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Un romancier s'exile sur la côte finistérienne pour panser ses blessures, pour se remettre de la perte de la femme qu'il aimait. C'est sans en avoir lu l'accroche que j'ai décidé d'emprunter ce livre. Je l'ai choisi juste parce qu'il était beau, que le titre me parlait et que j'aime les productions de Zulma.
Géométrie d'un rêve est un très beau roman. Je tiens à souligner le travail éditorial, que j'apprécie souvent dans cette maison d'édition : belle couverture laissant place à l'imagination, police agréable, texte aéré laissant place à la respiration, correction orthotypographique. La classe !
J'ai adoré cette lecture (pour dire, je l'ai lu en vacances, sous la tente, avec ma loupiote à recharger manuellement). Un vrai roman, avec du souffle, de l'imagination, de la réflexion, de l'émotion et du style. La délicatesse de l'écriture et la mise en abyme permanente de l'oeuvre donnent de l'ampleur au récit et j'espère pouvoir vous tenter juste en vous laissant goûter quelques extraits de ce texte (non non je ne suis pas une paresseuse du résumé, quoique...).

Ici, à Ker Lann, le vent parle on dirait. Il me rappelle d'une voix connue la longue histoire de mes errements. J'ai tout perdu avec Fedora. Ma solitude est telle que je dois prendre garde à bien clore portes et fenêtres. Le soir, une peur d'enfant me vient avec la pression des rêves. C'est une sorte d'infirmité que l'impossibilité de distinguer les vivants des morts dès que les paupières se ferment. A mon âge, l'accumulation des cendres ne laisse plus guère luire les braises que dans le profond sommeil. Mais je pressens un incendie à chaque réveil brusque. L'insomnie n'éclaire pas la nuit de flammes : dix fois, je me relève d'un suaire pour observer le croisement des phares sur la pointe d'Ar-Grill et le gouffre du large, si proche de l'oubli, au-delà des récifs et des îles de la Fée.

Petit, j'étais le seul chat de ma grand-mère ayant le droit de manger à table. Fabuleux privilège quand on connaissait son attachement à chacun d'eux. Je n'ai jamais su combien nous étions, entre cinq et huit peut-être, car elle refusait de nous compter. Sa méthode de gestion tenait toute dans l'évocation successive jusqu'à épuisement de son champ affectif il y avait Taupette, le gros angora, Frisson le siamois esthète, Sarah couleur isabelle, le vieil égyptien, vulgaire chat de gouttière aux oreilles de fennec, ensuite je ne sais plus. La vieille femme donnait à tous sa faveur. C'était sa façon d'être : elle préférait chacun à tour de rôle. Pour les choses comme pour les créatures. La pluie venait la délivrer du soleil et la nuit du jour. Le meilleur pour elle était toujours maintenant, même si demain ne valait pas hier.

Le romancier qui se cache est-il bien réel? Il a beau se régaler de mots rares, quand la romancerie tourne en romancines, le doute menace. Libre à lui de se réinventer derrière un pseudonyme ou d'accumuler rocamboles, farragos et patarafes pour tromper son monde. Du galimart que tout cela ! Le seul charme du roman, au fond, c'est d'y croire (à rebours de la réalité, qui n'est qu'un parti pris de somnambules).



Grimmy