Les feuilles pas mortes

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samedi 4 décembre 2010

Vent printanier - Hubert Haddad

ventprintanier.jpg Vent printanier est un recueil de nouvelles de Hubert Haddad, dont le titre fait référence à l'opération Vent printanier (nom de code utilisé lors de la Rafle du Vélodrome d'hiver en juillet 42).

C'est grâce à Clara que j'ai eu vent de ce petit recueil, composé par un auteur dont j'avais beaucoup aimé la plume lors de la lecture de Géométrie d'un rêve.

Côté forme, c'est un joli petit livre (10,5 x 15 cm) contenant quatre nouvelles. Il est édité par Zulma, dont le travail éditorial procure toujours d'agréables lectures (j'aime leurs choix éditoriaux, leurs marges, leur typo élégante et leur sens du détail, tant pis si je me répète mais vraiment je n'ai jamais été déçue par une de leur production).

Vent printanier est un recueil de nouvelles qui oscillent entre la mémoire et l'imaginaire, la réalité et le fantastique, l'histoire et l'actualité. Une petite fille s'identifie à Meranda, une fillette décédée à Auschwitz (rappelez-vous le devoir de mémoire que l'on voulait cultiver en école primaire en donnant à chaque enfant un filleul déporté!), un vieil homme rescapé de la rafle de 1942 croise un petit garçon rom cherchant les siens après l'expulsion de leur camp en 2009, un vieux photographe croise son double enfantin, un homme se remémore comment il a pu échapper à une triste chasse aux lièvres. Quatre histoires proposant des regards d'enfants sur l'exclusion et l'horreur humaine, quatre histoires qui nous montrent aussi, hélas, que l'histoire se répète, en variant sensiblement, quatre histoires que l'on aimerait non nécessaires

La plume d'Hubert Haddad est délicate. Je ne trouverai pas d'autre mots aujourd'hui pour la décrire. Il réussit à composer des textes littéraires engagés sans alourdir sa pensée ni son style (ce qui est un art très difficile). Je vous laisse en juger.

Elle avait soufflé les bougies sans imaginer un instant les distinguer les unes des autres, la septième de la huitième, ou la neuvième de la dernière. Chaque flamme pourtant devait bien figurer une année particulière. Un an plus tard, elle soufflerait plutôt sur toute cette neige. Chaque flocon tombe d'une étoile morte.


Seul, il avait échappé à la rafle du Vel' d'hiv', grâce à un peu de sable ramassé avant l'aube pour la litière du vieux matou qui l'avait vu naître. Le chat de la maison s'était enfui.


Né en 1935, sept ans avant la déportation des siens, il avait eu le temps de tout oublier de son enfance et des anecdotes fugaces composant une mémoire. Ne demeurait qu'un cliché argentique dont la pâleur progressive avait absorbé peu à peu tous les souvenirs. C'est ainsi : l'image vivante se fixe et disparaît dans la photographie qui semblait un recours.


Dans un pays sans mer, le train seul donne à rêver du grand large, au-delà des forêts et des montagnes. Il neigeait ce jour-là.


Merci Clara d'avoir fait voyager ce livre !

En bonus: une petite interview de l'auteur sur ce livre


Grimmy

mardi 7 septembre 2010

Géométrie d'un rêve - Hubert Haddad

geometrie.jpeg

Un romancier s'exile sur la côte finistérienne pour panser ses blessures, pour se remettre de la perte de la femme qu'il aimait. C'est sans en avoir lu l'accroche que j'ai décidé d'emprunter ce livre. Je l'ai choisi juste parce qu'il était beau, que le titre me parlait et que j'aime les productions de Zulma.
Géométrie d'un rêve est un très beau roman. Je tiens à souligner le travail éditorial, que j'apprécie souvent dans cette maison d'édition : belle couverture laissant place à l'imagination, police agréable, texte aéré laissant place à la respiration, correction orthotypographique. La classe !
J'ai adoré cette lecture (pour dire, je l'ai lu en vacances, sous la tente, avec ma loupiote à recharger manuellement). Un vrai roman, avec du souffle, de l'imagination, de la réflexion, de l'émotion et du style. La délicatesse de l'écriture et la mise en abyme permanente de l'oeuvre donnent de l'ampleur au récit et j'espère pouvoir vous tenter juste en vous laissant goûter quelques extraits de ce texte (non non je ne suis pas une paresseuse du résumé, quoique...).

Ici, à Ker Lann, le vent parle on dirait. Il me rappelle d'une voix connue la longue histoire de mes errements. J'ai tout perdu avec Fedora. Ma solitude est telle que je dois prendre garde à bien clore portes et fenêtres. Le soir, une peur d'enfant me vient avec la pression des rêves. C'est une sorte d'infirmité que l'impossibilité de distinguer les vivants des morts dès que les paupières se ferment. A mon âge, l'accumulation des cendres ne laisse plus guère luire les braises que dans le profond sommeil. Mais je pressens un incendie à chaque réveil brusque. L'insomnie n'éclaire pas la nuit de flammes : dix fois, je me relève d'un suaire pour observer le croisement des phares sur la pointe d'Ar-Grill et le gouffre du large, si proche de l'oubli, au-delà des récifs et des îles de la Fée.

Petit, j'étais le seul chat de ma grand-mère ayant le droit de manger à table. Fabuleux privilège quand on connaissait son attachement à chacun d'eux. Je n'ai jamais su combien nous étions, entre cinq et huit peut-être, car elle refusait de nous compter. Sa méthode de gestion tenait toute dans l'évocation successive jusqu'à épuisement de son champ affectif il y avait Taupette, le gros angora, Frisson le siamois esthète, Sarah couleur isabelle, le vieil égyptien, vulgaire chat de gouttière aux oreilles de fennec, ensuite je ne sais plus. La vieille femme donnait à tous sa faveur. C'était sa façon d'être : elle préférait chacun à tour de rôle. Pour les choses comme pour les créatures. La pluie venait la délivrer du soleil et la nuit du jour. Le meilleur pour elle était toujours maintenant, même si demain ne valait pas hier.

Le romancier qui se cache est-il bien réel? Il a beau se régaler de mots rares, quand la romancerie tourne en romancines, le doute menace. Libre à lui de se réinventer derrière un pseudonyme ou d'accumuler rocamboles, farragos et patarafes pour tromper son monde. Du galimart que tout cela ! Le seul charme du roman, au fond, c'est d'y croire (à rebours de la réalité, qui n'est qu'un parti pris de somnambules).



Grimmy