manuscrit_hopkins.jpg N'avez-vous jamais envisagé qu'un de ces jours la lune pourrait bien nous tomber sur le coin du nez ? Quelles conséquences pour notre bonne vieille terre ? Et pour nous, malheureux croquants qui y traînons nos pieds inconscients ? Bouleversement géologique, écologique, climatique, humain !

C'est une telle situation qu'imagina Robert Cedric Sherriff dans ce roman publié en 1939. Le préfacier proclame – ainsi que le bandeau rouge qui reprend ses propos en échos : « Un classique majeur de la science-fiction britannique ». Je suis peu versé dans la littérature anglo-saxonne ; dans la S.F encore moins. Mais c'est le problème avec ce genre un peu fourre-tout... Précisons bien qu'ici on est plus proche de Cyrano de Bergerac (Savinien, of course) que d'un truc un peu caricatural comme Star Wars (je ne vais pas me faire des potes, je sais).

Voilà la situation. Un manuscrit est trouvé dans les ruines de Notting Hill. Il est exploité et présenté dans un de ses bulletins archéologiques par la Société Royale d'Abyssinie. Ce texte, écrit à la première personne, raconte l'avant et l'après catastrophe: il s'agit du journal de Mr Edgard Hopkins, Anglais du XXe siècle, éleveur de poulets de son état et en sus membre de l'éminente Société britannique de la lune. D'appartenir à ce prestigieux club de savants lui donne le douteux privilège d'être au courant, avant tout le monde, de l'imminence de la catastrophe: vue l'ampleur du désastre, les foules doivent être tenues dans l'ignorance... Ou comment un « péquenot », vieux garçon un peu borné, est amené à devenir, pour le futur, le seul témoin d'un changement radical de l'ordre du monde.

C'est ainsi que nous est parvenu le Manuscrit Hopkins, ce fragile, ce solitaire cri d'angoisse qui perce les ténèbres grandissantes de l'Angleterre moribonde – cri infiniment pitoyable, tant il montre l'étroitesse d'esprit, l'égocentrisme de son auteur. Comme la flamme d'une allumette dans la nuit du désert, il jette une lueur sur les reliques d'une nation qui fut puissante. Voilà pourtant tout ce qu'il en reste et peut-être tout ce que nous aurons jamais pour nous rappeler ce peuple, qui connut la gloire.
Nous savons que Jules César envahit la Grande-Bretagne ; le fait est gravé dans une pierre inaltérable, en Italie, mais ce qui advint ensuite demeure un mystère que nos savants ne résoudront sans doute jamais.

L'artifice littéraire du « manuscrit trouvé dans une bouteille » donne une profondeur au texte qui n'est pas sans faire penser, précisément, à ces « Classiques » du XVIIIe siècle. On y retrouve d'ailleurs ce même genre d'humour, né de la distance qui s'installe entre le « Je » narratif, abusé par ses erreurs, ses défauts, ses préjugés, et la présence de l'auteur invisible. La prose est enlevée, les descriptions nerveuses et précises. Le rythme est particulièrement bien retranscrit par la traduction fluide de Virginia Vernon et Daniel Apert. Avec en plus une division en courts chapitres, on a du mal à lâcher le bouquin une fois qu'on y a goûté.

Un mot sur l'édition elle-même, enfin: bravo, mille bravos à l'Arbre vengeur (1) pour ce travail. L'ouvrage est d'un très beau standing: couverture à rabats, papier épais et éclatant, mise en page subtile et esthétique, etc. J'en passe: je ne parlerai ni de la largeur des marges, de l'absence de coquilles, du choix des polices ni de quelques autres détails qui font la différence. Le confort et le plaisir de lecture sont surprenants.

Attila

(1) Voici le lien vers le site de l'Arbre vengeur, « l'éditeur qui cache la forêt ».