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J'avais entendu parler de Mantra à sa parution en français à la radio (dans une émission sur le Mexique). C'est donc avec joie que je l'ai emprunté à la bibliothèque quand je l'ai aperçu sur son rayon. Je n'ai pas été déçue et l'ai englouti avec délice.

Si vous aimez l'humour argentin, si vous aimez le Mexique, si vous aimez les narrations sophistiquées qui se jouent de tout, il est probable que vous partagerez mon enthousiasme. Si vous aimez (aussi) Roberto Bolaño, il est quasiment certain que vous apprécierez cet auteur argentin.

Il est difficile de résumer ce roman kaléïdoscopique sur Mexico, tant les références foisonnent, tant les narrateurs se détournent eux-mêmes de leur récit. Le lecteur doit accepter de se perdre, de rentrer dans le dédale de ce roman-ville souvent qualifié de monstrueux, ce de la même façon que le visiteur doit accepter se perdre dans Mexico DF. Pas d'histoires calibrées, rien de convenu dans cet ouvrage. On suit les pérégrinations d'un esprit malade, obsédé par un souvenir. On y parle souvenirs, rêves, création littéraire. On y visite aussi Mexico, de manière informelle et subjective. Un vrai régal.
Pour vous convaincre (ou pas), je vous laisse en compagnie des mots de l'auteur (traduits en français par Isabelle Gugnon) :

On m'a dit un jour ou je l'ai lu quelque part - je m'en souviens maintenant - que pendant notre enfance, nous nous posons trente-trois questions par heure et qu'avec le temps, celles-ci se raréfient car les réponses sont là, pensées par d'autres et prêtes à être adoptées par nous sans même nous laisser le loisir de nous interroger sur le pourquoi et le comment de ce qui nous entoure et nous confond.


Les aborigènes qui affirment que les photos volent l'âme à jamais ont raison. Martín Mantra aussi. Il pensait comme moi et a donc refusé d'apparaître sur la photo de groupe de notre classe de CM2.


Les plus grands prophètes n'étaient que des élus d'eux mêmes qui racontaient la même histoire, chaque jour un peu mieux, de village en village, d'année en année, jusqu'à ce que tout ce qu'ils criaient au bord de la mer, en haut d'un rocher vertical sur le désert horizontal ou pendus par les pieds à la poutre maîtresse des temples de la zone crépusculaire finisse par faire partie intégrante du paysage et de notre histoire. Toujours les mêmes mots dits et redits autant de fois que nécessaire, jusqu'à ce qu'au bout du compte, miraculeusement alléluiaformes, ils soient obligés de croire à tout ce qu'ils étaient parvenus à faire croire aux autres.
Il me semble que c'est ainsi que naissent les meilleures religions.


Où trouve-t-on encore quelque chose dans la ville de Mexico? La réponse des Mexicains est toujours polie au point d enous mettre mal à l'aise. Longue réponse bourrée de flèches et de raccourcis. Nous prenons note. Nous prenons la direction indiquée. Nous arrivons n'importe où sauf là où nous voulions aller et devions nous trouver. C'est là que nous comprenons que les Mexicains - bien éduqués et prêts à rendre service - préfèrent raconter n'importe quoi plutôt que de dire je ne sais pas.
Eh oui, c'est comme ça.



Et pour le plaisir, quelques liens :

chez Le Matricule des anges : j'aime beaucoup cet entretien dans lequel Fresán explique comment Mantra a été conçu.
chez Culturopoing : une très enthousiaste chronique qui pourra vous donner envie d'embarquer pour Mantra.
Chez remue.net : un bel article, peut-être à lire avec précaution pour ceux qui n'ont pas lu mais aimeraient lire Mantra et conserver tous les effets de surprise (parfois, de belles lectures sont gâchées quand on en sait un peu trop).
Un bel hommage à Bolaño, en espagnol, écrit par Fresán. De mon côté, je vais suivre de près cet auteur et salive déjà à l'idée de lire ses autres romans.


Grimmy