Les feuilles pas mortes

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

jeudi 5 octobre 2023

René Guy Cadou par Michel Manoll

reneguycadou.jpg C'est une belle découverte que ce livre René-Guy Cadou par Michel Manoll. Je l'ai catégorisé dans les biographies, mais il s'agit vraiment d'une biographie de poète, écrite avec une grande sensibilité. Edité depuis quelques décennies (depuis 1954) par les éditions Seghers dans leur collection Poète d'aujourd'hui, ce petit livre nous invite à découvrir René Guy Cadou, poète ayant vécu entre 1920 et 1951. Les textes, écrits par un ami libraire du poète, sont beaux, sensibles et éclairants. Ils sont accompagnés de photographies et d'extraits de correspondances, traces de cette vie fulgurante.
Pour une fois, je vais reprendre la 4e de couverture :

René Guy Cadou (1920-1951) demeure parmi nous comme Orphée dans le chant des sources et des sèves. Enraciné mais aérien, triste mais émerveillé, fraternel mais libre, ce voyant, ce vivant, cet homme des pays d'Ouest nous devance sur les routes de partout, sur les routes de toujours.


Une belle découverte, vraiment, qui donne envie de se plonger dans l’œuvre poétique de René Guy Cadou et dans celle de sa femme Hélène Cadou.

L'opinion des docteurs à l'égard de ma poésie ne m'importe guère. Pour moi qui dit poésie dit incantation - une incantation que je retrouve d'ailleurs dans Villon ou dans Apollinaire, dans Morven le Gaëlique ou Milosz. Qui dit incantation ne dit pas romance, ni Toulet, ni Prévert. Les surréalistes ont remplacé la voix par le télégraphie morse, en 1948 certains jeunes gens y croient encore. Et je n'ai rien à faire avec ces tortureurs du verbe qui confondent amour avec abjection.


Les chiens qui rêvent

Les chiens qui rêvent dans la nuit
Il y a toujours un poète qui leur répond par une petite lueur
Tirée comme un bas jaune sur une maigre lampe.
Et l'on ne sait rien du poète
Et l'on se cache de ces chiens
Qui tirent sur leur chaîne comme s'ils remontaient
Du fond de la journée un seau lourd de ténèbres
Mais l’homme qui se tient penché sur sa jeunesse
Et la main répandue comme un trieur de grains
Reconnaît dans la voix confuse de ces bêtes
La diane doucement poignante du destin.

Hélène ou le Règne Végétal, 1947


Avec en prime un bel extrait d'une lettre de Reverdy à René Guy Cadou :

Mon cher Cadou,

Que ce soit le silence ou que ce soit la nuit

Que ce soit la lumière ou que ce soit le bruit

quand la substance de l'amour est assez dense

quand l'amitié plante ses griffes dans l'absence

Rien ne change

Rien ne fléchit



Editions Seghers.

Et pour aller plus loin, les sites : http://rene-guy-cadou.fr/
et https://www.cadou-poesie.net/

mercredi 6 septembre 2023

Tout le monde sait que ta mère est une sorcière - Rivka Galchen

Tout-le-monde-sait-que-ta-mere-est-une-sorciere.jpg
Publié aux éditions Dalva, Tout le monde sait que ta mère est une sorcière de Rivka Galchen relate une enquête menée au XVIIe siècle autour de Katharina Kepler, veuve accusée de sorcellerie. Son fils Johannes est un célèbre mathématicien de la cour impériale mais malgré cette position très honorable, la pauvre Katharina Kepler est victime d'accusations, de jalousies, de rumeurs obscurantistes.

L'autrice canado-américaine s'est inspirée d'un procès réel et j'ai trouvé ce livre particulièrement réussi car il montre bien la mécanique à l’œuvre lors des accusations de sorcellerie : rumeurs, choix d'un bouc émissaire, impossibilité de se défendre, complicité silencieuse des habitants,... Le lecteur construit ainsi son opinion et ressenti en lisant le point de vue de l'accusée, celui d'un de ses voisins et des extraits de déclarations officielles lors de l'enquête. Avec une écriture somme toute assez clinique (parfaite pour bien voir les rouages), Rivka Galchen offre ainsi une belle réflexion sur la rumeur, sa force et son injustice.

Je pense que je lirai d'autres livres de Rivka Galchen car ce fut une très belle découverte pour moi.

Je commence ici mon récit, avec l'aide de mon voisin Simon Satler, car je ne sais ni lire ni écrire. Je maintiens que je ne suis pas une sorcière, que je n'ai jamais été une sorcière et que je ne suis apparentée à aucune sorcière. Dès mon plus jeune âge, cependant, j'ai eu des ennemis.


J'ignore si elle a empoisonné Ursula Reinbold ou non. C'est une rumeur. Fondée ou non. Je sais qu'Ursula affirme que Katharina lui a fait boire du vin empoisonné. Et je sais que Katharina nie, dit que le vin avait peut-être tourné, mais qu'il n'était pas empoisonné.


Tout le monde sait que la mère d'Hans est une sorcière et tout le monde le sait depuis longtemps. Si seulement nous avions pris la situation plus au sérieux. Nous pensions qu'il s'agissait d'un jeu, de paroles en l'air. Je pensais que c'étaient des bêtises d'écolier. Je pensais que les gens racontaient des histoires, alors qu'ils disaient la vérité.



édité chez Dalva, 23 €

mardi 5 septembre 2023

Blackwater I, II, III, IV, V et VI, Michael McDowell

Blackwater-la-saga-qui-va-vous-rendre-accro.jpg
C'est un peu après la marée que j'ai lu cette saga de Michael McDowell, un des best seller de l'été 2022. Et ce fut une lecture vraiment plaisante : une saga fantastique comme je les aime avec "juste" quelques éléments un peu étranges. J'ai été séduite par l'ensemble de la saga et je suis contente de l'avoir lue cet été. Si vous n'avez pas encore plongé dans Blackwater, n'hésitez plus !

En plus, c'est bien traduit et bien édité, avec des livres aux couvertures magnifiques (oui, j'aime le doré!). Vraiment, ça vaut le coup de les acheter !

- La première fois que j'ai regardé par la fenêtre, vous n'étiez pas là. La chambre était vide.

- J'étais là. Seulement vous ne m'avez pas vue. Peut-être à cause du reflet. J'étais assise juste là. Je ne vous ai pas entendus arriver.

Il y eu un silence. Bray scrutait Elinor d'un air de profonde méfiance. Menton baissé, Oscar se demandait quoi faire.


"Écoute-moi bien Zaddie. Cette digue - si jamais un jour elle est construite - n'apportera rien de bon à la ville.

- Qu'est-ce que vous voulez dire ?

- Moi vivante, et tant que j'habiterai dans cette maison, il n'y aura pas de crue à Perdido, avec ou sans digue. Les rivières ne monteront pas.

- Mam'selle Elinor, vous pouvez pas..."

Elinor ignora cette protestation.

"Par contre Zaddie, quand je serai morte, reprit-elle, avec ou sans digue, cette ville et tous ses habitants disparaîtront de la surface de la terre..."


La nuit, Queenie avait peur. Elle n'avait encore jamais dormi dans une maison, et celle de James lui semblait particulièrement isolée. Les pièces étaient sombres, remplies de bruits et de formes étranges. Un petit animal s'était glissé dans le grenier, où il passait la nuit à fureter. Le parquet craquait sous le poids des piles de cartons; il n'était pas rare que la délicate vaisselle en porcelaine de James s'entrechoque dans les placards, comme déplacée par une main invisible.


Editions Monsieur Toussaint Louverture, le tome est à 8,40€.

vendredi 1 septembre 2023

Les étoiles s'éteignent à l'aube - Richard Wagamese

etoiles
Les étoiles s'éteignent à l'aube est un roman de Richard Wagamese. Cet auteur ojibwé fut le premier lauréat indigène d'un prix de journalisme national canadien. Il nous a malheureusement quitté en 2017, à l'âge de 61 ans.

Pour le coup, il s'agit d'un énorme coup de cœur littéraire. J'ai tout aimé dans ce roman : l'intrigue, la quête initiatique, la finesse, la poésie. Je l'ai emprunté en bibliothèque mais je l'ai tellement apprécié que je crois que je vais l'acheter pour notre maison (et ça, croyez-moi, c'est qu'il m'a vraiment beaucoup plu car j'essaye plutôt de limiter mes achats car zut, les livres, ça en prend de la place à force!).

La quête : un adolescent de 16 ans est appelé par son père qui souhaite aller mourir au cœur de la montagne canadienne, là où l'on enterre les guerriers.
Les protagonistes : un jeune homme élevé par un tuteur assez âgé, un homme ravagé par l'alcool et par la vie, la nature canadienne, la culture indienne.

La langue : une langue assez condensée, dure, très juste, avec de très belles évocations poétiques.

Si vous ne l'avez pas lu, je vous invite à vous y plonger. Ce roman est magnifique car au fur et à mesure que le jeune Franklin Starlight chemine et prend connaissance de l'histoire de son père et de ses origines, le lecteur découvre ou redécouvre l'histoire de l'identité indienne.Je vous souhaite une belle découverte !

- J'vais t'accompagner sur la piste un bout de temps. Tu vas le trouver malade. Tu le sais, non? Le vieil homme le fixa d'un regard sérieux et il remit le portefeuille dans la bavette de sa salopette. - J'l'ai déjà vu malade. - Pas comme ça. - J'pourrai faire face. - Faudra bien. Va pas croire que ça va être rose. - Ca l'a jamais été. Quand même, c'est mon père.


- Tes grands-parents étaient tous les deux des sang-mêlé. On était pas des Métis comme on appelle les Indiens français. On était tout simplement des sang-mêlé. Des Ojibwés. Mélangés à des Ecossais. Des McJib. C'est comme ça qu'on nous appelait. Personne ne voulait de nous. Ni les Blancs. Ni les Indiens. Alors tes grands-parents et eux comme les autres ne faisaient que suivre le travail et ils essayaient de s'en sortir le mieux possible. On campait dans des tentes ou on squattait les terrains broussailleux que personne voulait ou des cabanes abandonnées, des remises, des trucs comme ça. Jamais une vraie maison.


Il entendait l'ours rôder doucement le long de la rivière, faisant tomber des pierres et poussant des grognements de fond de gorge.
- Qu'est-ce que tu vas faire? maugréa son père. - On peut pas courir, dit le garçon. Il enleva le sac de son dos, le laissa tomber par terre derrière l'arbre. Y faut l'affronter. - T'es fou? - Y va bien falloir. - Y va te tuer. - Si j'ai la trouille, c'est possible. - T'as pas la trouille? - Si. Mais il a pas besoin d'le savoir.


Editions Zoé, 20 € Disponible en édition poche chez 10/18

mercredi 30 août 2023

Ca va aller, tu vas voir - Chrìstos Ikonòmou

ca_va_aller.jpg Chrìstos Ikonòmou est un auteur grec, né à Athènes en 1970.

Je ne l'avais jamais lu avant de lire ce recueil de nouvelles mettant en scène des habitants des quartiers populaires (pauvres donc) du Pirée.

Le livre a paru en français chez Quidam, en 2016, dans une traduction de Michel Volkovitch. D'ailleurs le titre en grec se rapproche davantage de "Il va se passer quelque chose, tu vas voir" (quelque chose de bien ou non). En français, le titre se montre un peu plus optimiste, alors que les nouvelles ne le sont pas. Oui, car il faut le dire, si vous avez envie d'une lecture pour vous remonter le moral, fuyez ! Non, c'est bien écrit, avec un style un peu abrupt, des redondances et répétitions (qui montrent bien aussi le cercle de la misère et l'enfermement des protagonistes dans leur condition), certes, mais j'ai trouvé ces nouvelles plombantes. Trop réalistes peut-être? Ou alors, c'est plombant car depuis son écriture les temps sont encore plus durs? Je ne sais pas.
Bref, je l'ai lu, j'ai trouvé intéressant mais l'ouvrage me laisse un goût amer, ce qui finalement est peut-être une bonne chose si le recueil a pour but de dénoncer la pauvreté et de créer une réaction pour faire un peu changer les choses.

On l'appelle Mao. Quand il est né, à ce qu'on dit, il était jaune comme un Chinois. Sa mère et ses sœurs aussi l'appellent comme ça. Mao. Son père, ça fait des années qu'il s'est fait tué sur un pétrolier à Pèrama. Communiste mais paisible et souriant. C'est lui qui l'a appelé Mao. Même aujourd'hui que c'est devenu presque un homme tout le quartier l'appelle Mao. Comment ça va Mao? Je vous emmerde, idiots. Sa grande soeur Katerìna s'est fait violer cet été dans la carrière à Katràkio. C'était des types de Korydallos, il paraît, de la place Mèmou. Depuis on ne l'a plus revue. Sa mère l'a envoyée dans de la famille sur une île - Chios ou Samos, on a dit. Personne ne sait au juste, c'est resté secret.


Aujourd'hui on a reçu un nouveau rappel de la banque. Ils disent que c'est le dernier et que la semaine prochaine ils prendront "les mesures prévues par la loi". Ils ont déjà téléphoné plusieurs fois mais Nìki n'a pas répondu. Elle a laissé le papier sur la petite table du salon.


Perdre son boulot c'est comme se casser la jambe. Au début tu ne sens rien, a dit Aris, la fracture est encore chaude et ne fait pas mal. La douleur et la peur viennent quand ça refroidit. Quand tu penses au loyer aux factures aux petites annonces dans les journaux. Les coups de fil chaque matin, les voix dures. Un autre a pris la place mon vieux. Rappelle demain.


Quidam éditeur, 20 €.

Pour aller plus loin :

mardi 29 août 2023

Les Géants - Ermanno Cavazzoni

((/public/couv-geants.jpg
D'où viennent les Géants? Qui sont-ils? Où vont-ils? Que mangent-ils? Sont-ils intelligents? Sont-ils intéressants à intégrer dans une troupe? Tout ce que vous vous demandez sur les Géants, vous pourrez le savoir grâce à ce livre. Son narrateur explore les sources littéraires dans lesquelles figurent les Géants et en tire des conclusions.
J'ai trouvé le texte divertissant, une sorte d'amusement très lettré, qui peut donner envie de relire d'anciens textes. C'est absurde mais sourcé (ou sourcé mais absurde avec de grandes digressions). Cela m'a aussi rappelé les recherches de certains universitaires, le ton est différent mais le travail de fond sur la littérature afin de caractériser des personnages est très sérieux (il y a même un index!).

C'est totalement oulipien et édité par les éditions Le Nouvel Attila, dans une traduction de Monique Baccelli.

L'espèce produit surtout des mâles et les géantes sont rares. Rares et repoussantes, d'ailleurs. Aussi restent-elles terrées chez elles loin de toute vie publique. Sauf en période de chaleur, elles refusent de se montrer, comme les cafards qui ne sortent que la nuit. La tiédeur des réactions mâles montre qu'eux-mêmes s'en rendent compte. Le dimorphisme sexuel n'est pas très prononcé, il est vrai.


La carrière de voleur n'a jamais enrichi personne. Sauf en politique. Mais en politique, les voleurs n'ont pas besoin de se balader avec des chameaux ni de kidnapper les soubrettes de la télévision pour les séduire. Dans le fond, les géants étaient naïfs, et ils n'auraient jamais dû entrer en politique avec leur mentalité, puisqu'ils finissent toujours en pièces détachées.


La base, chez les proto-géants archaïques comme dans toutes les mafias, c'est le lien de parenté. A moins d'être psychiquement fragiles, ou d'avoir des jumeaux à la personnalité fusionnelle, inséparables sans graves dommages pour leur ego, les géants ne vivent pas en fratrie. Les proto-géants archaïques vivent donc en mafia.


Le Nouvel Attila, 20 €.

lundi 21 août 2023

Mangeterre - Dolores Reyes

mangeterre.jpg Publié en 2020 par les Editions de l'Observatoire, Mangeterre (Cometierra) est un roman de Dolores Reyes, traduit de l'espagnol par Isabelle Gugnon.

Deux enfants - ados se retrouvent à vivre seuls après le décès de leur mère et le départ de leur tante. La fille, surnommée Mangeterre, possède un don qui lui permet de savoir ce qui est arrivé à un ou une disparu(e) en mangeant un peu de sa terre. Ce roman oscille entre l'hyper réalisme et le fantastique. On peut le lire comme un roman initiatique ou comme une dénonciation de la violence économique et sociale en Amérique du Sud. J'ai apprécié cette lecture car la figure de Mangeterre, personnage qui voit et qui permet de secourir des victimes (quand il est encore temps) est loin des personnages de séries télé (doués et beaux), il s'agit davantage d'une adolescente juste extra-ordinaire (et l'extra est dans ce don lié à la terre) qui vit dans un monde miséreux et violent. On suit son parcours, ses relations avec les autres (son frère, son père, les amis de son frère, ses amoureux, ses "clients") et on la voit bien évoluer, sans jamais rentrer dans un texte psychologisant.

- Les morts ne traînent pas chez les vivants, il faut que tu comprennes ça. - Je m'en fous. Maman est toujours ici, chez moi, dans la terre. - Arrête ton char, tout le monde t'attend. S'ils ne veulent pas m'écouter, j'avale de la terre.


D'autres personnes n'osaient même pas franchir la grille. Elles laissaient la terre de leurs morts dans une bouteille avec une carte de visite et, attaché autour du goulot en verre, un nom. Je récupérais les bouteilles pour les disposer entre les plantes du jardin. Les jours de pluie battante, l'eau s'insinuait à l'intérieur, mélangeant leur terre à la mienne. Chaque bouteille était un peu de terre en mesure de parler.


Après que j'avais mangé la terre du rêve où elle m'était apparue, Ana est devenue bizarre. Elle se méfiait de moi. J'essayais de lui parler comme d'habitude, mais ce n'était plus pareil. Le silence planait. Elle observait tout ce que je faisais et j'avais l'impression qu'elle me surveillait parce qu'elle avait peur que je me remette à manger de la terre.


Editions de l'Observatoire, 20 €.

mardi 4 juillet 2023

Leukerbad 1951 / 2014 - James Baldwin - Teju Cole

Leukerbad
Les éditions Zoé ont publié en mars dernier Leukerbad 1951 / 2014. Ce livre rassemble deux textes, l'un de James Baldwin, Un étranger au village, l'autre de Teju Cole, Corps noir. Deux textes écrits par deux hommes noirs ayant séjourné à Leukerbad (dans le Haut-Valais, en Suisse). Deux textes qui se font écho, et qui montrent la persistance du racisme, même si "les choses ont changé" entre 1951 et 2014.

James Baldwin est traduit en français par Marie Darieussecq. C'est le premier texte que je lis de sa plume (je vais donc avoir le bonheur de découvrir les autres), mais j'avais écouté une série très intéressante d'émissions sur France culture dans laquelle il évoque sa jeunesse et son parcours. On la trouve encore ici : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-je-m-appelle-james-baldwin.
Un grand auteur que je suis contente de découvrir et que j'espère vous prendrez plaisir à lire aussi.

Tout le monde au village connaît mon nom, bien qu'ils l'utilisent rarement, tout le monde sait que je viens d'Amérique - bien que ça, apparemment ils n'y croiront jamais tout à fait : les hommes noirs viennent d'Afrique - et tout le monde sait que je suis l'ami du fils d'une femme qui est née ici, et que je loge dans leur chalet. Mais je demeure le même total étranger que le jour de mon arrivée, et les enfants crient "Neger! Neger!" quand je marche dans les rues.


L'homme noir demande avec insistance, par tous les moyens qu'il trouve à sa disposition, que l'homme blanc cesse de le regarder comme une rareté exotique et le reconnaisse comme un être humain. C'est un moment très tendu et difficile, car l'homme blanc est très déterminé dans sa naïveté. La plupart des gens ne sont pas plus naturellement réfléchis qu'ils ne sont naturellement méchants, et l'homme blanc préfère garder l'homme noir à une certaine distance humaine parce qu'il lui est plus facile ainsi de préserver sa simplicité et d'éviter qu'on lui demande des comptes pour les crimes commis par ses pères, ou par ses voisins.


Dans Corps noir, traduit par Serge Chauvin, Teju Cole narre ses impressions à son arrivée à Leukerbad, le jour de l'anniversaire de Baldwin. C'est également un auteur dont je lirai d'autres ouvrages, tant j'ai apprécié sa plume.

"De mémoire d'homme et de toute évidence, aucun Noir n'avait jamais mis les pieds dans ce minuscule village suisse avant que j'y débarque", écrivait Baldwin. Mais le village a bien grandi en soixante ans, depuis l'époque où il y séjournait. Ses habitants d'aujourd'hui ont déjà vu des Noirs; je n'avais rien d'une attraction de foire. Il y eut bien quelques regards furtifs à l'hôtel quand je m'y installai, et au restaurant chic situé juste à côté; mais il y a toujours des regards. Il y a des regards à Zurich où j'ai passé l'été, et il y a des regards à New-York qui est mon lieu de vie depuis 14 ans.


Les policiers américains s'obstinaient à abattre des Noirs désarmés, ou à les tuer par d'autres moyens. Les manifestations qui s'ensuivaient au sein des communautés noires étaient réprimées avec violence par une police de plus en plus semblable à une armée d'occupation.


Une belle édition, qui malheureusement, fait particulièrement écho en ces temps d'émeute.

éditions Zoé, 15 €.

- page 1 de 15