Les feuilles pas mortes

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mardi 7 septembre 2010

Géométrie d'un rêve - Hubert Haddad

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Un romancier s'exile sur la côte finistérienne pour panser ses blessures, pour se remettre de la perte de la femme qu'il aimait. C'est sans en avoir lu l'accroche que j'ai décidé d'emprunter ce livre. Je l'ai choisi juste parce qu'il était beau, que le titre me parlait et que j'aime les productions de Zulma.
Géométrie d'un rêve est un très beau roman. Je tiens à souligner le travail éditorial, que j'apprécie souvent dans cette maison d'édition : belle couverture laissant place à l'imagination, police agréable, texte aéré laissant place à la respiration, correction orthotypographique. La classe !
J'ai adoré cette lecture (pour dire, je l'ai lu en vacances, sous la tente, avec ma loupiote à recharger manuellement). Un vrai roman, avec du souffle, de l'imagination, de la réflexion, de l'émotion et du style. La délicatesse de l'écriture et la mise en abyme permanente de l'oeuvre donnent de l'ampleur au récit et j'espère pouvoir vous tenter juste en vous laissant goûter quelques extraits de ce texte (non non je ne suis pas une paresseuse du résumé, quoique...).

Ici, à Ker Lann, le vent parle on dirait. Il me rappelle d'une voix connue la longue histoire de mes errements. J'ai tout perdu avec Fedora. Ma solitude est telle que je dois prendre garde à bien clore portes et fenêtres. Le soir, une peur d'enfant me vient avec la pression des rêves. C'est une sorte d'infirmité que l'impossibilité de distinguer les vivants des morts dès que les paupières se ferment. A mon âge, l'accumulation des cendres ne laisse plus guère luire les braises que dans le profond sommeil. Mais je pressens un incendie à chaque réveil brusque. L'insomnie n'éclaire pas la nuit de flammes : dix fois, je me relève d'un suaire pour observer le croisement des phares sur la pointe d'Ar-Grill et le gouffre du large, si proche de l'oubli, au-delà des récifs et des îles de la Fée.

Petit, j'étais le seul chat de ma grand-mère ayant le droit de manger à table. Fabuleux privilège quand on connaissait son attachement à chacun d'eux. Je n'ai jamais su combien nous étions, entre cinq et huit peut-être, car elle refusait de nous compter. Sa méthode de gestion tenait toute dans l'évocation successive jusqu'à épuisement de son champ affectif il y avait Taupette, le gros angora, Frisson le siamois esthète, Sarah couleur isabelle, le vieil égyptien, vulgaire chat de gouttière aux oreilles de fennec, ensuite je ne sais plus. La vieille femme donnait à tous sa faveur. C'était sa façon d'être : elle préférait chacun à tour de rôle. Pour les choses comme pour les créatures. La pluie venait la délivrer du soleil et la nuit du jour. Le meilleur pour elle était toujours maintenant, même si demain ne valait pas hier.

Le romancier qui se cache est-il bien réel? Il a beau se régaler de mots rares, quand la romancerie tourne en romancines, le doute menace. Libre à lui de se réinventer derrière un pseudonyme ou d'accumuler rocamboles, farragos et patarafes pour tromper son monde. Du galimart que tout cela ! Le seul charme du roman, au fond, c'est d'y croire (à rebours de la réalité, qui n'est qu'un parti pris de somnambules).



Grimmy

samedi 17 juillet 2010

La Porte des enfers - Laurent Gaudé

laportedesenfers.jpg Je n'avais jamais lu de roman de Laurent Gaudé. L'envoi surprise de Clara (merci !) a réparé cette lacune.
La Porte des enfers conte la descente aux enfers d'un couple de Napolitains qui perd son enfant lors d'une fusillade à Naples. Pippo est victime d'une balle perdue en pleine journée, alors que son père, Matteo, l'amenait à l'école.

Le récit est bien construit, alternant entre deux époques et adoptant des points de vue différents (celui de Matteo, de Giuliana et de Pippo). L'auteur mêle habilement dans son récit la réflexion sur le deuil et la narration. L'écriture est fluide et bien menée.

Bien que très touchée par ce livre (mais je crois que vu le sujet, il est difficile de ne pas l'être), je n'ai pas eu de coup de coeur pour ce livre (ni pour cet auteur).

J'ai en effet été gênée par deux aspects du livre. Premièrement, je m'attendais à un roman napolitain et n'ai pas senti l'ambiance de cette ville dans le roman. Cela m'a un peu déçue mais ce n'est pas le plus important. Ce qui m'a le plus dérangée, c'est l'aspect didactique et la vision du monde proposée par l'auteur. La pauvre Giuliana est un personnage caricatural, qui se remplit de haine et qui, quand elle décide d'oublier sa vie de femme et de mère est condamnée par le narrateur. Dire que penser à nos morts les rassure dans l'au-delà peut être une option réconfortante pour ceux qui restent, mais jeter la pierre à ceux qui ne peuvent vivre avec leurs souvenirs, qui n'y parviennent pas me dérange. Le livre m'a laissé le même sentiment amer que la vision du film Mar adentro, où l'on mettait en parallèle deux malades incurables. L'un décidait de mourir avant que son état ne se dégrade trop, l'autre se raccrochait à la vie. Le film montrait clairement à la fin que le premier avait fait le bon choix. Je suis toujours gênée par ce procédé narratif car je le vois comme un procédé efficace pour argumenter mais aussi comme une négation de la liberté (ou non liberté) de choix et d'action de chacun. Enfin, après réflexion, je suis aussi un peu gênée par le fait que seuls les personnages masculins (travestis ou non) soient valorisés (bon, là, ok, c'est peut-être moi qui y suis un peu trop sensible).

Ceci dit, La Porte des enfers reste un texte intéressant, un bon roman qui traite avec pudeur et fantastique un thème difficile. Merci Clara de le faire découvrir.

Les amis, les collègues de la centrale des taxis, les voisins, tous ces gens prononçaent les mêmes mots, à voix basse sans attendre de réponse, comme on pose une offrande aux pieds d'une statue. Ils disaient merci. Ils disaient qu'ils étaient touchés. Ou ils ne disaient rien et serraient les mâchoires pour ne pas pleurer.


Il pleura sur la cruauté de la mort qui se joue ainsi des âmes pour asseoir son pouvoir et pour que ne règne sur son royaume sans fin, comme cela a toujours été, que le silence résigné de ceux qui ne savent plus ce que furent le désir, les larmes, la rage et la lumière, et qui marchent sans savoir où ils vont, creux comme des arbres morts dans lesquels siffle le vent.


" c'est la règle du pays des morts, continua Mazerotti. Les ombres auxquelles on pense encore dans le monde des vivants, celles dont on honore la mémoire et sur lesquelles on pleure, sont lumineuses. Elles avancent vers le néant imperceptiblement. Les autres, les morts oubliés, se ternissent et glissent à toute allure vers le centre de la spirale.".



Grimmy

samedi 15 mai 2010

Le Combat ordinaire 4 - Planter des clous - Manu Larcenet

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Le tome 4 de cette belle série vient enfin de rejoindre ma bibliothèque et je l'ai lue sitôt rentrée (les bds n'attendent jamais bien longtemps chez moi!).

Pour reprendre la 4e de couverture, "c'est l'histoire d'un chantier qui ferme, d'une petite fille amoureuse, d'un soir d'élections et d'une nuit dehors...".

On retrouve donc Marco quelques années après la fin du n°3. Il travaille pour un journal et va toujours de temps à autre voir sa mère et les anciens du chnatier où travaillait son père. La bd s'ouvre sur la présentation de la petite nouvelle, Maude, la petite fille de Marco et d'Emilie. Maude va apporter un tourbillon de fraîcheur dans la vie du protagoniste.


Planter des clous est un bel album où Larcenet présente sa vision de la paternité et nous offre un constat assez amer sur la politique et le journalisme. Les thèmes habituels du Combat ordinaire se mêlent habilement : on sourit, on éprouve de la tristesse, de l'amertume, de la tendresse.

Un bel album que je recommande tout aussi chaudement que les premiers opus de la série. En refermant le livre, je me demandais par contre ce qu'était devenu le frère de Marco, et sa famille. J'aurais aimé avoir de ses nouvelles, comme quand l'on suit avec amitié les aventures d'amis...

Je vous laisse en compagnie de quelques extraits de Planter des clous :

- Mon papa y serait tout mort sans moi
- C'est intelligent ce jeu, tiens !
- Ah ça ! Si j'avais dû compter sur toi, je serais encore en train de crever de froid avec ma jambe cassée!

Si tu veux qu'ils jouent avec toi, il ne faut pas crier... C'est pas chez nous ici, c'est chez les écureuils...

Alors aujourd'hui, c'est à la mode, d'avoir des racines de-ci, de-là... Conneries, oui ! C'est rien d'autre que la glorification de la tradition imbécile ! Ca nous colle au sol... Ca nous empêche d'avancer... Les racines, c'est bon pour les ficus !

vendredi 14 mai 2010

L'oeil du purgatoire - Jacques Spitz

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Pour présenter Jacques Spitz, je me permets de reprendre la présentation disponible sur Wikipedia :
Jacques Spitz est un écrivain français né en 1896 à Ghazaouet (Algérie) et décédé à Paris en 1963. Polytechnicien, ingénieur conseil, il écrivit plusieurs romans de science-fiction d'un modernisme étonnant.

Je ne connaissais pas du tout cet auteur quand ce livre m'a fait de l'oeil sur l'étagère de la librairie. L'oeil du purgatoire est un roman qui se situe entre le fantastique et la science-fiction. Le narrateur est un peintre désabusé qui va expérimenter une étrange découverte. Il va ainsi non pas voyager dans le temps ou dans l'espace, mais dans la causalité. Non, non, ne quittez pas, tout est très bien expliqué et Spitz réussit habilement à nous embarquer dans cette histoire novatrice. Il y invente un nouveau temps, un présent vieilli qui se dilate en permanence ! On s'en doute, le narrateur ne sera pas forcément enchanté de son odyssée.

Je convie allègrement les mordus de littérature fantastique au sens propre à embarquer dans ce voyage étrange. Je suis contente d'avoir découvert cet auteur dont les écrits n'ont pas beaucoup vieilli. Je vous laisse en juger par vous-mêmes :

Je lui en ficherai, moi, de la peinture claire ! Quelle idée se fait-il donc de moi? Du reste comme tous les marchands de tableaux, Gugenlaert ne comprend rien à la peinture... Personne ne comprend rien à la peinture, pas même ceux qui la font.


J'ai rangé mes toiles, mes pinceaux. Je laisserai ma palette propre. Les palettes des grands peintres, celles qu'on montre après leur mort, ressemblent toujours à l'assiette abandonnée par un amateur de camembert. J'épargnerai cet écoeurement à mes problématiques admirateurs.


Grimmy

samedi 24 avril 2010

La Quête de l'oiseau du temps - Avant la Quête 3 - La Voie du Rige - Le Tendre Loisel Mallié

ccccccccccccc Cela fait des années que je suis La Quête de l'oiseau du temps, une série initiée par Loisel et Le Tendre. Pour ceux qui ne connaissent pas cette série, ils peuvent commencer par le cycle de La Quête de l'oiseau du temps ou par celui d'Avant la quête, il n'y a aucune difficulté à les lire indépendamment. C'est une série d'Heroic Fantasy qui conte les aventures d'un héros, Bragon, parti à la recherche de l'oiseau du temps pour aider la sorcière Mara à sauver son royaume.
De l'aventure, des histoires d'amour et de l'humour, tous les ingrédients sont là pour attacher les lecteurs à cette série. Les planches sont magnifiques et chaque album de cette série est un régal.

La Voie du Rige raconte donc comment le héros, Bragon, a pu devenir l'élève du grand maître, le Rige. Les auteurs poursuivent donc ainsi le récit de l'initiation de Bragon. Il s'agissait au tout début d'un jeune garçon féru d'aventure et nous sommes déjà en présence d'un jeune homme valeureux qui a tiré la leçon de ses expériences. Nous suivons aussi épisodiquement l'évolution de Mara. Cet album est une jolie réussite. J'éprouve toujours autant de plaisir à suivre cette série et suis d'autant plus impatiente de connaître la suite que les auteurs nous révèlent des aspects psychologiques qui prendront certainement toute leur importance dans le futur cycle d'Après la quête.

Un album et une série que je conseille donc aux amateurs de bande dessinée soignée. En voici quelques extraits :

- Bragon! Mais oui... Sang et fumée! C'est lui le fameux Bragon!! Comment ça se fait qu'on n'ait pas fait le rapprochement?
- Moi, je l'imaginais avec un faciès de brute, un peu comme vous autres! Hi! Hi! Hi!

- J'ai eu du mal à le dénicher mais il n'y a pas mieux que le foie de fielleux pour redonner des forces.
- Merci, mais... vous êtes sûr? Ca pue vraiment ce... ce truc.


Grimmy

mardi 20 avril 2010

Pinocchio - Winshluss

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Voici un album qui a atterri chez moi presque par hasard. Je cherchais un livre à découvrir chez notre libraire bd et l'ai repéré sous son papier cellophane. Une belle couverture avec un pinochio argenté en réserve, un aspect classieux et un autocollant "primé à angoulême" a attisé ma curiosité. J'ai demandé à l'ouvrir et hop embarqué.

Pour la petite histoire, Winshluss est un auteur qui a travaillé sur le film Persépolis. Cet album de 188 pages est édité par les Requins marteaux (et ils le sont, marteaux, pour proposer un tel album, dans une édition de ce standing, j'ose même pas imaginer les devis!). Il s'agit donc d'une libre adaptation de l'histoire de Pinocchio.

J'ai trouvé l'oeuvre assez difficile d'accès car elle contient très peu de texte (c'est là que je me suis rendue compte à quel point je m'accroche au texte quand je lis une bd). La narration est également entrecoupée selon les points de vue adoptés. Les styles graphiques sont très variés ("vieille bd américaine" / croquis vite réalisés / planches en pleine page magnifiques que l'on aimerait encadrer) et correspondent tous à un propos particulier. Au départ, on peut se sentir un peu perdu, mais l'ensemble est très cohérent et bien lié. Je suis contente de m'être accrochée (en même temps, une fois acheté...).

Quant à l'adaptation du conte de notre enfance, le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle est en effet très très libre. Winshluss joue avec les codes des bds et ceux des contes. Le pauvre Pinocchio se trouve ainsi dans un monde hostile : la baleine devient un poisson radioactif, Gepetto et sa femme sont de minables pervers et le criquet (ou le grillon, je ne sais plus) devient un cafard parlant au chômage. L'histoire merveilleuse bascule donc dans un cauchemar total ! Et je ne vous parle même pas de la pauvre Blanche-Neige que je ne regarderai jamais plus de la même façon (oh, les vilains nains, si vous saviez!).

Bref, un album que je recommande aux curieux. Il vaut le détour !

Grimmy

dimanche 18 avril 2010

Le Combat ordinaire 3 - Ce qui est précieux - Manu Larcenet

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Voici un tome du Combat ordinaire qui s'ouvre par un extrait d'un titre des Clash : "I've been beat up / I've been thrown out / but I'm not down".

Nous avons quitté Marco à la mort de son père et le retrouvons en plein travail de deuil. Que dire, sinon qu'une fois de plus j'ai été beaucoup touchée par cette bd. Larcenet ne tombe pas dans le pathos et signe un album émouvant et juste.

La relation père-fils, celle avec sa mère en deuil, avec son frère qui dérape, avec sa copine Emilie sont mises en scène à ce moment-clé de l'existence de Marco. L'humour reste présent, ce qui pour moi accentue la justesse de l'album. Car même aux pires moments, on peut rire de broutilles, ne serait-ce que 5 minutes, parce que la vie continue.

Marco (qui est narrateur de son histoire) parle aussi de son travail et de la sortie de son livre hommage sur le monde dont il vient. Il raconte en quelque sorte comment il retrace l'histoire de son père afin de mieux s'accepter lui-même. Une fine analyse dans laquelle beaucoup de lecteurs peuvent se retrouver. Je vous laisse en compagnie de quelques extraits et vous recommande ardemment cette série. Le tome 4 rejoignera bientôt ma bibliothèque.

Des souvenirs, j'en ai plein la tête, j'ai pas besoin d'en avoir plein mes tiroirs.

Pour conjurer la peur, depuis tout môme, j'ai imaginé ce moment sous toutes ses coutures. Je l'ai tellement fantasmé que lorsqu'il est arrivé... j'ai été soulagé. Etrangement, c'est comme si je m'étais dit : "on y est. C'est arrivé. Une horreur de moins à vivre, c'est toujours ça de pris."

Grimmy

mercredi 31 mars 2010

La vie mode d'emploi - Georges Pérec

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La Vie mode d'emploi est un roman de Georges Perec publié en 1978. Il a obtenu la même année le prix Médicis. Ce roman raconte la vie (les vies) d'un immeuble parisien entre 1875 et 1975. Chaque appartement et chaque habitant est répertorié et décrit minutieusement, comme si l'on se trouvait dans un immense mode d'emploi.

C'est un roman très abouti qui se picore peu à peu. Il est long et on ne peut pas dire que l'intrigue est passionnante. Nous sommes bien loin des romans qui tiennent en haleine et ne tiennent que par leur trame narrative. Ici, il s'agit plutôt d'un roman conceptuel, qui se propose de tout dire sur cet immeuble entre 1875 et 1975. On peut ainsi y lire (ou ne pas lire) des recettes, des listes de courses, des faits divers, des descriptions minutieuses (et ironiques) des objets, de minis-romans imbriqués, etc. Quelques recherches sur la Toile m'ont permis d'entrevoir à quel point la construction du roman était aboutie et compliquée, un véritable défi, un immense puzzle.

Pour les amateurs de l'Oulipo, un petit tour sur le cahier des charges (si si) du roman est intéressant. Par exemple d'un chapitre à l'autre, on passe d'une pièce à l'autre en suivant l'algorythme du cavalier.

Il est vrai que je n'ai pas été passionnée par cette lecture mais, malgré tout, j'hésite déjà à le relire (mais pas tout de suite) pour mieux voir tous les jeux auxquels s'est prêté Perec. Mais avant, je lirai La Disparition (roman écrit sans utiliser la lettre E).

Je le conseille donc surtout aux amateurs de livres-concepts-construction-mathématique !

Grimmy

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