Les feuilles pas mortes

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samedi 13 février 2010

Rébétiko - David Prudhomme

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Cette BD parle de musique. Le rébétiko (1) est cette forme populaire d'expression musicale émergeant des quartiers populaires des grandes villes de Grèce au début du siècle. Elle est née du déracinement des Grecs d'Asie mineure contraints d'émigrer vers la Grèce continentale au moment de l'échange de population de 1922.

Cette BD parle de mauvais garçons. A l'image du fado ou du tango, les thèmes du rebetiko sont ceux d'un blues ordinaire: l'amour, la mort, le déracinement, l'alcool et surtout la drogue. L'ivresse procurée par le chanvre, d'où le sous-titre, La mauvaise herbe: les volutes du bouzouki et du baglama concurrencent celles du haschisch.

Cette BD parle de la Grèce. La Grèce des tavernes ombragées, des rues plombées de soleil, des nuits bleutées. La Grèce des bars glauques du Pirée, sombres et enfumés, peuplés de personnages interlopes. La Grèce à mi-chemin entre Orient et Occident, questionnée dans toute la dimension de sa grécité: narguilés et caryatides... La Grèce, enfin, de 1936, au début de la dictature de Métaxas, basculant à son tour dans un système dictatorial et fascisant.

– Posséder un bouzouki ou un baglama est illégal. Les flics les cassent. C'est que nous voguons vers l'Occident ! Ca a l'air stupide, comme ça, dans ce pays où est née la démocratie, mais...
– Dionysos est bien mort.
– Et le peuple l'accepte.

Cette BD parle d'amour et de solitude, de mort et de liberté.

Cette BD nous transmet le souffle libertaire qui habitait ces musiciens.

Cette BD est magnifique.

Attila

(1) Je ne peux que vous encourager à aller faire un tour sur le blog élaboré en parallèle par l'auteur, où vous trouverez, selon ses mots, « images, à côtés, essais, repentirs et musiques d'une bande dessinée sur le rébétiko ».

samedi 30 janvier 2010

Une tragédie américaine - Kim Deitch

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J'ai rencontré Une tragédie américaine de Kim Deitch à la bibliothèque. Je cherchais un petit one shot ou une intégrale et ai été attirée par le titre, puis convaincue par la 4e de couverture. Une BD chaudement recommandée par Art Spiegelman, j'étais pour le moins sûre que le scenario serait à la hauteur.

Et en effet, j'ai été embarquée dans le monde des comics américains (que je connais très mal) à travers l'histoire du pauvre créateur de Waldo (sorte de Félix le Chat très inquiétant). Pour tout dire, j'ai trouvé que c'est une BD un peu difficile d'accès, mais qui vaut vraiment la peine. Les références sont nombreuses et l'auteur nous offre des passages où se confondent folie et réalité, où les rêves basculent très vite dans le cauchemar.

Un créateur dont on trahit l'âme en rendant tout public et en aseptisant son génie, un personnage qui se rebelle en torturant son créateur et en s'imposant au narrateur, tel un génie malfaisant ressortant d'une pipe-lampe magique, des querelles internes et une contre-histoire de l'évolution des cartoons américains, voici ce que l'on trouve dans Une tragédie américaine.

Les dessins sont d'une richesse foisonnante (à en donner le tournis) et retranscrivent bien la folie des personnages. J'ai ressenti un assez grand malaise en lisant cette BD, peut-être parce qu'elle met en lumière à quel point le rêve aseptisé que l'on veut vendre aux enfants peut très vite se transformer en un monde cauchemardesque pour les artistes, peut-être aussi parce qu'elle s'affranchit allègrement des conventions du « joli ».

Pour le reste, je ne vais pas rentrer dans les détails des références et des mises en abymes que contient ce livre : les connaisseurs les trouveront d'eux-mêmes et les autres pourront consulter après leur lecture (comme je l'ai fait) de très bonnes analyses sur la Toile. Je préfère me contenter de vous conseiller à mon tour ce livre, qui permet d'approcher un monde de la BD un peu underground, hors des sentiers battus.

En voici deux extraits, un venant de l'introduction :

C'était le cartoon musical le plus fou, le plus coloré, le plus cosmique que j'aie jamais vu! Le maître de cérémonie était un chat insolent nommé Waldo. La seule information que j'ai réussi à soutirer à Nathan, c'était que l'étrange pipe avait appartenu à son oncle Ted.

Et un autre, venant du corps de la bd :

- Al, il faut que je te parle!
- Ha, Ted (heu) c'est pas vraiment le bon...
- Ecoute, on a parlé, Waldo et moi, et y pense que... je veux dire, je...
- Waldo ! Me dis pas que tu recommences à voir ce putain de chat! Bon, Ted, continue comme ça... et tu vas droit à l'asile!

Grimmy

mardi 19 janvier 2010

De Cape et de crocs - Ayroles - Masbou

Ah, De Cape et de crocs, la plus littéraire des bandes dessinées ! Je ne fais certes pas preuve d'une originalité décoiffante en proposant une chronique de cette fresque qui suscite depuis ses débuts en 1995 un engouement massif (1). Cependant, la sortie du tome 9 il y a de cela deux mois a été l'occaz' pour moi de tout relire et, une fois de plus, j'en suis sorti plus enthousiaste que jamais.

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De la Venise du XVIIe siècle à la Lune de la même époque, en passant par Malte et les mystérieuses îles Tangerines. Autrement dit: de la commedia dell'arte à Cyrano de Bergerac, en passant par Molière, La Fontaine ou Robert Louis Stevenson. Tous ces écrivains, et bien d'autres encore, président en effet aux destinées des personnages de MM. Ayroles et Masbou, au premier rang desquels Armand Raynal de Maupertuis, gentilhomme gascon, et Don Lope de Villalobos Y Sangrin, hidalgo andalou, respectivement renard et loup de leur état (2). C'est accompagnés de leurs dames, la fière gitane Hermine et l'éthérée Séléné, ainsi que de fidèles amis, tels le janissaire turc Kader et le vaillant lapin Eusèbe, que nos deux bretteurs se lancent à la poursuite d'un trésor, puis, de là, dans une aventure bien plus extraordinaire encore...

Ils vous montrent des dents
A croquer la Fortune
A décroisser la lune
A bouffer des haubans

La qualité des dialogues, parsemés de strophes entières d'alexandrins (et même de vers blancs: un nouveau défi à chaque lecture pour les retrouver !) le dispute à celle des illustrations et des couleurs, toutes splendides et accrocheuses: chaque moment de l'œuvre baigne dans une ambiance différente, qu'elle soit vénitienne, maritime, ou même extra-terrestre (3). Les références et les clins d'oeil - littéraires et/ou graphiques - sont légion et démultiplient les niveaux de lecture. La métaphore théâtrale reste le fil rouge de la série, et propose une mise en abyme dramatique sans cesse renouvelée. Quant à l'humour, il est omniprésent et d'une finesse redoutable.

Les membres de l'équipage du Captain Booney Boone, « pirate sanguinaire, mais joyeux »:

- Un lapin ?!
- Oui ! Un LLapin ! Le plus terrible porte-malheur qu'un navire puisse embarquer ! Je l'ai vu dans la cambuse, avidement penché sur une botte de carottes !
- Livide tel un spectre, il rôde dans nos coursives ! N'entendez vous pas son couinement démoniaque ?
- Ô funeste augure qui fait de ce vaisseau une épave en sursis ! / - Funeste augure !
- Un fétu dérisoire jeté sur l'insondable abîme ! / - Abîme !
- Peuplé d'agonisants que l'océan réclame ! / - Il nous réclame !
- Maître charpentier, fais-moi un cercueil !
- Il m'a dérobé une lime ! Surement pour affûter ses cruelles incisives !

Protéiforme, foisonnante, éclatante, fastueuse, cette œuvre est en un mot telle que la période sous les auspices de laquelle elle a vu le jour: baroque.

Attila

(1) Cf. par exemple le site et le wiki qui lui sont consacrés.
(2) On aura reconnu un premier clin d'oeil de l'onomastique en direction du Romant de Renart, où le nom de l'antre du goupil est Maupertuis et celui son acolyte canidé Ysangrin.
(3) Pour exemple sont présentées ici les couvertures des tomes 1 et 9, premier et dernier - pour l'heure ! - de la série.

lundi 18 janvier 2010

Le Combat ordinaire 2 - Les Quantités négligeables - Manu Larcenet

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Je poursuis donc dans ma lancée du Combat ordinaire avec le deuxième opus (il va falloir que je retourne chez mon libraire pour avoir le troisième). Rien qu'en regardant la couverture et en l'associant au titre, on ressent la tendresse de Larcenet pour ses personnages.

Sur la quatrième de couverture, il est indiqué que "C'est l'histoire d'un photographe convalescent, d'un génie médiocre, d'un cargo qui sombre et du cheval de Zorro". Nous y retrouvons donc notre touchant photographe, Marco, qui continue son combat ordinaire en choisissant de donner la parole aux vivants proches plutôt qu'aux morts exotiques dans son travail photographique.

Je ne souhaite pas mettre trop de mots sur cette bande dessinée, pour ne pas en entamer la force ni déflorer son contenu. Encore une fois, il s'agit d'un album sensible et délicat, en demi-teintes, proposant une tranche de vie de Marco. Les quantités négligeables ont trouvé un porte-image à travers le double prisme Marco-Manu et ne serait-ce que pour cela, c'est une bd qui mérite d'être lue. A sa lecture, on ressent de la tristesse ("quel triste monde") mais aussi de la colère vis-à-vis de tout un milieu politique, médiatique et artistique qui, justement, estime que l'on peut considérer d'autres personnes comme quantités négligeables sans rien connaître de leur vie, sans appréhender leur richesse humaine, sans leur accorder l'intérêt qui leur est dû. Le combat ordinaire se mue donc en un combat contre la stupidité et l'arrogance, contre la facilité et l'hypocrisie. Pas de réponse, mais un combat personnel à mener pour ne pas perdre son identité.

Une belle bd qui rappelle que ce qui peut sembler quantité négligeable pour certains est un trésor à respecter et qui mêle intelligemment la tendresse, l'humour et la tristesse.

Un petit extrait, juste avant de vous quitter :

- Alors?

- Effectivement, c'est "joli"... c'est tellement "joli" qu'on pourrait les mettre sur les calendriers de la Poste... entre les petits chats et les chevaux ! C'est nul, ouais...

Grimmy

mercredi 13 janvier 2010

La Guerre des Sambre - Hugo et Iris 3 - Yslaire / Bastide & Mezil

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Sambre est une des premières bds que j'ai commencé à suivre sérieusement, pour laquelle je guettais les sorties, ce qui était prévu, etc. tout en me disant qu'Yslaire prenait beaucoup de temps entre deux albums, trop de temps pour moi, petite impatiente, qui voulait savoir la suite ! Il faut dire qu'entre 1996 et 2003, je commençais à craindre de ne jamais voir aboutir cette série. Je voulais savoir la suite des aventures de Bernard et Julie, ainsi que le destin des générations suivantes. Pour ceux qui ne connaissent pas Sambre, le point de départ, c'est une histoire-fresque d'amour maudite qui pèse sur une famille bourgeoise au moment de la Révolution de 1848. Mais ce n'est qu'un point de départ, car même si la construction de l'oeuvre d'Yslaire est circulaire (on en revient toujours à la malédiction), elle traverse les époques et les conditions sociales. Sambre est une histoire d'amour rouge sang, rouge sombre. La couleur et sa symbolique sont partie inhérente de l'histoire et du graphisme. Les dessins sont soignés et les couleurs magnifiques. Je n'en dirai pas plus, vous avez bien compris que j'étais une inconditionnelle.

Je ne sais pas si c'est Yslaire de lui-même qui a souhaité inaugurer un nouveau grand cycle ou si ce sont les éditeurs qui se sont dit que "quand même, faire attendre aussi longtemps des fans, ça marche bien Sambre, il faudrait peut-être se dépêcher pour redonner de l'énergie à une fresque qui compte de nombreux lecteurs fidèles". Toujours est-il que le cycle de La Guerre des Sambre a été initié en 2007 avec un concept un peu différent : Yslaire reste l'auteur mais a confié le livre I (sorte de sous-cycle de trois albums) de cet opus à deux jeunes talentueux dessinateurs, Jean Bastide et Vincent Mezil, qui ont investi le style Yslaire. Et pour le coup, l'attente est moins longue car il y a eu un album par an depuis le départ de La Guerre des Sambre. Le principe est non pas de poursuivre le cycle de Sambre (tant pis pour les curieux qui voulaient savoir la suite), mais de remonter la destinée des générations précédentes. Et hop ! de Julie, on remonte à Iris, et de Bernard à Hugo.

J'en viens à ce dernier moment du livre I, qui clôt les aventures d'Hugo et Iris. Les dessins sont très très beaux (chacun peut se regarder comme une carte à part) et l'histoire suit son cours, mais... j'ai été un petit peu déçue (enfin c'est un grand mot) à la fin. A trop vouloir expliquer et systématiser la malédiction, j'ai eu l'impression que le récit perdait de sa force, de son mystère. Les explications données en fin de volume sonnent un peu comme un "bon, vous pouviez le deviner mais là on vous explique clairement où on va". Des rappels au cours des albums, ces pages d'explication et pour finir, le plan avec les titres de tous les albums qui sont prévus,... Au secours, on assassine le mystère ! Ce n'est pas parce que les lecteurs disent qu'il veulent savoir le pourquoi et le comment, qu'il faut le leur donner.
Mais pour ne pas terminer sur cette petite réserve, voici un court extrait, pour vous faire goûter (de loin) à la malédiction des yeux :

« Si je puis me permettre un conseil, monsieur le patron, oubliez-la. C'est une femme de mauvaise vie, et si contagieuse qu'elle ne vous laisse que les cendres et vos yeux pour la pleurer... » Signé, votre dévoué secrétaire, H.S.

Grimmy

mardi 12 janvier 2010

Le Combat ordinaire - Manu Larcenet

Je continue dans ma lancée BD avec cet album qui m'a beaucoup touchée :

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Comme le dit la 4 de couv', "c'est l'histoire d'un photographe fatigué, d'une fille patiente, d'horreurs banales et d'un chat pénible". Je ne me lancerai pas dans un autre résumé car je le trouve très juste.
Pour la petite histoire, c'est un album qui m'a été conseillé il y a bien 5 ans par un ami fan de photo et de bd (et de zic aussi, mais là ça n'a pas d'importance). Il conseille peu mais toujours très bien donc je gardais ce conseil dans un coin de ma tête en me disant à chaque fois "tiens, il faudrait que je pense à lire Le Combat ordinaire". Peut-être que j'attendais de pouvoir l'affronter, je ne sais pas. Toujours est-il que grâce à mes étrennes, je me suis acheté le premier tome (et le deuxième aussi, mais chut, faut pas le dire, il attend patiemment son tour).
Cet album de Larcenet (Manu, avec mise en couleur de Patrice Larcenet) est magnifique. Il avait été primé en 2004 au festival d'Angoulême et je ne fais donc pas preuve d'une grande originalité en le louant. Je l'ai trouvé très juste et il m'a profondément bouleversée (peut-être parce que je me reconnais un peu dans le personnage de Marco et dans ses angoisses).
Sont abordés les thèmes du monde du travail, de la vie à deux, de la famille (et de la difficulté de voir ses parents vieillir), de la politique, de la psychologie et de l'horreur ordinaire. En somme, une très touchante tranche de vie qui apporte sa bribe de réflexion sur le monde qui nous entoure, sans donner de leçon.
Je le recommande donc chaudement (mais à ne peut-être pas aborder si l'on est déjà en mode "combat") et vous promets un prochain compte-rendu du deuxième opus de la série.

Je vous quitte en vous en laissant un court extrait, histoire de vous en donner le ton :

- Je ne travaille plus pour le moment...

- ?! Mais comment tu vas faire pour vivre ??! On ne peut pas vivre sans travailler, voyons ! Le fils de Madame Hubert est au chômage lui aussi, et il s'est mis à boire ! C'est pas bon pour toi de passer tes journées à ne rien faire! Mon Dieu ! Je suis si inquiète pour toi !!

Grimmy

dimanche 10 janvier 2010

Donjon - Zénith - Un Mariage à part - Boulet - Sfar - Trondheim

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Je suis donc dans une période bd en ce début d'année. Bon, comme je ne vais pas vous faire un post par bd relue (parce que ça en fait pas mal malgré tout), je ne m'attacherai qu'aux acquisitions / emprunts récents. Et je commence par cet album de Donjon, l'immense série (qui peut-être ne sera jamais finie) dans laquelle j'ai allégrement plongé.

En gros, Donjon se compose de 5 cycles (dont aucun n'est achevé, loin de là) : Donjon Potron-Minet (pour la création), Donjon Zénith (l'apogée du donjon), Donjon Parade (où Herbert et Marvin se baladent), donjon Crépuscule (où rien ne va plus) et Donjon Monsters (que je n'ai pas commencé et qui se concentre sur d'autres monstres). Les mauvaises langues pourront dire que c'est un bon filon pour l'éditeur car finalement une fois le lecteur piégé, cela fait pas mal de bds à acheter, mais le principe des dessinateurs tournants et de l'humour omniprésent m'ont conquise.

Un Mariage à part est donc le fruit du travail d'un quator : Joann Sfar (dont je recommande Le Chat du rabbin, surtout les premiers tomes) et Lewis Trondheim pour le scénar, Boulet pour les dessins, Boulet et Lucie Albon pour les couleurs.

Point de départ : les préparatifs du mariage d'Isis et du Gardien du donjon. Sauf que Herbert est contre ce mariage, sauf que ni le Gardien ni Isis ne sont vraiment pour. Si l'on y ajoute un fâcheux procédurier bien pénible, on obtient de quoi donner matière à un album riche en aventures et rebondissements.

Que dire à part que le scénario est bien marrant et bien construit, le dessin net et chouette et les couleurs bien réussies? J'ai lu ce tome avec plaisir et le relirai certainement en y trouvant de nouveaux jeux de mots / gags.

Je ne résiste pas au plaisir de vous en donner un petit échantillon pour clore ce post (et tant pis si je suis la seule à en rire) :

- C'est ici ?...

- Non. J'ai juste un caillou dans ma botte...

Grimmy

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