makavettas_f.jpg En Grèce, dans la deuxième moitié du vingtième siècle, les factions militaires se disputent le pouvoir. Le Président, véritable Père Ubu menacé par de multiples coups d'Etat, fait appel au plus probe de ses officiers pour sauver sa tête. Mais ce héros "sans peur et sans reproche" ne va-t-il pas lui même céder aux Sirènes du Pouvoir?

L'histoire de Makavettas est en fait "révélée" par un jeune appelé qui découvre inopinément ce manuscrit jeté à la hâte au milieu d'archives militaires. Il semblerait que celui qui a fait trembler les plus hautes sphères du régime des Colonels ait subi une véritable damnatio memoriae... Véridique ou pas, la publication de ce livre (aux éditions Gallimard en 1998, dans une traduction de Jean-Louis Boutefeu) est en tout cas des plus heureuses, car il nous donne à voir, dans "une farce d'une irrésistible drôlerie" (dixit la 4ème de couv') une galerie de personnages plus sordides les uns que les autres: des militaires factieux, une actrice vénale, une sœur handicapée et non moins tyrannique, des moines complices d'actes de torture...

Très facile d'accès et très agréable à lire, cette œuvre n'en est pas moins truffée de références littéraires, s'inscrivant par là-même dans toute une tradition qu'elle remet au goût du jour, et qu'elle subvertit. En adoptant l'aspect d'un écrit historiographique, relaté par un témoin direct de l'Histoire en train de se faire, elle n'est pas sans faire penser à Xénophon et même Thucydide: des faits guerriers, une narration sobre, apparemment objective, mais qui ne s'interdit pas les mises en scène des épisodes les plus emblématiques, la peinture morale des personnages, les considérations d'ordre général.

La division en très courts chapitres centrés sur un seul fait, la vivacité de l'action (début in medias res, retournements constants de situation), les ellipses, l'apparition de nouveaux personnages ex abrupto nous ramènent par ailleurs à la tradition du roman grec, et particulièrement à ces ensembles d'histoires plus ou moins légendaires se rattachant à la figure d'Alexandre.

Enfin, bien sûr, sont aussi convoqués les plus nobles des genres, l'épopée et la tragédie: le héros ne s'appelle-t-il pas Achille Makavettas? Homère et Shakespeare ne semblent pas bien loin! Pourtant, tout cela est raconté, comme nous le dit le "découvreur du manuscrit", par un "anti-écrivain", qui multiplie les écarts de langage, les raccourcis hâtifs, les apostrophes familières au lecteur... Mais la fin tout entière du prologue dévoile elle-même, bien plus habilement que je ne saurais le faire, le projet littéraire de l'auteur, et je ne résiste pas à l'envie de citer ce long passage:

Je n'ai malheureusement pu recueillir le moindre renseignement sur l'identité de l'auteur. A en juger par le style, et aussi par la présence de fautes d'orthographe inadmissibles (1), on peut toutefois sans grand risque de se tromper que ce n'est ni un érudit ni un historiographe de métier, mais plutôt une personne peu cultivée, sans doute un sous-officier de carrière ou un simple soldat. Saisi du frisson primitif que ressent l'être humain au spectacle de l'histoire en marche, il aura pris la plume - ou le "bic", si vous préférez - pour relater les terribles événements dont il a été le témoin, pour éviter qu'ils ne s'abîment dans l'oubli (2), qu'ils ne coulent, comme tant d'autres, au fond d'un océan d'amnésie (3).

Je terminerai en disant que je ne me suis jamais préoccupé de vérifier l'exactitude historique du récit. D'ailleurs, seuls parviennent à la postérité les faits dûment détaillés et consignés par écrit. Même quand ils n'ont pas eu lieu.

(1) Elles ont été corrigées à la retranscription, de manière à ne pas rebuter le lecteur (N.d.A.).
(2) Anne Comnène: L'Alexiade (N.d.A.).
(3) Ibid. (N.d.A.).


Attila