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J'ai découvert Bohumil Hrabal quand je devais avoir 15 ans. Une galette des rois organisée dans un théâtre avec une lecture d'extraits de cet auteur. Pour une fois que j'avais de la chance, j'eus la fève et gagnai une place pour un ciné-concert Chaplin-Tiersen (c'était The Kid si je me souviens bien et c'était magique). Bref, de cette lecture, je n'ai malheureusement retenu que le nom de l'auteur (mais peut-être étais-je l'esprit ailleurs aussi) et il m'a fallu plus d'une décennie 1/2 pour le lire ! Et encore, c'est bien parce que j'étais à Bordeaux, dans une chouette librairie, et qu'un libraire l'avait mis en coup de coeur (symbolisé par un petit post-it rose fluo). Comme quoi, il y a des auteurs que l'on croise par hasard et dont on retient et le nom et la force de la plume (parce que, même si je ne l'avais pas lu, je me souviens que j'avais trouvé ses textes lus d'une très grande beauté, oui quand même, sinon je ne retiens pas).

Bohumil Hrabal est donc un grand auteur tchèque décédé en 1997. Par chance, on trouve en ligne sur le site de l'INA un extrait d'une entrevue filmée de 1992. Ce court extrait vous donnera déjà une mise en bouche de son expression. Présenté comme ça, ça fait un peu auteur sérieux et triste mais non, absolument pas ! C'est drôle, caustique, fin, intelligent et bien mené. Si l'on prend par exemple Une trop bruyante solitude, c'est sûr que le titre (magnifique oxymore mais presque) peut laisser croire que le texte est d'une tristesse à se pendre, eh bien non! Le texte met en scène un ouvrier devant détruire les livres. Drôle de job s'il en est (mais le pilon existe bien, qu'on se le dise) et drôle d'ouvrier qui exécute sa tâche avec une application d'orfèvre. Je n'en dis pas plus. C'est un livre anti-censure et anti-machinisme-anti-productivisme, une ode à la liberté. Et ça fait du bien !

Voilà trente-cinq ans que je travaille dans le vieux papier, et c'est toute ma love story. Voilà trente-cinq ans que je presse des livres et du vieux papier, trente-cinq ans que, lentement, je m'encrasse de lettres, si bien que je ressemble aux encyclopédies dont pendant tout ce temps j'ai bien comprimé trois tonnes;

Si je me retourne brusquement, si je crie ou m'agite en dormant, j'entends, épouvanté, le glissement des livres, il suffirait d'un frôlement, d'un cri pour que tout s'abatte du ciel sur moi comme une avalanche, une corne d'abondance qui viderait sur moi ses livres rares et m'aplatirait comme un pou, j'ai souvent l'impression d'un complot tramé par ces livres pour venger les innocentes souris que je mets tous les jours en bouillie. Toute méchanceté se paie.

Trente-cinq ans j'ai tassé du papier dans ma presse mécanique, trente-cinq ans j'ai cru que ma façon de détruire la maculature était la seule possible, mais voilà qu'aujourd'hui j'ai appris qu'à Bubny une gigantesque presse hydraulique faisait le travail de vingt engins comme le mien.

Ce magnifique texte est disponible en édition de poche aux éditions Robert Laffont (collection "pavillons poche"), pour 6€. Et la traduction, très agréable, est de Anne-Marie Ducreux-Palecinek.

Grimmy

Post-scriptum : un très bel article est en ligne sur Esprits nomades.