bertrand_van_eyck.jpg Cet ouvrage, paru une première fois en 1997 aux éditions Hermann, puis entièrement revu, corrigé et augmenté en 2006, est sous-titré L'énigme du tableau de Londres. De fait, dans cet essai, l'histoire de l'art prend des allures d'enquête policière – ce qui n'est d'ailleurs pas sans nous ramener à la dimension de l'ἱστορίη hérodotéenne. L'argument du livre est simple : toute une tradition de l'histoire de l'art a vu dans ce portrait conservé à la National Gallery celui d'un riche marchand du XVe siècle, Giovanni Arnolfini, et de sa femme (cf. par exemple la page Wikipédia qui lui est consacrée) ; or, selon M. Bertrand, cette hypothèse mérite d'être reconsidérée à bien des égards.

Un homme au couvre-chef extravagant et au regard impénétrable tient la main d'une jeune femme vêtue d'un épais surcot vert. Elle ramène d'ailleurs délicatement les plis de cet ample vêtement sur son ventre. Un petit chien se trouve aux pieds de ces deux personnages, qui sont représentés dans une chambre où prennent place un lustre ouvragé, un lit aux baldaquins rouges surmonté d'une statuette, et, tout au fond de la pièce, qui fait directement face au spectateur, un miroir convexe dans lequel se reflètent deux hommes. Telles sont, sommairement, les données du problème interprétatif.

Le fameux historien de l'art Erwin Panofsky (1892-1968) avait en son temps vu dans ce tableau la célébration d'une union, l'œuvre devenant une preuve comparable à un contrat de mariage: dans le miroir se serait représenté le peintre lui-même servant de témoin aux deux époux, et c'est en ce sens que l'artiste aurait rajouté l'inscription « Johannes Eyck fuit hic », autrement dit selon Panofsky, « Jan van Eyck fut ici ». Pour s'attarder un chouïa sur cette question de la traduction des mots, problème auquel est bien plus familiarisé l'auteur de ce billet, il est bel et bien possible de comprendre la sentence latine d'une autre façon, et certes plus plausible. Allez, latinistes anciens ou nouveaux, adeptes du petit ou du grand Gaffiot, de la grammaire Sausy ou de la Gason / Baudiffier / Thomas (1), quel est le hic ? Eh bien oui, je vous le donne Emile (Chatelain – désolé...): hic peut aussi être le démonstratif ! Ergo significans : ... A vous de jouer, ou bien de lire le livre. Mais alors, me direz-vous, quid des époux Arnolfini ? Du petit chien ? Et aussi du miroir (2)?

Ce détail de l'inscription latine constitue en fait la clef de voûte de l'impeccable argumentation déployée par l'auteur dans ce petit livre. Le tableau est passé au crible d'une analyse complète: historiographique, iconique, symbolique, et même stylistique, cette dernière phase nous renvoyant notamment à l'importance centrale du miroir, et aussi à l'intérêt marqué de l'auteur pour les gauchers... Je n'en dit pas plus: jetez-vous avec délices dans l'histoire de ce tableau, car telle qu'elle nous est contée par M. Bertrand, elle est passionnante, stimulante, revigorante !

Attila

(1) Ou même simplement ceux qui se souviennent de cet inoubliable passage de La vie de Brian, où Graham Chapman se fait tirer les oneilles pour son scandaleux « Romanes eunt domus »...

(2) Comme disait Cocteau : « Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images. »