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Si vous aussi, vous êtes fatigués par les discours vides de sens que l'on nous sert à longueur de media, ce livre est fait pour vous. Si vous ne l'êtes pas, il est aussi fait pour vous, ne serait-ce que pour mettre en lumière l'emploi fallacieux de termes qui sont entrés dans notre quotidien, non pas parce que nous les utilisons, mais parce que nous en sommes matraqués.

Conçu par Eric Hazan et édité par Raisons d'agir (maison d'édition fondée par Pierre Bourdieu), LQR recense et met en lumière les dérives de la langue médiatique, cette novlangue que nous ne parlons pas mais entendons régulièrement.

La prépondérance de l'adjectif « social » (dans des expressions comme « plan social » pour « plan de licenciement », « la question sociale », « le débat social » et j'en passe), le retour à tout va de l'adjectif « citoyen », l'emploi de termes issus du marketing (« coach », « manager »), tout ceci est analysé par la plume d'Eric Hazan, qui relève, comme l'avait fait Victor Klemperer pour la langue du Troisième Reich, les spécificités d'une langue artificieuse qui nous entour(loup)e.

J'aimerais juste brièvement insister sur la qualité de cet ouvrage, en trois points :

  • la forme (l'objet livre) : il s'agit d'un petit livre de poche, avec une couverture simple, sobre mais recherchée. le papier utilisé n'est pas trop blanc, les marges existent et le texte respire. Les notes sont présentées agréablement. Aucune erreur ortho-typographique ne m'a sauté aux yeux (ce n'est pas que je les traque mais aujourd'hui, il est assez rare de n'en voir aucune dans des livres). Le travail de l'éditeur est très appréciable. Franchement, pour 6 euros, ce n'est pas la norme de voir un tel souci du respect ortho-typo et du confort du lecteur.
  • la forme de l'essai : les propos d'Hazan sont très bien structurés et exprimés avec fluidité.
  • le fond : j'ai beaucoup aimé également, car les sources sont données et les propos argumentés. La partie qui m'a le plus intéressée, c'est quand il aborde une étude de Nicole Loraux sur l'Athènes classique (La Cité divisée) et la met en parallèle avec notre société. C'est très bien vu, habilement amené et apporte une réelle mise en perspective. Finalement, même ceux qui ne seront pas de l'avis de l'auteur (et du mien) apprendront des choses à la lecture de ce livre.

Je le conseille donc vivement : LQR est un ouvrage qui peut faire partie du barda de (l'auto)défense intellectuelle. En voici un extrait :

Il n'y a plus de pauvres mais des gens modestes, des conditions modestes, des familles modestes. Être orgueilleux quand on n'a pas d'argent n'est pas pour autant interdit, mais cette façon de dire implique au moins une certaine modération dans les exigences.

N.B. : Eric Hazan est aussi un éditeur engagé, fondateur de La Fabrique. J'ai eu l'occasion d'assister à une rencontre où il était présent et il s'est montré respectueux de tous et disponible. Il avait été invité à choisir un court-métrage à projeter à l'issue de la rencontre et nous avait offert la découverte d'un film documentaire tourné avec peu de moyens : N'entre pas sans violence dans la nuit. Un choix à l'image de ses propos et engagements.

Grimmy