Les feuilles pas mortes

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mercredi 8 juin 2011

Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France - Blaise Cendrars

Rares sont les textes qui vous laissent à ce point pantois. Pif, pouf, par surprise, un crochet du droit, puis un bon direct au foie... ou quelque chose comme ça. Amoché, K.-O. debout, je suis resté. Et toujours pas remis.

J'ai déchiffré tous les textes confus des roues et j'ai rassemblé
les éléments épars d'une violente beauté
Que je possède
Et qui me force


J'ai lu la Prose après cet article dithyrambique: comme je tiens son auteur en haute estime (je l'ai écrit ici-même), eh bien tout bonnement je me suis précipité sur le texte en question. Pas contrariant, le gars. Car bien sûr, Cendrars, on connaît. Déjà entendu parler, et pis on se dit: "Ah, oui, tiens, c'est vrai, 'y faudra bien que j'lise un jour."

Amadeo_Modigliani_035.jpg (1)

Et nous vient à l'esprit ce texte en particulier, surtout quand on a usé quelques jeans dans les amphis d'une fac de Lettres. Une date, nous a-t-on dit, importante dans l'histoire littéraire, notamment pour la collaboration fructueuse sous laquelle l'édition a vu le jour: Cendrars et Delaunay, le poëte Blaise et la peintre Sonia, pour un livre "simultané", dont les premiers exemplaires consistaient en une seule feuille de deux mètres de long, repliée en deux puis dix fois sur elle-même. Un chef d’œuvre éditorial qui, en tant que tel, n'a jamais revu le jour. Introuvable, donc (2) - du moins pour le commun des mortels, puisque j'ai cru comprendre que certains de la soixantaine d'exemplaires initiaux peuvent encore s'échanger à bon prix dans les salles de vente...

Je n'évoquerai pas les sens possibles et multiples de ce long poème en prose: de bons samaritains ayant travaillé pour une grande encyclopédie collaborative en ligne l'ont très bien fait. Et puis, après tout, c'est juste l'histoire d'un type qui fait un voyage en train. Enfin, quand je dis un voyage, vous m'avez, je pense, compris.

"Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?"


Je ne parlerai pas beaucoup plus de la galerie d'images fulgurantes qu'on y trouve.

Nous sommes les culs-de-jatte de l'espace
Nous roulons sur nos quatre plaies
On nous a rogné les ailes
Les ailes de nos sept péchés
Et tous les trains sont les bilboquets du diable


Ni guère non plus de cette longue prose où les vers blancs se mêlent aux accidents du rythme, le lyrisme à des brisures insensées, les paroles du poëte à de fantastiques harmonies imitatives.

Oui, nous le sommes, nous le sommes
Tous les boucs émissaires ont crevé dans ce désert
Entends les mauvaises cloches de ce troupeau galeux
Tomsk Tchéliabinsk Kainsk Obi Taichet Verkné-Oudinsk
Kourgane Samara Pensa-Touloune


Juste: lisez, lisez Cendras ; n'attendez pas aussi longtemps que moi...

Je suis couché dans un plaid
Bariolé
Comme ma vie
Et ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle
Écossais


Attila

(1) Portrait de Cendrars par Modigliani (1917), trouvé sur Wikipédia, of course...
(2) Cette chose admirable est visible en ligne ici-même. Pour ma part, je me suis rabattu sur l'édition Denoël qui, en 12 volumes, propose les œuvres complètes de l'auteur. La Prose (écrite en 1913) fait partie du premier, avec présentation et annotations de Claude Leroy, grand spécialiste de l'écrivain.

samedi 30 janvier 2010

Une tragédie américaine - Kim Deitch

unetragedie.gif

J'ai rencontré Une tragédie américaine de Kim Deitch à la bibliothèque. Je cherchais un petit one shot ou une intégrale et ai été attirée par le titre, puis convaincue par la 4e de couverture. Une BD chaudement recommandée par Art Spiegelman, j'étais pour le moins sûre que le scenario serait à la hauteur.

Et en effet, j'ai été embarquée dans le monde des comics américains (que je connais très mal) à travers l'histoire du pauvre créateur de Waldo (sorte de Félix le Chat très inquiétant). Pour tout dire, j'ai trouvé que c'est une BD un peu difficile d'accès, mais qui vaut vraiment la peine. Les références sont nombreuses et l'auteur nous offre des passages où se confondent folie et réalité, où les rêves basculent très vite dans le cauchemar.

Un créateur dont on trahit l'âme en rendant tout public et en aseptisant son génie, un personnage qui se rebelle en torturant son créateur et en s'imposant au narrateur, tel un génie malfaisant ressortant d'une pipe-lampe magique, des querelles internes et une contre-histoire de l'évolution des cartoons américains, voici ce que l'on trouve dans Une tragédie américaine.

Les dessins sont d'une richesse foisonnante (à en donner le tournis) et retranscrivent bien la folie des personnages. J'ai ressenti un assez grand malaise en lisant cette BD, peut-être parce qu'elle met en lumière à quel point le rêve aseptisé que l'on veut vendre aux enfants peut très vite se transformer en un monde cauchemardesque pour les artistes, peut-être aussi parce qu'elle s'affranchit allègrement des conventions du « joli ».

Pour le reste, je ne vais pas rentrer dans les détails des références et des mises en abymes que contient ce livre : les connaisseurs les trouveront d'eux-mêmes et les autres pourront consulter après leur lecture (comme je l'ai fait) de très bonnes analyses sur la Toile. Je préfère me contenter de vous conseiller à mon tour ce livre, qui permet d'approcher un monde de la BD un peu underground, hors des sentiers battus.

En voici deux extraits, un venant de l'introduction :

C'était le cartoon musical le plus fou, le plus coloré, le plus cosmique que j'aie jamais vu! Le maître de cérémonie était un chat insolent nommé Waldo. La seule information que j'ai réussi à soutirer à Nathan, c'était que l'étrange pipe avait appartenu à son oncle Ted.

Et un autre, venant du corps de la bd :

- Al, il faut que je te parle!
- Ha, Ted (heu) c'est pas vraiment le bon...
- Ecoute, on a parlé, Waldo et moi, et y pense que... je veux dire, je...
- Waldo ! Me dis pas que tu recommences à voir ce putain de chat! Bon, Ted, continue comme ça... et tu vas droit à l'asile!

Grimmy