Un avis sur la délocalisation du Louvre à Atlanta, à Lens, à Abu Dhabi ? Sur les énarques qui trustent les directions de grands établissements culturels ou patrimoniaux, comme Versailles ? Si non - ou même si oui, d'ailleurs - je vous conseille de jeter un œil sur cet essai de Didier Rykner (1), édité par Nicolas Chaudun en 2008.

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Cette fois encore, le sous-titre est capital: l'ouvrage nous parlera de Musées, fric et mondialisation. Nous pouvons d'ailleurs laisser l'auteur lui-même en exposer le point de départ:

Ce livre est né d'un constat: l'instrumentalisation toujours croissante des musées par nos dirigeants qui négligent la vocation culturelle de ces établissements pour les transformer en outils au service de la politique, de la diplomatie ou d'intérêts économiques.

D'aucuns à coup sûr prétendront que l'argumentation de l'auteur est grossièrement orientée, voire victime de mauvaise foi et de rigidité d'esprit. A moi en tout cas elle est surtout apparue désarmante de bon sens. Car elle met au jour cette tendance de fond - inaugurée dans les années 90 par le Guggenheim de New-York exporté à Bilbao - qui voit des établissements culturels de renom engendrer des labels, des marques, en un mot se transformer en ce que M. Rykner appelle des multinationales de la culture. Si cette « rupture » fut en son temps honnie par la communauté culturelle internationale, elle semble désormais acceptée, sinon devancée et encouragée par le parangon des musées, i.e., vous l'avez compris, le Louvre.

Comment par exemple ne pas se montrer surpris, sinon choqué, face au déplacement d'œuvres des plus fragiles aux 4 coins du monde pour servir les expos-spectacles-événements qui se multiplient mais n'apportent rien à l'étude de l'histoire de l'art ? Face à la mise en concurrence des établissements qui subvertit les principes d'échange et de prêt ? Face, enfin, à la remise en cause fondamentale de la définition même du musée ?

Un musée est d'abord constitué d'une collection permanente. Il est nécessaire de répéter cette évidence. Elle en forme le cœur, la raison d'être. Sans collection permanente, le musée n'existe pas et n'est plus qu'un centre d'exposition.

Revient donc sous une autre forme cette question centrale qui devrait un peu plus hanter le débat public : tout est-il marchandable ? En l'espèce ici : qu'en est-il des vieilles missions de service public (pardon pour le gros mot) sur lesquelles nos établissements culturels se sont construits ? A savoir : la conservation du patrimoine, son étude, sa mise à disposition du plus grand nombre ?

Que l'Etat mène un tel projet sur ses propres collections, qu'il applique les lois qu'il est censé faire respecter et qu'il se comporte comme on est en droit de l'attendre, c'est-à-dire en mécène désintéressé, uniquement soucieux du bien des citoyens, rien n'empêche d'y rêver.

Attila

(1) Fondateur de La Tribune de l'Art.