
une page d'un passionné de romans d'aventure,
une page-ressource sur l'auteur,
la page wikisource proposant ses ouvrages
une lecture de la nouvelle

Grimmy

mardi 10 décembre 2013

Le Prisonnier du Caucase et autres nouvelles - Vladimir Makanine

prisonniercaucase.jpegVladimir Bakanine est un auteur russe né en 1937 ayant obtenu plusieurs prix pour son oeuvre (dont le prix européen de littérature en 2012). Les nouvelles du recueil Le Prisonnier du Caucase et autres nouvelles paraissent en français en 2005 chez Gallimard, dans la NRF, dans une traduction de Christine Zeytounian-Beloüs (en neuf, il faut donc compter 21 € pour cette édition).

Souvent présenté comme le dernier "classique russe" vivant, Vladimir Bakanine a en effet une plume particulière, presque "vieillie". Je trouve Gogol plus moderne dans ses Nouvelles de Saint-Petersbourg à vrai dire. Pas de franc coup de coeur donc pour ce recueil découvert par hasard (au gré d'une vente liée à un désherbage en médiathèque). J'ai trouvé que la langue était belle, que c'était intelligent mais je n'ai absolument pas été touchée, à part peut-être par la nouvelle "La Lettre A" qui met en scène un groupe de déportés en Sibérie résistant à leur manière à l'oppression. Je le relirai peut-être dans quelques années, mais là, c'est trop froid pour moi. Quelques extraits pour la route :

Les soldats ignoraient probablement que la beauté sauverait le monde, mais ils avaient tous deux une certaine notion de la beauté.

Depuis plus d'un an, les zeks travaillaient fièrement à leur grand et mystérieux projet qui consistait à graver un certain mot sur la falaise près du camp. Pour qu'il se voie de loin. Avant tout, cette inscription était le fruit d'un labeur librement consenti et ne relevait pas du train-train honni de la vie carcérale. (Pas plus que, par exemple, les réserves secrètes de biscottes ou le concert amateur monté pour le Premier Mai. Quand ils avaient récité des poèmes de leur composition consacrés au grand leader.) Et puis c'était un peu un défi, bien sûr. Au camp, les mots ne signifiaient plus grand chose.

Au déclin des ans... Assagie, et la tête déjà passablement grisonnante... Que ressent une femme qui toute sa vie n'a aimé qu'un seul homme? Rien. Absolument rien.

Grimmy

Pour aller plus loin : le discours de Makanine à l'occasion des 8e Rencontres européennes de littérature. Très beau texte, avec une réflexion intéressante sur les mouchards.