azuela_ceuxdenbas.jpg Février 1913: Francisco Madero, tombeur du dictateur Porfirio Díaz à la tête de l'Etat mexicain, est assassiné par le général Huerta lors d'un coup d'Etat militaire. Les armées populaires révolutionnaires - Emiliano Zapata au sud du pays, Francisco "Pancho" Villa au nord - se soulèvent contre les fédéraux. Ce sont ces années d'instabilité et de guerre civile que raconte ce roman, vues de l'intérieur d'une troupe révolutionnaire villiste.

Ceux d'en bas est une épopée de pauvres gens, dans la mesure où ces termes peuvent constituer une expression contradictoire. Pas d'épithète homérique, bien sûr, mais simplement esquissés quelques traits de caractère, seulement mentionnés un surnom, une particularité physique... Avec une économie de moyens remarquable Azuela dresse un portrait parlant de ces acteurs de la Révolution mexicaine.

Il y a Demetrio Macías, le chef ombrageux ; Venancio, le compagnon avisé ; Margarito, l'éphèbe brutal et sanguinaire ; Valderrama, le fou un peu poète, ou l'inverse ; et bien d'autres encore: la Caille, le Négro, la Grosse, la Poudrée...

Et puis il y a Luis Cervantes, le « petit monsieur »: un bourgeois chirurgien qui a voulu faire dans sa chair l'expérience de ses idéaux révolutionnaires. C'est le double de l'auteur, qui nous expose dans une postface la genèse du récit:

Sous le nom de « Tableaux et scènes de la Révolution » j'ai ordonné de nombreuses notes que j'avais prises en marge des événements politico-sociaux depuis la révolution madériste jusqu'à présent. C'est à cette série qu'appartiennent les épisodes de mon récit « Ceux d'en bas », écrits en pleine lutte (...). Je pus satisfaire alors un de mes plus grands désirs, mener la vie des révolutionnaires authentiques, ceux d'en bas, car jusqu'alors mes observations s'étaient limitées au monde ennuyeux de la petite bourgeoisie.

Lors de la lecture, cette démarche littéraire se rappelle sans cesse à nous par l'utilisation d'une prose sèche, élémentaire, qui suit au plus près les aspérités des gens et des choses. La traduction d'Albert Bensoussan (le traducteur attitré de Mario Vargas Llosa chez Gallimard) conserve et transmet toute la force et l'éclat de cette écriture qui fait corps avec la beauté aride de la sierra mexicaine. Cette édition des Carnets de L'Herne propose par ailleurs, illustrant parfaitement le roman, des gravures de Diego Rivera et José Clemente Orozco: comme le texte elles sont d'un dépouillement évident, mais faussement naïf.

L'ironie et le détachement pessimiste de l'auteur ne sont en effet jamais loin, à tel point qu'on a pu considérer l'œuvre comme anti-révolutionnaire. Dans sa préface, Valéry Larbaud compare d'ailleurs Mariano Azuela à Tacite, pour la vigueur de son style et son économie de moyens. Mais peut-être une belle citation vaut-elle mieux qu'un long discours ? A vous de juger ! Moi je vous engage à tenter l'aventure aux côtés de ces farouches guerilleros: dépaysement garanti !

Du haut de la colline, on aperçoit un flanc de la Bufa, avec sa crête semblable à la tête empanachée d'un fier roi aztèque. Le versant, de six cent mètres, est jonché de morts, cheveux emmêlés, vêtements souillés de terre et de sang, et dans cet entassement de cadavres encore chauds, des femmes déguenillées vont et viennent comme des coyotes faméliques, fouillant et dépouillant.

Au milieu de la fumée blanche de la fusillade et des noirs tourbillons qui s'élèvent des édifices incendiés, on voit resplendir au soleil des maisons aux grandes portes et aux multiples fenêtres, toutes closes ; des rues entassées, se chevauchant en tournants pittoresques, à l'assaut des collines voisines. Et au-dessus de l'agglomération souriante se dressent un domaine aux sveltes colonnes, les clochers et coupoles des églises.

– Que la Révolution est belle, même dans sa barbarie, dit Solís avec émotion.

Attila