tombeau.jpg Marc Le Gros est un poète breton, que je connaissais de nom mais que j'ai découvert un peu par hasard (nos lectures sont souvent faites ainsi : un livre qui traîne sur une étagère, un cadeau, une rencontre). Je n'ai pas (encore) lu ses autres ouvrages mais souhaitais vous présenter Tombeau pour Laurencine C. et autres poèmes. Edité par La Part commune (je vous laisse découvrir cette maison ici), c'est un texte qui m'a touchée. D'après quelques présentations glanées sur le net, ce recueil marque une sorte de rupture, de pause, dans le parcours de l'auteur. Il faudra que je lise ses autres textes pour bien le percevoir mais en tout cas, ces poèmes retranscrivent sensiblement et simplement une ambiance, celle d'un Trégor (si vous ne savez pas où est le Trégor, je vous invite à regarder par ) qui disparaît, un Trégor simple, avec un rapport très matérialiste aux éléments, à la mer, à la langue. C'est un bel hommage à sa grand-mère, à son époque. Je reconnais, dans ces évocations, des éléments qui ont, j'en suis sûre, façonné ma grand-mère, qui ont modelé mes parents, qui expliquent leurs rapports à la vie, au monde. Je crois que s'il savait mettre ainsi son enfance en mots, mon père aurait pu écrire une partie du préambule. Je suis également persuadée qu'un certain nombre de personnes peuvent aussi reconnaître des fragments de leur histoire dans ce tombeau. Je suis plus jeune que Marc Le Gros, d'une bonne génération, mais pour moi aussi, la langue bretonne était une langue mystérieuse, utilisée pour le coup par ma grand-mère quand elle ne voulait pas que nous comprenions ce qu'elle disait, le même usage pour ainsi dire que celui des parents de l'auteur :

"Lorsqu'ils s'en servaient et c'était là, je pense, un usage qui n'était pas rare à l'époque, c'était comme d'une sorte de langage secret lorsque les enfants ne devaient pas entendre c'est-à-dire, selon la simple étymologie, pas comprendre. (...). C'était comme si on avait éteint brusquement la lumière. Quelque chose, c'est sûr, se tramait derrière notre dos. Le Breton fut ainsi longtemps la plus étrange, la plus douloureuse des langues : celle de l'interdit et de l'exclusion, pire même, celle du complot."


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cliché de Terenez pris et partagé par JF Perigot, sous licence Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported


Pas d'exactitude linguistique ni de sensiblerie, il s'agit davantage d'instantanés un peu bruts. Pour moi, c'est justement ce parti pris de "ne pas faire beau", de ne pas enjoliver ni recréer un Trégor rêvé d'antan qui donne tout son intérêt à ces textes. J'ai lu un texte honnête, qui ne ment pas et j'ai apprécié le regard de l'auteur qui définit ainsi son territoire : Ce qui est faux peut être exact. C'est là pour moi aujourd'hui le territoire paradoxal où le poète, du moins le poète fatigué des jolies rhétoriques apprises et des complaisances de ce que j'appelle volontiers la "poésie poèt poèt", peut chasser. Sans trop d'illusions mais sans trop de ridicule non plus. Il faut dire que dans ce domaine la Bretagne est en pointe. Tradition bardique oblige, le "grotesque triste" conjugué aux trémolos vaniteux et à une couleur locale de pacotille, le dispute souvent à la très banale, à la très ordinaire médiocrité. Je vous laisse en découvrir quelques extraits :


On fera comme j'ai dit
Et tu vas pas me commander à mon âge
Langouste à gogo
D'ailleurs j'ai vu Aline hier
Elle m'aura des faibles aux Viviers
J'espère que je vais pas cette fois-ci rater
Ma mayonnaise
Car le temps c'est pas ça encore
Orageux que c'est


A Ty louzou que c'est arrivé
Un malaise sensément
Celui-là n'était plus tout jeune non plus
En train de pêcher
Un toutriste
Des bigorneaux de chien qu'on a trouvés
Dans son seau

Je n'ai rien à dire je crois bien
Je ne réponds de rien ça c'est sûr
Ni de moi ni
De la poésie j'oserais pas
Mes yeux mortels mes yeux
De chair toujours au bord du couteau
Regardent seulement le paysage
A le toucher presque à
Le manger oui
J'ai toujours aimé regarder les choses de près


Grimmy