Les feuilles pas mortes

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mardi 4 octobre 2022

Faire surface - Margaret Atwood

fairesurface

De Margaret Atwood, j'avais déjà lu Captive. Par contre, je n'ai toujours ni lu ni regardé La Servante écarlate. Cette romancière, poète et essayiste est née en 1939 à Ottawa, au Canada et fait partie de mon top des plumes contemporaines (oui, je vais créer mon top, rien qu'à moi, sans quota, que de la pure subjectivité), pour son regard acéré sur la société et les relations humaines.

Comme je ne sépare jamais l’œuvre de la femme, j'ajouterais que je ne suis guère étonnée de voir qu'elle est fille de zoologiste. Je trouve à son écriture un aspect assez clinique, un peu froid. Aucun jeu sur le pathos, mais des faits et des informations, qui demandent au lecteur un petit travail de décryptage. Pour le coup, c'est une technique d'écriture très efficace et subtile puisque la lectrice que je suis aime quand on demande à son cerveau de reconstituer une lecture à partir d'éléments.

Faire surface date de 1972. Ce roman raconte à la première personne le parcours d'une femme qui revient sur les lieux de son enfance, sur une île, à la frontière entre le Canada et les Etats-Unis. Son père a disparu et ce retour aux sources se fait en compagnie de trois personnes : son compagnon et un couple d'amis.
Sur la quatrième de couverture, l'éditeur de la traduction française, Laffont, qualifie ce récit de "moitié enquête policière, moitié thriller psychologique" et de livre "que l'on peut décrire comme un polar œdipien". Alors, oui, pourquoi pas. De mon côté, j'ai trouvé que ce roman était si riche, si inattendu (au sens vrai, on ne s'attend pas à un déroulé précis, comme dans un bon policier bien mené) qu'il était bien difficile de le catégoriser.
Alors oui, le lecteur (désolée, je ne suis toujours pas passée à l'écriture inclusive, je reste bloquée au siècle dernier) se demande pourquoi elle vient là, qui sont les gens qui l'accompagnent, où est passé le père disparu, c'est vrai. Mais, au final, le lecteur accompagne lui aussi cette femme et découvre son univers, qu'il soit extérieur (on y découvre un mode de vie assez ascétique, en lien très fort avec la nature) ou intérieur (cette femme, qui n'est pas volubile, est elle aussi un mystère). D'ailleurs son prénom importe peu, le regard, bien que d'un point de vue interne, est presque extérieur, dépersonnalisé.
Si vous avez envie de lire un récit subtil et fort, un de ceux qui vous font réfléchir, qui vous laisse une impression d'incompréhension (et ça, c'est fortiche car nous ne sommes pas du tout dans un récit qui se résout totalement, alors qu'il a une véritable fin), vous pouvez courir les yeux fermés (mais attention au poteau!) chez votre libraire préféré ou dans votre médiathèque chérie.

Je l'ai lu dans l'édition Pavillon poche de Laffont, dans la traduction Marie-France Girod. Le livre coûte 8,90 euros et se trouve assez facilement en bibliothèque (sinon vous pourrez toujours l'ajouter aux suggestions d'achat).

Quelques extraits pour mettre l'eau à la bouche (je voulais mettre la larme à l’œil, mais ça ne marche pas) :

Nous n'avons pas apporté de carte car je savais que nous n'en aurions pas besoin. "Il faut demander", dis-je. L'auto fait marche arrière puis nous roulons dans la rue principale jusqu'à un coin où se trouve un magasin de journaux et de bonbons.
"Vous voulez parler de l'ancienne route, dit la femme avec seulement un soupçon d'accent. Il y a des années qu'on l'a fermée, celle qu'il faut prendre c'est la nouvelle." Je lui achète quatre cornets de crème glacée à la vanille parce qu'on n'est pas censé demander sans rien acheter.



D'une voix basse, Anna dit : "Il n'aime pas me voir sans maquillage", puis, se contredisant : "Il ne sait pas que je me maquille." J'ai un aperçu du subterfuge que cela implique, ou bien est-ce du dévouement : doit-elle chaque matin avant qu'il ne soit réveillé se glisser hors du lit et le réintégrer le soir après que les lumières sont éteintes? Peut-être que David fait de pieux mensonges; mais elle estompe si savamment les fonds qu'il peut ne rien avoir remarqué.


J'ai tourné l'anneau au doigt de ma main gauche, souvenir; il me l'avait donné, de l'or tout simple, il disait qu'il n'aimait pas l'ostentation, cela nous facilitait l'accès aux motels, ouvreur de porte; entre-temps je le portais autour du cou, passé dans une chaîne.


Grimmy

lundi 24 septembre 2018

Out - Natsuo Kirino

out

C'est en cherchant un roman policier japonais que je suis tombée sur Out de Natsuo Kirino, auteure ayant remporté de nombreux prix littéraires.

Quatre femmes travaillent dans une fabrique de paniers-repas, la nuit. Quatre femmes qui sont différentes facettes d'une représentation de la solitude et de la misère sociale japonaise. Oui, il y a des crimes, du sang, du fait divers, mais là où Natsuo Kirino excelle, c'est dans la lente description d'une société où les femmes ne valent pour les hommes que par leur beauté quand elles sont jeunes ou par l'argent qu'elles ramènent au foyer quand elles sont "fanées".

L'intrigue est bien menée mais pour moi, elle est surtout le prétexte à la description de la vie de femmes dont on ne parle que rarement : des ouvrières, de nuit qui plus est, célibataires endettées ou mère de familles délaissées; des femmes qui s'épuisent au travail, coincées dans leur vie quotidienne. Leur portrait n'est pas flatteur : elles agissent comme elles peuvent et ne sont pas mues par de grands idéaux. L'argent détermine souvent leurs actions : elles en ont besoin pour rembourser leurs dettes, garder leur toit sur la tête ou gagner leur liberté. Ce sont des victimes dont on ne peut attendre grand chose...

Les hommes valent encore pis : ils boivent, jouent, dépensent dans la débauche l'argent durement gagné par les femmes ou exploitent de belles jeunes filles dans des clubs de prostitution.
Une société sans pitié où des femmes sans histoire se retrouvent, par solidarité et appât du gain, dans de sordides situations. En parallèle, on découvre la chute d'un gérant de club de prostitution et de jeux, un oppresseur au sombre passé.

Je n'en dirai pas plus sur l'intrigue (d'ailleurs la 4e de couverture de l'édition que j'ai lue en disait beaucoup trop, pour attirer l'attention sur l'aspect "thriller" du titre). Bonne découverte !

Une légère odeur de friture flottait dans l'air, mêlée à des bouffées de gaz d'échappement provenant de la route de Shin-Ômé. Elle émanait de la fabrique de paniers-repas où Masako allait travailler. "J'ai envie de rentrer." Chaque fois qu'elle sentait cette puanteur, ces mots lui échappaient. Mais rentrer où? Une chose était certaine : pas à sa maison, qu'elle venait de quitter.


Une épouse travailleuse pouvait avoir du bon, mais pour un mari paresseux, c'était remuer le couteau dans la plaie. Yoshié se souvint de son mari, mort de cirrhose cinq ans auparavant. Plus elle se mettait au service de sa belle-mère, plus elle contribuait à l'économie du ménage en faisant de petits travaux à domicile; mais plus elle se démenait pour la famille, plus elle agaçait son mari.


Ca ne l'enchantait guère de travailler la nuit, mais il y avait peu d'employeurs prêts à engager une mère de famille obligée de s'absenter dès qu'un enfant tombait malade. Avant d'être embauchée à la fabrique de paniers-repas, elle avait travaillé à temps partiel comme caissière dans un supermarché. Mais après avoir refusé de travailler le dimanche et s'être absentée pour rester plusieurs fois près d'un de ses fils alité, elle avait été licenciée sans autre forme de procès.

mercredi 16 juillet 2014

Karoo - Steve Tesich

karoo.jpg Publié chez Monsieur Toussaint Louverture en 2012 pour sa traduction française et disponible en poche aux éditions Points, Karoo a fait couler beaucoup d'encre et a régulièrement été mis en avant par les libraires, et ce sans promotion médiatique de fou puisque Steve Tesich est décédé avant la publication de cet ouvrage et que l'ouvrage est publié par un éditeur estimé mais peu médiatisé. Avant toute chose, je profite donc de ce billet pour remercier Monsieur Toussaint Louverture de nous faire découvrir de tels textes et de se battre pour leur diffusion. J'aime beaucoup cette maison d'édition et vous encourage donc à visiter leur site et à acheter (presque les yeux fermés) leurs ouvrages.
Alors pour faire bref, ça se passe aux States et raconte la chute d'un anti-héros sur la fin qui réécrit des scripts pour le cinéma, un homme en pleine crise de "je ne suis plus aussi jeune que je le voudrais et je suis un raté". A ce stade-là, généralement, les hommes noient leur détresse dans la dive bouteille. C'est déjà triste, c'est déjà glauque mais là, pour Saul Karoo, c'est encore pire! Car tout ce qu'il avait malgré tout pas trop mal réussi, même malgré lui, va lui échapper, de sa pseudo-intégrité professionnelle à sa presque non-relation filiale, en passant par, et ça c'est un vrai drame, sa façon de noyer sa lucidité dans l'alcool. Parce que non seulement il a une vie de merdouille et il en est conscient, mais en plus il ne connaît plus les brouillards de l'ivresse. Non, rien du tout! même après un nombre incroyable de verres! Et ça, c'est la vraie loose, la vraie de vraie. Non, sérieusement Tesich a torturé son personnage, lui faisant vivre tout ce qu'il pouvait lui arriver de pire, en pleine lucidité! C'est bien vu, c'est féroce, c'est- oserais-je le dire, drôlement horrifiant. Pour ceux qui ne l'auraient toujours pas lu, si vous aimez les histoires de vrais loosers, courez-y! Oui, parce que là, et j'en ai lues des histoires de super loosers, anti-héros aux cheveux gras et tristes, à la bedaine torturée et aux relations familiales proches du néant, Karoo est hors-compétition, indéniablement.
J'émettrai juste un petit bémol sur la fin du roman, que j'ai trouvée très décevante. Peut-être parce que le reste est très bien, peut-être parce que l'auteur est mort trop tôt pour la retravailler. C'est dommage, parce que sinon, c'est é-nor-me!


J'étais de nouveau au vin rouge; j'avais commencé par ça en arrivant à la fête. Entre-temps, j'avais avalé toutes les sortes de boissons alcoolisées servies sur place. Vin blanc. Bourbon. Scotch. Trois vodkas différentes. Trois cognacs différents. Champagne. Liqueurs diverses et variées. Grappa. Rakija. Deux canettes de bière mexicaine et plusieurs coupes de lait de poule aromatisé au rhum. Le tout sur un estomac vide, et malgré ça, hélas, trois fois hélas, j'étais toujours sobre comme un chameau.


A ma plus grande horreur, je vis que je pesais cent douze kilos.
J'en restai bouche bée.
Quoi!
Je n'avais jamais, de toute ma vie, pesé cent douze kilos. Même tout habillé, avec de grosses chaussures et beaucoup de monnaie dans mes poches, je n'avais jamais, au grand jamais, été au-delà des cent kilos.
Abasourdi, je fixai le chiffre. Je le fixai comme j'aurais contemplé les chefs d'accusations totalement fictifs de crimes que je n'aurais pas commis.


D'après elle, tous mes problèmes, sans exception, sont causés par le chaos qui règne dans mon subconscient. Mon alcoolisme. Mon infidélité conjugale. Ma triste performance de père. Mes mensonges constants, à moi-même et aux autres. Ma pathétique barbe hirsute. Mon indifférence face aux sentiments des autres. Mon manque de respect pour mon apparence physique.
"Mais regarde-toi!" s'exclame-t-elle, et je sens les yeux des quatre du mur de Berlin se tourner pour se fixer sur moi. "Tu deviens gros, chéri. Vraiment, tu sais. C'est vrai. Tu n'es plus seulement en surcharge pondérale. Tu es gros, mon chou. Je ne vois même pas la chaise sur laquelle tu es assis. Pour ce que j'en vois, il n'y a pas de chaise. Pour ce que j'en vois, tu es juste affalé, avec tes coudes sur la table. Et cette malheureuse barbe que tu te fais pousser ne trompe personne. Tous les hommes qui ont honte de leur apparence physique se font pousser la barbe. Surtout les gros. Au rthme où tu y vas, Dieu nous en garde, tu vas bientôt te mettre à porter des cols roulés noirs, en plus. Et pourquoi ça? Tu sais pourquoi? Tu veux le savoir?"


Grimmy

mardi 15 juillet 2014

La Route - Cormac McCarthy

laroute.jpg Attention best-seller ! Si si, des millions d'exemplaires vendus, des milliers de critiques et chroniques internationales, une adaptation au cinéma, et j'en passe. La Route de McCarthy fait partie des livres dont on a beaucoup parlé et qui ont marqué, réellement, la littérature contemporaine.
Publié en français en 2008 aux éditions de l'Olivier, cela faisait un petit moment que La Route patientait sur mes étagères. Je n'aime pas vraiment lire les livres quand ils sont en plein dans l'actualité à vrai dire, sans doute pour me dire que ma lecture sera moins influencée par le tapage médiatique ambiant. Bref, j'ai quand même pris une claque, une belle! Je connaissais de McCarthy Méridien de sang (que je vous conseille chaleureusement -mais pas tout de suite après le petit déjeuner) et savait donc que son style était épuré et âpre. Je m'attendais également à un livre plus violent, plus trash, mais non. Il s'agit d'une belle histoire, celle d'un père et son fils qui sont sur la route, jusqu'au bout, dans un monde qui semble déjà arrivé à son terme.
Roman allégorique, initiatique, La Route est avare de mots, économe d'explications, chiche de procédés littéraires. Sa lecture en est "routinière" mais ce dépouillement sert admirablement le propos. Que reste-t-il quand il ne reste rien d'un monde que l'on a connu? Quel sens peut-il y avoir à rester sur le chemin? Quelle est cette route? McCarthy traite avec brio ces questions vieilles comme le monde : Qui suis-je? Où vais-je? Pourquoi? Pour quoi? Un roman universel qui ne sombre jamais ni dans le pathos ni dans l'égocentrisme.
Quelques extraits pour la route :

L'homme tira l'enfant contre lui. Rappelle-toi que les choses que tu te mets dans la tête y sont pour toujours, dit-il. Il faudra peut-être que t'y penses.
Il y a des choses qu'on oublie, non?
Oui. On oublie ce qu'on a besoin de se rappeler et on se souvient de ce qu'il faut oublier.


Sur cette route il n'y a pas d'hommes du Verbe. Ils sont partis et m'ont laissé seul. Ils ont emporté le monde avec eux. Question : Quelle différence y a-t-il entre ne sera jamais et n'a jamais été?



Il n'y a personne à voir. Tu veux mourir? C'est ça que tu veux?
Ca m'est égal, dit le petit en sanglotant. Ca m'est égal.
L'homme s'arrêta. Il s'arrêta et s'accroupit et le serra contre lui. Je te demande pardon, dit-il. Ne dis pas ça. Tu ne dois pas dire ça.



Pour aller plus loin :
Un bel article du Matricule des anges
L'avis du fricfracclub


Grimmy

jeudi 1 mai 2014

La Prière d'Audubon - Isaka Kôtarô

priereaudubon.jpg Pourquoi et comment le héros (pas très glorieux) de ce roman se retrouve sur cette île presque fantastique? Quel rapport avec Audubon, l'ornithologue? C'est ce que le lecteur découvrira au fil des pages de ce beau roman japonais, quasi initiatique, entre tradition et modernité. Un beau texte, sensible, qui traite avec poésie du destin et de la vie. Si vous aimez les mystères, les personnages un peu étranges et les intrigues travaillées, n'hésitez plus. La Prière d'Audubon devrait vous plaire. Edité par Picquier (disponible en poche), le livre est bien traduit, maquetté avec soin, avec une jolie couverture. Très très agréable, vraiment. Je vous laisse juger sur pièces.


" Toi, tu vas prendre la fuite." Ma grand-mère, qui est morte d'un cancer, avait clairement énoncé cette phrase il y a deux ans, en pointant le doigt sur moi. Elle avait l'air de faire une prophétie. Mais elle avait dit vrai : aucun doute, j'étais du genre à prendre la fuite quand je me trouvais confronté à un problème.



"Tu vois le chat, là, sous le grand orme? a dit Hibino.
- Oui.
- Tant qu'il ne bouge pas du pied de l'arbre, ça veut dire que le temps va rester au beau.
- Hein?
- S'il grimpe sur l'arbre, ça veut dire qu'il va bientôt pleuvoir.



Hibino avait beau ressembler à un chien, il n'avait pas beaucoup de flair. Sa réaction a été plutôt lente. Ou peut-être qu'il n'était pas du genre rapide, intellectuellement parlant.



Pour aller plus loin : une interview très intéressante de la traductrice, Corinne Atlan sur le blog encathymini. Cela commence ici et se poursuit .


Grimmy

dimanche 16 mars 2014

Les Chaussures italiennes - Henning Mankell

chaussuresitaliennes.jpgVoici un livre qui m'avait été conseillé plus d'une fois. Je l'ai donc offert à mon père puis le lui ai emprunté pour le lire. Son verdict : "il est bien mais sans plus". Le mien : "ben zut alors, j'aurais mieux fait de lui acheter autre chose, encore une déception".
Oui, j'ai été déçue, entre autres parce que j'ai eu quasi en permanence l'impression de lire un scénario de film gentillet où l'on nous répète à l'envi que la vie, c'est précieux (ah bon), qu'il faut en profiter et qu'il n'est jamais trop tard pour renouer avec des personnes qui ont marqué nos vies. Et je passe les scènes, oui, les scènes, où le lecteur imagine très bien comment on pourrait filmer le bousin. Et puis chaque personne est caractérisé par une manie ou un accessoire. Pour faire juste, pour faire vrai, pour décrire facilement, comme ça c'est simple : chacun rentre dans sa petite case de pas tout-à-fait dans les normes. Et puis, je vous passe le pseudo mystérieux événement qui a fait basculer la vie de notre personnage principal. On le sent venir à plein nez. Zéro surprise, non, zéro (à part une au milieu, peut-être). Et en plus, c'est triste (parce que la vieille chienne meurt, la vieille chatte meurt, la jeune déprimée meurt, la vieille malade ex-amour de jeunesse meurt), bref, c'est dur la vie et les vieux meurent tous un jour, rien de nouveau sous le soleil. Non, le plus grand mystère, qui se dissipe vers le milieu du livre, c'est le rapport avec le titre du livre, si tant est que ce soit très important...
Bon, vous l'aurez compris, j'ai été agacée. Oui, agacée par ce roman qui "fait le job" (situation initiale - élément déclencheur- péripéties - situation finale un peu ouverte, personnages que l'on pourrait qualifier d'atypiques, bribes d'humour, séquences émotion, style très fluide) mais qui m'a semblé, in fine, extrêmement surfait et superficiel. J'en attendais peut-être trop. Bon, je vous en mets quelques extraits quand même :

Dans un autre temps, juste après la catastrophe, il m'est arrivé, oui, de vouloir en finir. Pourtant, je ne suis jamais passé à l'acte. La lâcheté a toujours été une fidèle compagne de ma vie.

Quand Harriet, avec son déambulateur vert, est entrée dans le rectangle de lumière qui tombait sur la neige, j'ai eu l'impression de la voir comme dans un rayon de lune se reflétant sur l'eau.

J'avais compris qu'un pourboire excessif était aussi humiliant, pour mon père, qu'un pourboire trop modeste, ou même qu'une absence de pourboire. Quoi qu'il en soit, il l'avait transformé en chapeau rouge pour ma mère.



Grimmy

lundi 9 décembre 2013

Une trop bruyante solitude - Bohumil Hrabal

unetropbruyantesolitude.jpeg

J'ai découvert Bohumil Hrabal quand je devais avoir 15 ans. Une galette des rois organisée dans un théâtre avec une lecture d'extraits de cet auteur. Pour une fois que j'avais de la chance, j'eus la fève et gagnai une place pour un ciné-concert Chaplin-Tiersen (c'était The Kid si je me souviens bien et c'était magique). Bref, de cette lecture, je n'ai malheureusement retenu que le nom de l'auteur (mais peut-être étais-je l'esprit ailleurs aussi) et il m'a fallu plus d'une décennie 1/2 pour le lire ! Et encore, c'est bien parce que j'étais à Bordeaux, dans une chouette librairie, et qu'un libraire l'avait mis en coup de coeur (symbolisé par un petit post-it rose fluo). Comme quoi, il y a des auteurs que l'on croise par hasard et dont on retient et le nom et la force de la plume (parce que, même si je ne l'avais pas lu, je me souviens que j'avais trouvé ses textes lus d'une très grande beauté, oui quand même, sinon je ne retiens pas).

Bohumil Hrabal est donc un grand auteur tchèque décédé en 1997. Par chance, on trouve en ligne sur le site de l'INA un extrait d'une entrevue filmée de 1992. Ce court extrait vous donnera déjà une mise en bouche de son expression. Présenté comme ça, ça fait un peu auteur sérieux et triste mais non, absolument pas ! C'est drôle, caustique, fin, intelligent et bien mené. Si l'on prend par exemple Une trop bruyante solitude, c'est sûr que le titre (magnifique oxymore mais presque) peut laisser croire que le texte est d'une tristesse à se pendre, eh bien non! Le texte met en scène un ouvrier devant détruire les livres. Drôle de job s'il en est (mais le pilon existe bien, qu'on se le dise) et drôle d'ouvrier qui exécute sa tâche avec une application d'orfèvre. Je n'en dis pas plus. C'est un livre anti-censure et anti-machinisme-anti-productivisme, une ode à la liberté. Et ça fait du bien !

Voilà trente-cinq ans que je travaille dans le vieux papier, et c'est toute ma love story. Voilà trente-cinq ans que je presse des livres et du vieux papier, trente-cinq ans que, lentement, je m'encrasse de lettres, si bien que je ressemble aux encyclopédies dont pendant tout ce temps j'ai bien comprimé trois tonnes;

Si je me retourne brusquement, si je crie ou m'agite en dormant, j'entends, épouvanté, le glissement des livres, il suffirait d'un frôlement, d'un cri pour que tout s'abatte du ciel sur moi comme une avalanche, une corne d'abondance qui viderait sur moi ses livres rares et m'aplatirait comme un pou, j'ai souvent l'impression d'un complot tramé par ces livres pour venger les innocentes souris que je mets tous les jours en bouillie. Toute méchanceté se paie.

Trente-cinq ans j'ai tassé du papier dans ma presse mécanique, trente-cinq ans j'ai cru que ma façon de détruire la maculature était la seule possible, mais voilà qu'aujourd'hui j'ai appris qu'à Bubny une gigantesque presse hydraulique faisait le travail de vingt engins comme le mien.

Ce magnifique texte est disponible en édition de poche aux éditions Robert Laffont (collection "pavillons poche"), pour 6€. Et la traduction, très agréable, est de Anne-Marie Ducreux-Palecinek.

Grimmy

Post-scriptum : un très bel article est en ligne sur Esprits nomades.

jeudi 21 novembre 2013

Glamorama - Bret Easton Ellis

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Après American Psycho, lu trois ans auparavant, je me suis attaquée cet été à Glamorama (publié en 98, il précède donc l'ouvrage le plus célèbre de l'auteur). Je l'avais acheté par hasard, lors de la visite d'une librairie de livres anciens et d'occasion (ou bouquinerie très bien rangée si vous préférez). Je n'aime pas sortir les mains vides, l'ai vu, c'était un gros poche pas très cher (3 € officiellement, moins finalement car le libraire est sympa), j'en avais entendu parler, bref.

Depuis il occupait patiemment l'étagère des poches en attendant un moment propice. Pour les gros poches qui ont vécu et qui sont un peu "rébarbatifs" (cad écrits petits et serrés), le moment propice chez moi ce sont les vacances d'été avec une longue période de camping qui permet de lire avec une lampe torche le soir ou le matin sous la tente ou au bord de la rivière ou sous un arbre. En gros, pour l'été, il me faut de gros livres qui ne craignent rien et qui surtout ne me laissent pas le choix (je lis ça ou rien du tout, donc ça). Je me rends compte en écrivant que je ne suis pas très engageante pour cet ouvrage alors que je l'ai lu, qu'Attila l'a lu, que nous en avons beaucoup discuté.

Glamorama en fait, c'est comme American psycho pour le style et certaines scènes (il y a du trash, ça met longtemps à démarrer, le lecteur est si inondé de détails et de dialogues oiseux qu'il peine à retenir ce qui est important pour comprendre ce qu'il se passe -j'ai d'ailleurs dû relire tout le départ car j'ai compris en cours de lecture que j'avais raté des indices importants), mais avec des paillettes, dans le monde du glamour et des stars. Ces dernières sont aussi vides que des pantins, elles souffrent, agissent, subissent et agacent. Pas de matière, pas d'élan romanesque, pas de psychologie, nada. Nada de chez nada.

Et malgré tout, une fois prise dans le roman, je voulais comprendre, savoir où j'allais être amenée. Selon moi, c'est cela qui fait l'intérêt de ce roman : on peut faire un roman sur du vide, en démontant des icônes populaires, en torturant ce que l'on peut voir comme "du rêve américain" (je veux dire, les stars, mannequins, acteurs, etc, sont adulées, vénérées, ce sont des modèles de réussite désignés par et pour la population) et en se jouant des lecteurs en réutilisant les mêmes codes, les mêmes recettes que celles des industries dénoncées.

Ceux qui veulent lire un roman glamour avec des paillettes ne l'auront pas, ceux qui cherchent une critique virulente du système médiatique la trouveront peut-être (et encore?), ceux qui aiment le vide apprécieront. Quant à nous : Attila en concluait que l'auteur est un nihiliste et qu'il ne voyait pas trop l'intérêt, je crois plutôt que le roman est intéressant, au moins en tant que témoignage d'une pseudo-époque, en tant que phénomène éditorial et en tant qu'"attrape-lecteurs". Bret Easton Ellis reste pour moi un très bon réalisateur de mises en abyme complexes.

Quelques extraits :

- Tu te souviens de cette période pendant laquelle tu n'arrêtais pas de te massacrer les cheveux et de les teindre de toutes les couleurs, et que tu n'arrêtais pas de pleurer? - Victor, j'étais suicidaire, dit-elle en sanglotant. J'ai failli faire une overdose. - Baby, le fait est que tu n'as jamais perdu un booking. - Victor, j'ai vingt-six ans. Ca fait cent cinq ans en années-mannequin.

Chloé se perd dans son reflet sur un miroir situé de l'autre côté de la pièce, alors que Brad Pitt et Gwyneth Paltrow la félicitent du choix de son vernis à ongles, et progressivement nous nous éloignons l'un de l'autre, et ceux qui ne prennent pas de drogues allument des cigares, et donc j'en prends un moi aussi, et quelque part au-dessus de nous, nous contemplant, les fantômes de River Phoenix et de Kurt Cobain et de ma mère s'ennuient totalement, absolument.

- Pourquoi moi, Bobby? Pourquoi avoir confiance en moi? - Parce que tu penses que la bande de Gaza est probablement un groupe de rock. Parce que tu penses que l'OLP a enregistré les chansons "Don't Bring Me Down" et "Evil Woman". Silence jusqu'à ce que le téléphone sonne.

Glamorama est disponible chez 10-18 en poche pour 10,20 € (ou 9,69 si vous avez les 5% de remise).

Grimmy

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